13.52 - Au coin de son œil droit

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  • Il avait un grain de beauté au coin de l'œil droit.
  • Quel genre de grain de beauté ?
  • Tout petit, juste un point, mais ça donnait l'impression à son œil de baver un peu. On aurait dit que sa paupière était plus longue.
  • Il était beau ?
  • Pff... c'est quoi cette question ? C'est complètement déplacé !
  • Allez, il était beau ?
  • Pourquoi ?! Je ne sais pas ! Merde, t'es vraiment tordu. Je ne me souviens que de ce détail-là. Ça et sa voix. Je ne saurais même pas dire la couleur de ses iris.
  • Alors, tu n'as pas eu d'émotion particulière en le voyant...
  • Si. Un peu comme un choc. Je me souviens qu'il est entré, qu'il s'est arrêté un moment. Peut-être seulement quelques secondes mais je le ressens encore comme une pause, un instant interminable. Je vois ses pieds immobiles dans le sang. Je pense que je ne réalisais même pas que c'était le mien.
  • Pourquoi un choc ?
  • Hum... je suppose que je ne m'attendais pas à voir quelqu'un entrer. Ça faisait un moment que j'étais comme ça. Au début, j'ai voulu crier, mais je n'ai pas pu. Ensuite, le téléphone... Mais j'étais paralysé. Je me suis senti très fatigué... j'étais certain que j'allais mourir là, comme ça. C'était tellement évident que, quand la porte s'est ouverte sur lui, j'ai presque eu peur. Il y a eu un sursaut dans mon cœur. Un choc, vraiment. C'était beaucoup trop inattendu.
  • Et ensuite ?
  • Pas grand-chose. Je sens sa respiration sur mon visage, j'entends sa voix grave mais claire qui me rassure. Sa main caresse mon front je crois, et peut-être que ses doigts sont pressés sur ma blessure. Mais là, c'est possible que je divague un peu. Tout ce dont je suis sûr, c'est qu'il est penché sur moi : je vois son œil droit qui cligne, le grain de beauté qui se mouille.
  • Qui se mouille ?
  • De l'eau, de la sueur, des larmes, va savoir ! Mais c'est net, je vois la goutte qui coule sur le grain de beauté. C'est la dernière chose que j'ai vu.
  • Il devait être beau.
  • Mais tais-toi ! Franchement, qu'est-ce que ça change ? Je sais pas qui c'est, personne n'a su me dire. Et puis c'était il y a des années maintenant.
  • N'empêche, tu y penses encore.
  • Bien sûr. J'y penserai toujours. Je vis grâce à lui.
  • À ton avis ? Un voisin ?
  • J'aurais su qui c'était, je les connaissais tous.
  • Alors un pompier ?
  • Non, on me l'aurait dit.
  • Quand même, c'est vraiment bizarre. Qui débarquerait comme ça pour sauver la vie d'un déchet comme toi ?
  • Ta gueule...
  • Tu ris ?
  • Ouais. Au fond t'as raison, ça n'a aucun sens.
  • Eh... Tu sais, j'aimerais que tu puisses me voir.
  • Allez... je t'ai vu des milliers de fois sous mes doigts, je connais tes traits par cœur. T'es le plus beau du monde.
  • Ouais... mais tu sais, au coin de mon œil droit ? Mon grain de beauté, il se sent pas au toucher.

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