12. Phillippos (1/2)
Rys.
Le trépas accompagnait les captifs sur la route, les faisant passer par la chaleur, la poussière, les rations, la maladie et les célébrations de la victoire égéenne. Lorsque les légions et les captifs atteignirent la ville de Philippos, moins de la moitié de ceux qui avaient été déportés de la capitale shulamite étaient encore en vie.
Les habitants affluèrent en masse sur le port pour accueillir Kastor. Les femmes acclamaient et lançaient des œillades explicites au beau prince, leurs enfants à la traîne. Des mottes de terre frappaient les prisonniers pendant qu'ils marchaient, tandis que les citoyens criaient des insultes et exigeaient qu'ils soient exterminés. Les gardes tentaient vaille que vaille de repousser la foule en ébullition.
Les esclaves valides passeraient le reste de leur vie à manier les rames. D'autres seraient envoyés en Estanie, au nord-est, pour abattre des arbres et alimenter les villes égéennes en expansion. D’autres groupes embarqueraient à destination des Îles du printemps à l'est, pour élever le bétail ou travailler dans les mines d'argent. Des centaines, encore, voyageraient à l'opposé, vers l'ouest, jusqu'à Pargos, pour tailler et transporter le marbre dans les carrières. Les plus rebelles et les plus fiers seraient exilés loin au nord dans les contrées glacées, à Boréapolis, ou vendus aux alliés de la frontière australe, les Xher. Ils mourraient en pelletant et en chargeant le sable du désert sur des barges, sable destiné aux Théatrons de l'Empire.
Amarys était l'une des dernières exposées sur le quai. Le marchand qui les examinait achetait des tisserands, des travailleurs des champs, des domestiques et des prostituées. Serrant les mains, elle pria afin d'être délivrée de la dernière option.
— Et celle-ci ?
Le soldat égéen tira une femme aussitôt dévisagée par le sombre acheteur.
— Je n'ai jamais rien vu d'aussi laid.
Il poursuivit d'un ton méprisant :
— N'oublie pas que j'achète des esclaves pour servir en tant que prostituées sacrées du temple d'Emésis. Elles doivent être quelque peu séduisantes.
Le cœur d'Amarys battit à tout rompre lorsqu'il s'approcha d'elle.
Seigneur, qu'il passe à côté de moi. Laisse-moi être invisible. Mieux vaut nettoyer les ordures que servir une déesse païenne.
L'esclavagiste s'immobilisa. Rys regarda ses pieds, chaussés de fines sandales de cuir cousues de couleurs vives. Le riche lin violacé de sa robe était propre. Elle se sentit froide et malade tandis qu'il continuait à la fixer, gardant son chef bien bas.
— Celle-ci a du potentiel, dit soudain l'homme.
Il lui prit le menton et lui fit relever le visage. Lorsqu'elle plongea son regard dans ses yeux froids, elle faillit s'évanouir.
— Elle est trop jeune, commenta le soldat.
— Trop jeune ? Elle doit avoir seize ans tout au plus. Comment se fait-il qu'elle n'ait pas encore été vendue ?
Le marchand tourna la tête de Rys à gauche et à droite.
— Montre tes dents, enfant. Ouvre la bouche.
Son menton tremblait tandis qu'elle obéissait et qu'il étudiait sa dentition.
— Elles sont bonnes. Elle a compris les ordres. Parle-t-elle égéen ?
— Elle est trop mince.
Il inclina à nouveau son visage.
— De bons repas vont arranger les choses. Ses prunelles sont ravissantes ! On aurait dit du miel !
— Oui... Peut-être... Je la trouve banale.
L'esclavagiste jeta un coup d'œil au jeune soldat et sourit.
— Si banale au point de ne pas susciter ton intérêt. L'as-tu utilisée ?
Repoussé par cette suggestion, le légionnaire égéen se raidit.
— Je ne l'ai jamais touchée.
— Pourquoi ?
— Parce que la moitié de l'équipage l'a fait à ma place. C'est une sorte d'étrange prophétesse shulamite. Je lui ai donné une cuillerée de grain et elle est devenue folle... Kilomètre après kilomètre, semaine après semaine, elle n'a cessé de prier, parlant à son dieu bizarre et invisible. Quel bien cela lui a-t-il fait ?
Le marchand ricana.
— Une prophétesse. Raison de plus pour l'acheter la moitié du prix d'un fanatique shulamite. Ces gens-là sont des hérétiques et des imbéciles.
Sa bouche pleine s'étira à la suite d'un énième examen.
— Trente pièces d'argent pour une folle qui va mourir. Oui, je suppose que c'est trop cher.
L'esclavagiste acheta dix autres femmes et s'en alla.
Le soldat démonta Amarys. Elle brûlait de honte. Ses cheveux étaient infestés de poux, sa tunique tachée d'excréments humains. Une égéenne lui cracha dessus au passage et Rys se mordit la lèvre pour ne pas pleurer.
Le militaire chuchota :
— Ne t'inquiète pas, je n'avais pas l'intention de te vendre à ce crétin. J'ai un client bien plus important pour toi. Maintenant, va te nettoyer.
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