1. Premier au-revoir
Rys.
Rys tenait sa mère dans ses bras, les larmes brouillant ses yeux, tandis qu'elle caressait les cheveux noirs du visage pâle et décharné. Sa mère avait été belle autrefois. La jeune fille se souvenait l'avoir vue se défaire de ses cheveux jusqu'à ce qu'ils s'étalent, scintillants, en vagues épaisses, contre son dos. C'est ce que Papa appelait sa couronne. Aujourd'hui, ils étaient ternes et rêches, et ses joues autrefois roses, à présent blanches et creusées. Son ventre était gonflé par la malnutrition, les os de ses jambes et de ses bras se dessinaient clairement sous une robe grise.
Rys souleva la main de sa mère et l'embrassa tendrement. Elle ressemblait à une griffe osseuse, molle et froide.
—Maman ?
Pas de réponse.
Allongée sur un grabat sale au coin de la pièce se trouvait Leah, sa sœur cadette. Heureusement, elle dormait, l'agonie d'une lente famine ayant été brièvement oubliée. Hier encore, la famille avait pleuré amèrement en remerciant Dieu pour le repas que Dan avait pu récupérer pour eux : le cuir d'un bouclier d'un soldat égéen mort.
Combien de temps avant que nous ne mourrons tous ?
Dans le silence, Rys entendait encore son père lui parler de sa voix ferme et douce à la fois:
—Il n'est pas possible pour les hommes d'éviter le destin, même lorsqu'ils le voient.
Hananiah lui avait dit ces mots il y a quelques semaines à peine, mais cela lui paraissait une éternité. Il avait prié toute la matinée. Elle savait ce qu'il allait faire, ce qu'il avait toujours fait auparavant. Il sortirait devant les incroyants et prêcherait au sujet du Messie.
—Pourquoi dois-tu sortir à nouveau pour parler à ces gens ? La dernière fois, tu as failli être tué!
—Ces gens, Amarys ? Ce sont tes parents. Nous sommes Shulamites.
Elle sentait encore la douceur de son contact sur sa joue.
—Nous devons saisir toutes les occasions qui se présentent à nous pour dire la vérité et proclamer la paix. Surtout maintenant.
Elle s'était alors accrochée à lui.
—S'il te plaît, ne pars pas. Papa, tu sais ce qui va se passer. Que ferons-nous sans toi ? Tu ne peux pas apporter la paix. Il n'y a pas de paix dans cet endroit !
—Ce n'est pas de la paix du monde dont je parle, mais de celle de Dieu. Tu le sais bien.
Il l'avait serrée contre lui.
—Chut, mon enfant, ma douce Rys, ne pleure pas ainsi. Ne pleure pas ainsi.
Elle ne voulait pas le lâcher. Elle savait qu'ils n'écouteraient pas son père, qu'ils ne voulaient pas entendre ce qu'il avait à leur dire. Les hommes de Shimo le mettraient en pièces devant la foule pour montrer ce qu'il advient de ceux qui parlent pour la paix. Cela était arrivé à d'autres.
—Je dois partir.
Ses mains avaient été fermes, ses yeux bruns, si doux, lorsqu'il avait incliné son menton.
—Quoi qu'il m'arrive, le Seigneur est toujours avec toi.
Il l'embrassa, l'a serra dans ses bras, puis l'eloigna de lui pour qu'il puisse embrasser ses deux autres enfants.
—Dan, tu resteras ici avec ta mère et tes sœurs.
Rys s'était agrippée à sa mère et l'avait secouée, suppliant :
—Tu ne peux pas le laisser partir ! Pas cette fois !
—Du calme, ma fille. Qui sers-tu en t'opposant ainsi à ton père ?
La réprimande de Maman avait frappé fort. Elle disait toujours que lorsqu'on ne sert pas le Seigneur, on sert involontairement le malin. Luttant contre les larmes, Amarys avait obéi et n'avait rien dit de plus. Hélas, au fin fond de son esprit, la logique humaine prenait le pas sur la logique divine. Papa ne reviendrait probablement pas. Pourtant, peut-être, si c'était la volonté de Dieu, une âme pourrait être sauvée par son sacrifice. Une seule pourrait suffire.
En observant la main de Rebekkah posée sur la barbe grisonnnate de son père, Rys comprit que sa mère aussi était a deux doigts de se joindre à elle pour implorer qu'il reste en sécurité dans cette petite maison.
Mais Hananiah savait mieux que sa femme et son enfant ce que le Seigneur voulait pour lui.
—Souviens-toi du Seigneur, Rebekkah, avait-il dit solennellement, nous sommes tous unis en lui.
Et Hananiah, s'en allant ainsi, ne revint jamais à la maison.
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