40. Cérémonie d'ouverture
Oldric.
Les gardes vinrent le chercher en milieu de matinée, apportant une fourrure d’ours épaisse. Oldric, à la suite d'une file d'autres combattants, fut conduit le long du couloir éclairé aux torches vers la porte menant à la Grande Arène. La lumière du soleil frappa l’Estanien comme un coup-de-poing.
— L’empereur est arrivé, cria un garde.
Des chars attendaient les combattants pour les transporter dans l’arène, afin qu’ils puissent être exposés devant les milliers de spectateurs entassés sur les gradins.
Oldric reçut l’ordre de monter aux côtés de Gad.
— Que Dieu nous accompagne, dit le Shulamite.
— Lequel ? demanda Oldric entre ses dents.
La foule hurla à s’en rompre la gorge lorsque la douzaine de chevaux apparut pour la procession, tirant derrière eux des monomaques de plusieurs casernes. La vue et le son de tant de personnes remplissant le Théatron rendirent les paumes d’Oldric moites et son cœur battit la chamade. Les trompettes sonnaient, les sifflets houspillaient, et les voix montaient jusqu’à ce que la terre elle-même semble trembler.
La piste avait plus de deux cents pieds de large d’un côté, et s’étendait sur plus de dix-huit cents pieds de longueur. Au centre, s’élevait une immense plate-forme, la Spinne. Faite de marbre, elle mesurait au moins deux cent trente-trois pieds sur vingt. Des statues s’érigeaient tout du long, de l’eau parfumée jaillissaient des fontaines, et nombre d’autels se dressaient en l’honneur des dieux égéens. Oldric passa devant un petit temple de Neptolemos, où des prêtres brûlaient de l’encens payé par les auriges. Au centre de la Spinne, l’Estanien demeura un moment ébahi devant l’imposant obélisque apporté après la conquête de Xher. La sphère d’or qui surplombait le monument brillait comme l'astre du jour.
Vers l’extrémité de la plate-forme, deux colonnes supportaient à leur sommet des barres transversales. Six œufs de bronze s'y logeaient, symboles sacrés de Dios, le dieu suprême d’Egée.
Les auriges firent pivoter les chars, contournant les poteaux coniques qui protégeaient la Spinne d’un éventuel dommage pendant les jeux. La procession opéra un tour supplémentaire avant de s'arrêter devant la tribune où trônait l’empereur aux côtés de son Conseil. Gad descendit, suivi d’Oldric, qui sentit la chaleur monter du sable. Il souhaita se débarrasser de la peau d'ours. Sa bouche était sèche, et il se languissait des tuniques de laine fine de la caserne.
Des auvents aux couleurs vives se déroulaient le long de câbles de corde, ombrageant les rangées supérieures de spectateurs.
Gad longea le bord de l’arène, les bras tendus pour accepter les ovations de ses admirateurs. Les autres combattants l’imitaient, exhibant leurs cuirasses incrustées d’argent et d’or, leurs épées serties de pierres précieuses ou encore leurs heaumes scintillants surmontés de plumes d’autruche ou de paon. Éblouis, les spectateurs crièrent leur joie, interpellant leurs favoris, se moquant des autres, en particulier d’Oldric dans ses fourrures barbares, silencieux et immobile.
L’Archonte Fabianos Dioclès, organisateur et maître de cérémonie des jeux, chemina dans son char jusqu’à l’exèdre impériale. Alors qu’il descendait, la foule se leva comme un seul homme.
— Vive l’Archonte Dioclès, l’ami du peuple !
Souriant et s’inclinant, l’organisateur, qui portait pour l’occasion une tunique lavande, salua les plébéiens avant de prononcer son discours.
— Je te salue Kratheus, premier du nom, fils de Théodon et fils de Dios. Vois tes monomaques, debouts sur le sable qui t’appartient, prêts à apaiser la fureur du dieu Zagreus. Grâce à leur sacrifice, aucun des enfants de l’empire ne mourra par l’épée ou par la peste. Gloire soit rendu à Dios. Gloire soit rendue à son fils dans les cieux, Neptolemos ! Gloire soit rendu à son fils sur la terre, Kratheus !
— Gloire soit rendu à Dios. Gloire soit rendue à son fils dans les cieux, Neptolemos ! Gloire soit rendu à son fils sur la terre, Kratheus ! reprit toute l’arène en écho.
Les combattants se présentèrent ensuite devant l’empereur. Ils levèrent les poings en signe de salut avant de s’incliner, un genou au sol. Le sable s’enfonça dans la peau d’Oldric, et, sans qu’il ne comprenne pourquoi, il resta fléchi un peu plus longtemps que les autres.
De retour sur les chars, les monomaques se préparèrent pour le dernier tour de piste avant de retourner en cellule.
— L’attente commence, dit Gad, une fois qu’ils furent descendus.
— Combien de temps ? demanda Oldric en marchant à côté de lui vers les quartiers où ils devaient être détenus jusqu’à ce qu’ils soient appelés pour leurs combats.
— Il n’y a aucun moyen de le savoir. Une heure. Une journée. Le vrai spectacle, ce ne sont pas du tout les jeux. Ce sont les spectateurs. Les Égéens sont capables de risquer jusqu’au dernier aigle sur leur favori. J’ai vu des perdants se vendre, ou vendre leur femme à un esclavagiste juste pour quelques pièces de plus à parier.
Oldric eut un rire amer.
— Donc, nous ne sommes qu’un passe-temps entre les paris.
— Que la colère te donne une force supplémentaire, jeune Oldric. Mais ne la laisse pas prendre le dessus sur ta raison. Sauf si tu souhaites mourir.
Puis, levant la tête pour fixer son interlocuteur, le Shulamite ajouta :
— J’ai vu des hommes baisser délibérément leur garde pour qu’un coup fatal puisse être porté.
— Je ne baisserai pas ma garde.
Gad sourit.
— J’ai observé ta façon de combattre. Plein de rage, aveuglé par elle. Regarde autour de toi, jeune Oldric. Ces soi-disant conquérants du monde sont en réalité esclaves de leurs passions, et un jour leurs passions causeront leur chute.
Le gardien ouvrit l’une des cellules et Gad entra. Se retournant, ses iris bruns rencontrèrent celles, azur, de L'Estanien.
— Tu partages beaucoup de choses en commun avec Égée, jeune Oldric.
La porte se referma, la trappe s'abaissa, et la serrure fut mise en place.
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