43/52 - Preuve
« J'ai couché avec Dana. »
Ela lève les yeux vers son compagnon. Arty a le visage contrit, sous un faux air de provocation. Visiblement, il ne vit pas un moment agréable. Ela se doute bien qu'il attend d'elle une réaction classique, mais faire semblant n'a jamais été envisageable pour elle. Déjà, elle sent un sourire lui tordre les lèvres, et un rire pouffant lui échappe plus moqueur qu'elle ne l'aurait voulu.
« Fais pas cette tête, c'était si nul que ça ? »
Arty écarquille les yeux, son trouble augmente en pic et lui fait tomber les commissures des lèvres.
« C'est tout ce que ça te fait ? »
Ela fronce le nez et plonge ses yeux bruns dans les billes bleues du jeune homme.
« Tu l'as fait parce que t'en avais envie, ou juste pour me tester ? Parce que si c'est ça c'est vraiment débile.
- J'arrive pas à croire que ça te fasse rien.
- Eh bien ne le crois pas, que veux-tu que je te dises ? Quelle importance de toute façon ?
- Bah, si t'en as rien à foutre...
- J'en ai pas rien à foutre : je suis contente si tu as passé du bon temps, mécontente si tu l'as fait par provocation, encore plus mécontente si tu t'es pas protégé ou si t'as joué avec ses sentiments. Mais j'ose espérer que je n'ai pas de raison d'être mécontente.
- Mais vraiment... Même pas un peu contrariée, que j'ai mélangé mon corps avec une autre que toi ? »
Ela soupire. Il fallait bien que ça arrive un jour, ce test pratique. Puisqu'il ne la croyait déjà pas sur le plan théorique.
« Non, Arty. Même pas un peu contrariée. Ton corps t'appartiens entièrement, je n'ai aucune prétention dessus. Et pas seulement ton corps d'ailleurs. Je l'aime. Je t'aime, toi, tout entier. Je t'aime vraiment beaucoup, je t'aime vraiment très fort. Et voilà. »
Tout en parlant, Ela caresse la peau de son amant. Elle lui sourit, lui dépose des baisers sur la ligne de la mâchoire, en espérant le dérider un peu. Mais il semble rigide, figé par un mélange de déceptions absurdes.
« C'est des mots. J'ai du mal à y croire... C'est naturel d'être jaloux quand on aime.
- Vraiment ?
- L'amour rend avide...
- L'égo rend avide.
- Et tu n'as pas d'égo ?
- Si, mais pas là où tu l'attends. Que veux-tu que j'y fasse ? Je n'y peux rien si je ne suis pas possessive ! D'ailleurs je n'ai pas envie de le devenir, je te remercie ! Vu la joie que ça apporte chez les autres, je m'en passe très bien. »
Silence. Ela sent l'agacement la prendre petit à petit. Elle se dégage des bras de son compagnon et se lève du canapé. Nue, elle se plante devant lui en posant les mains sur ses hanches.
« Quoi ? J'y crois pas ! T'as couché avec une autre ? Non mais j'hallucine, là ?! On nage en plein délire ! Comment t'as pu me faire ça ? T'es vraiment le dernier des connards ! Tu m'as trahie ! Et pourquoi elle, hein ? Tu la disais dégueulasse y a pas si longtemps. Et maintenant ? Ah elle en a, du gras qui fait le goût, comme t'aime ! C'est ça, qu'elle a de plus que moi, cette salope ! »
Silence.
« C'est comme ça que tu veux que ça se passe ? Que je devienne idiote, que je fasse semblant de pas comprendre comment c'est possible, de croire que je suis la seule et unique créature en ce monde capable d'éveiller tes désirs ? Et que je sois insultante, bien sûr, que je dénigre et rabaisse une femme que j'aime bien pour avoir osé séduire et céder à mon homme ! C'est d'une absurdité telle que je n'arrive même pas bien à le jouer. Tu ne me verras pas agir comme ça, pas aujourd'hui, et j'espère bien jamais : tu peux toujours rêver. »
Ela se sent amère. Ecoeurée, presque. Comme chaque fois qu'elle réalise à quel point la jalousie est une norme. A quel point on la considère comme une extra-terrestre, ou une menteuse, chaque fois qu'elle affirme ne pas la ressentir.
« Il paraît que c'est une preuve d'amour. »
Boudeur, Arty semble s'enfoncer de plus en plus dans le canapé. Il ne la regarde pas vraiment, comme chaque fois qu'il est à court d'argument.
« Il n'existe aucune preuve d'amour. D'ailleurs, c'est idiot d'en demander. »
Silence. Les yeux bleus se relèvent vers Ela. Ils semblent tristes, et un peu perdus.
« Arty... je ne te demande pas de fonctionner comme moi. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi : c'est comme ça. Si je t'aime, je ne voudrai que ton bien, un point c'est tout. Mon avidité se limite au désir de vouloir partager du temps, parfois jusqu'à mon quotidien, avec toi. Si tu disparais, je serai triste. Si tu m'apportes des ennuis, je serai en colère. Si tu me manques de respect, je perdrai un peu de la confiance que j'ai en toi. Mais je ne te briderai pas, je ne t'enchaînerai pas, et surtout pas avec des règles qui ont été écrites par d'autres au nom de principes qui ne sont pas les miens. »
À nouveau, Arty se détourne. Il plonge le visage dans ses mains en soupirant.
« Tu m'énerves, tu parles trop bien.
- Mon discours est clair parce que mes sentiments le sont. »
Un rire amer résonne dans la pomme d'Adam.
« Bah moi, ça ne me plairait pas, d'apprendre que tu couches avec d'autres.
- Je sais. Et tu as de la chance : je ne t'appartiens pas, mais j'accepte de ne pas faire ce qui pourrait te blesser. Et puis... bon... euh... ça court quand même pas les rues, les gens qui suscitent mon désir. »
Ah ! Enfin, Arty sourit. Il la regarde à nouveau. Gentiment, elle lui rend son sourire. Dans un sens, elle sait que s'il est rassuré, c'est parce qu'elle a flatté son ego, ce fameux ego qui contrôle et salit tant de sentiments, en sous-entendant qu'il serait une sorte d'élu ; l'un des rares êtres, hommes et femmes confondus, capables de l'allécher. Mais ce n'est pas un mensonge : il y a bien peu de risque pour qu'elle commette un jour ce terrible crime d'aller coucher ailleurs !
En revenant vers lui pour l'enlacer et presser son visage barbu contre son ventre, elle se demande quand même une chose : au final, ça s'est bien passé ou pas, avec Dana ?
Annotations
Versions