3/52 - De passage
Quand je l'ai vue, elle marchait seule dans ma rue désertée. Penché à la fenêtre, je soupirais comme tous les soirs contre la lumière inutile de ces lampadaires qui me masquaient les étoiles. Elle est apparue dans le virage, en tenue de sport, la tête couverte par la capuche de son sweat et les mains enfoncées dans ses poches. Je ne pouvais pas vraiment distinguer s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, d'ailleurs, je ne sais toujours pas. Alors j'ai deviné, j'ai décidé, en me basant sur de bien piètres a priori : petite et fine, elle n'avait pas la carrure masculine. Mais qu'en sais-je, après tout ? Ce qui est sûr, c'est que sa silhouette ne me disait rien. Chose étrange pour un habitant de longue date dans ce village de quatre cents âmes. Certainement une personne de passage.
À peine l'angle passé, elle a marqué un arrêt net et sortit sa main droite de sa poche pour la tendre légèrement de côté, comme pour saisir celle d'un compagnon invisible. Quelques très courtes secondes sont passées ainsi, suffisantes pour m'intriguer. Et puis, la main s'est tournée paume vers le ciel, le majeur et le pouce se sont rencontrés et un claquement sec a retenti sur les parois des maisons endormies. Un bruit de frottements répétés a suivi immédiatement le geste et, sous la main revenue à sa position initiale, est venue se glisser la tête d'un chien bienheureux.
Jusque-là, elle avait quelque chose de froid, presque mystique, avec son visage caché par l'ombre de sa capuche, son corps droit et ses mouvements mesurés. Mais à l'arrivée du chien dans son petit galop joyeux, la queue qui lui faisait bouger les fesses et la tête qui s'étendait de plaisir vers la main tendue, un rire doux s'est échappé de la silhouette. La voix était à peine perceptible, comme soigneusement maintenue pour ne pas déranger le voisinage.
« C'est bien. »
J'ai distingué le murmure comme s'il n'avait été dit que pour moi. J'ai vu les doigts se replier délicatement autour de la tête du chien pour le caresser. Et la marche a repris. Ils sont passés sous ma fenêtre sans me voir, marchant parfaitement côte à côte sans qu'aucun lien ne force l'animal aux pieds de l'humain. Ils marchaient, ensemble, deux amis en promenade digestive qui se calent chacun sur le rythme de l'autre.
Avant qu'ils ne disparaissent, j'ai observé le chien. Sa tête noire, son corps blanc, ses pattes tachetées... Si je pouvais les reconnaître de jour à l'occasion, il me serait peut-être donné de mettre un visage à cette étrange apparition.
Mais je ne les ai jamais revus, et demeure uniquement dans mon esprit l'impression poétique que m'a laissé cet instant banal.
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