42. Cruelle merci
Oldric.
Soudain, le public se leva, agitant des mouchoirs blancs, leur action collective créant une mer hypnotisante de tissus flottants. L’atmosphère se remplit d’une énergie électrique. Le soleil, projetant ses derniers rayons dorés sur la scène, semblait prêter une lueur éthérée au spectacle qui se déroulait devant Oldric.
Alors que la chaleur de la journée commençait à se dissiper, la couronne impériale captait la lumière qui s’estompait, la faisant scintiller comme une constellation d’étoiles. Sentant la tension croissante dans l’air, son porteur tourna son regard vers son peuple, ses yeux balayant la foule de visages puis l’arène. Les cris doublaient d’intensité à chaque instant qui passait.
Le prince héritier Damianos se pencha vers son père et lui murmura quelque chose à l’oreille. Ses paroles semblèrent réveiller l’Empereur, son expression passant de l’impassibilité à une lueur d’appréhension.
Le rugissement de la foule s’intensifia, résonnant comme une vague tonitruante s’écrasant sur le rivage. L’inaction de Kratheus menaçait d’ébranler les fondements même du Grand Théâtron.
Oldric ne comprit pas dans l’immédiat ce que signifiait cette comédie. Il se tourna vers Céros et le vit étrangement calme, mais surtout, avec la garde baissée. La colère l’envahit, lui donnant une force supplémentaire qui le remit sur pied.
— Viens te battre ! hurla-t-il à l’endroit du champion.
— Es-tu si impatient de mourir, Estanien ? répliqua la vedette, le ton dédaigneux.
Céros leva les yeux vers l’empereur, à la recherche d’un signe, et n’en reçut aucun. Quand Oldric commença à avancer, le champion se retourna pour lui faire face, la lame au clair.
La frénésie immaculée reprit de plus belle. Les tissus s’agitaient à l’unisson comme un battement de tambour. Oldric vit les légionnaires s’aligner discrètement en ordre de bataille autour de la famille impériale, parés à l’éventualité de contenir un débordement. Mais le souverain leur épargna cette peine car, au bout d’ interminables secondes, Kratheus leva le pouce.
Aussitôt, l’instructeur de Céros, un type baraqué au regard sévère, lui ordonna de reculer et Bammon apparut accompagné de six gardes de la Grande École.
Oldric se tenait toujours droit, ses muscles tendus et prêts pour la bataille, refusant de céder. Les gardes, avisés de son caractère tempétueux, s’approchèrent de l’Ours avec prudence sans le quitter des yeux.
La voix de Bammon transperça la tension qui flottait dans l’air.
— Baisse ton arme, Oldric.
L’Estanien, animé par un feu ardent au creux de l’estomac, fit la sourde oreille. Il avait enduré trois combats successifs, il avait enduré Tharacus, il avait enduré Égée et ses redoutables légions. Il avait combattu pour sa liberté, son honneur et la vie de ceux qu’il chérissait. Maintenant, il était prêt à affronter la mort à sa manière.
Avec une détermination farouche dans les yeux, Oldric fit un pas en avant, sa prise sur son épée se resserrant encore davantage. La lame brillait sous le soleil, reflet de sa résolution inébranlable.
— Je mourrai comme je le voudrai !
Sa voix détonna dans l’arène, soulevant encore un tonnerre d’applaudissements. L’air agacé, Bammon frappa ses paumes et la brutalité égéenne se déchaîna. Deux reîtres firent claquer leurs fouets à l’unisson. Le son du cuir trancha l’air. Le premier fouet atteignit sa cible, s’enroulant étroitement autour du poignet d’Oldric, coupant sa circulation. Ensanglanté et affaibli, le barbare lutta pour maintenir sa prise, mais la douleur était trop intense. Avec une grimace d’agonie, il lâcha son arme, sa dernière connexion avec la liberté.
Dans une poussée désespérée d’adrénaline, l’Ours lança son coude de toutes ses forces, frappant la tête d’un licteur. Le garde vacilla en arrière, momentanément étourdi par le coup inattendu. Saisissant l’occasion, Oldric donna un coup de pied rapide, envoyant un deuxième Égéen s’étaler par terre.
Un autre fouet jaillit, s’enroula autour de la cheville tel un serpent venimeux. Le sursaut soudain le fit perdre l’équilibre, et il tomba le dos contre le sol. Les licteurs se jetèrent alors sur lui, leurs mains agrippant son corps affaibli.
Avec un rugissement de défi, l’Ours se débattit, se tordit, ses membres s’opposant à la poigne de fer de ses maîtres. Les gardes luttaient pour le contenir, leurs visages se contorsionnant sous l’effet de l’effort. La frustration fit hurler le barbare à s'en déchirer la gorge.
Toute résistance s’avéra vaine. Submergé par le nombre et la force, il finit par être maîtrisé, les gardes traînant par les pieds son corps meurtri et brisé. Oldric sentit ses yeux brûler et les larmes menacer de couler.
La voix de sa mère résonna soudain dans son esprit, un écho du passé refaisant surface, s’entremêlant avec le mouvement rythmique de ses épaules qui raclaient le sable rugueux. Cette fois-ci, ce n’était pas le poids de la prophétie qui pesait sur ses pensées, mais plutôt une mélodie obsédante. Une chanson, que Modr lui chantait pendant son enfance, alors qu’il était encore un garçon timide et craintif, tourmenté par les esprits mystérieux qui se cachaient dans les profondeurs de la forêt nocturne.
À cet instant, il aspirait à revenir à cette époque plus simple, à être à nouveau cet enfant effrayé qui cherchait du réconfort dans l’étreinte de sa mère. Il désirait retrouver l’innocence et la vulnérabilité qui accompagnaient la peur de l’obscurité, sachant que la chaleur du feu de la nuit chasserait toujours ses craintes. Mais ici, dans la terre étrangère d’Égée, la nuit descendait sur lui avec une rapidité troublante, et personne ne pouvait lui offrir l’assurance que le soleil se lèverait à nouveau.
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