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Le feu a déjà tout envahi. Il a volé tout l'oxygène. Ce qu'Elsa respire n'est que poison. Elle va mourir. Ses cheveux ont flambé, ses vêtements ont fondu sur elle, ils s'incrustent dans ce qui reste de sa peau brûlée. Elsa a mal, elle a peur, elle est triste. Mais l'espoir vient juste de la quitter. Elle s'est roulée en boule sous l'évier brisé qui vomit sur elle un geyser d'eau de ville à peine suffisant pour la soulager. Bientôt les canalisations éclateront ailleurs, et l'eau ne viendra plus jusqu'à elle. Bientôt, le plan de travail s'effondrera sur son dos arrondi. Elle sera morte bien avant que quiconque n'appelle les pompiers. Avant que l'on ne voie le feu d'ici, la forêt aura déjà commencé à brûler. Par sa faute. Sa faute à elle et sa somnolence, le stock de bois rangé trop près du feu, trop près du rideau, trop près du tapis. Le plancher trop sec, le canapé en palettes... Que de bonnes idées. Que de si bonnes idées pour une jolie et confortable maison isolée. Ses belles convictions sur l'écologie... la voilà qui emporte avec elle un bout de nature. Elle sent déjà l'odeur des plumes calcinées des oiseaux, elle entend le galop paniqué des chevreuils, le cri des sangliers, les craquements des arbres qui s'effondrent sur la terre en cendres.
Le feu a tout envahi. Il a volé tout l'oxygène. Elsa respire le poison. Elle s'endort. Ses cheveux ne sont plus. Sa chair à vif l'habille à peine. Elle n'a plus mal. Elle n'a plus peur. Elle est fatiguée. L'évier a cessé de couler. Il fait chaud, tellement chaud. Elsa attend. Elle attend la suite. Morphée qui la tient dans ses bras sans jamais l'embrasser. Ce temps interminable. Interminable...
Le feu a tout dévoré. Il s'est étouffé de lui-même. Elsa ne respire plus rien. Elle est morte. Son crâne nu est noirci par la suie. Une croûte épaisse lui sert de vêtement. Elle sent son corps comme une enveloppe qui pousse vers l'extérieur. Son cœur immobile est étreint d'un étrange sentiment. Elle est en éveil. L'évier au-dessus d'elle a disparu. Le toit aussi. La maison toute entière. Il fait frais. Il fait doux. Elsa se déplie, elle pousse sur ses jambes pour se mettre debout. Le plancher sous ses pieds se devine à peine dans un mélange de charbon et de graviers. Tout autour, de nombreux arbres ont brûlé, mais la forêt a été épargnée. Elsa entend au loin les oiseaux qui poursuivent leur vie sans s'attarder sur le drame.
Le feu a tout nettoyé. Il a chassé le superflu. Elsa a encore forme humaine, mais elle ne l'est plus. Ses organes sont éteints. Sa peau qui cicatrise garde la couleur du charbon. Ses cheveux ne repoussent pas. Elsa n'a pas survécu au feu. Elle a changé d'état. Ses oreilles entendent tout. Les murmures du vent et des dieux qui rient d'elle, qui lui disent qu'elle devra bientôt trouver une utilité, puisque sa mission ne consiste plus à survivre. Ils lui souhaitent la bienvenue, ils lui disent que bientôt, elle pourra les voir. Qu'il lui suffit d'ouvrir les yeux.
Le feu a tout éclairci. Il a dégagé l'horizon. Elsa voit bien au-delà de tout. Elle voit au bout de la forêt, tout au fond de la terre et loin au-dessus du ciel. Elle voit les créatures qui dansent et chantent autour d'elle, celles qui aiment, celles qui peinent, celles qui s'ennuient. Tous ces uniques, ces comme elle, qui n'ont pas de besoin et que l'Univers a gardé en conscience pour le servir. Elsa ne demande pas pourquoi. Elle ne pleure pas, elle ne lutte pas. Comme les autres, elle fait son chemin en dehors du temps.
Le feu a tout transformé. Il a apporté sa puissance. Elsa est remplie de sa force. Elle est de ceux qui purifient, de ceux qui guérissent et punissent. Son regard rougeoyant est plein d'une tendresse passionnée. Les oiseaux l'aiment sans l'approcher, les arbres la cherchent sans s'y frotter. Ses mains dans la terre envahissent, dévorent, nettoient, éclaircissent et transforment. Elsa donne, elle donne tout et se réjouit de n'avoir plus rien à prendre en échange. Elle est une source. Seulement une source. Une source de feu. Une source d'Amour.
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