Chapitre 13
Autant l’Intersate 90 reliait la côte est à la côte ouest, l’Interstate 35, elle, traversait le centre des États-Unis du nord au sud. Aussi, Keith l’emprunta-t-il pour leur long périple jusqu’au Mexique. L’agent du FBI veilla à ne pas dépasser les limitations de vitesse : il valait mieux éviter de se faire remarquer par un policier.
Nick et Keith atteignirent Des Moines, capitale de l’Iowa, sur les coups de cinq heures. Il faisait encore nuit. Le ciel était dégagé, piqué de milliers d’épingles scintillantes. La lune était presque pleine, teintant le paysage d’argent.
Ils quittèrent l’autoroute et se trouvèrent une route de campagne où ils firent une pause pour se reposer de leur nuit trop courte à Minneapolis. Ils se remirent en route vers huit heures. Quatre heures plus tard, ils pénétrèrent dans Kansas City.
Leurs ventres manifestèrent avec véhémence leur envie d’être quelque peu rassasiés. Keith fit donc une halte bienvenue dans l’un des centres commerciaux de la ville.
Nombre d’employés des environs assiégeaient les différents restaurants. Il y en avait pour tous les goûts. Deux fast-foods, une pizzeria, un chinois, trois brasseries, une sandwicherie… Keith et Nick optèrent pour cette dernière. Ils s’intercalèrent dans la longue file d’attente et patientèrent.
Un jeune Mexicain était en train de balayer les allées passantes. Comme tous ses compatriotes, ainsi que tous les Noirs et les Arabes, un bracelet électronique encerclait sa cheville. C’était une des décisions de son paternel afin d’avoir continuellement un œil sur les étrangers.
Dans un premier temps, il avait renvoyé chez eux tous les immigrés clandestins. Il avait ensuite incité ceux ayant la double nationalité de rejoindre l’autre pays de leur cœur, moyennant une confortable enveloppe remplie de dollars.
Pour ceux restants, il avait fait voter une loi interdisant aux non-Blancs d’occuper des postes à responsabilité. Ceux-ci s’étaient dès lors vus relégués dans des emplois sans compétence : balayeurs, éboueurs, ramasseurs de crottes, cueilleurs de fruits et légumes…
Très vite, Lamont avait ajouté la préférence aux Blancs. Le chômage de ces derniers s’était alors écroulé à moins de trois pour cent, quand celui des Blacks, des Hispaniques et des Arabes avait augmenté à vingt-six pour cent.
Là-dessus, le président avait argué que la criminalité américaine était principalement du fait des non-Blancs. Par conséquent, il avait flanqué les chômeurs d’origine étrangère dans des réserves, tels des animaux, afin de les avoir constamment sous surveillance. Quant à ceux qui avaient la chance d’avoir un travail, ils avaient obligation d’être équipés d’un bracelet électronique afin de contrôler leurs allées et venues.
Une fois servis, Keith et Nick s’installèrent à une des tables de bar de l’établissement. L’agent du FBI scrutait le visage de tous ceux qui passaient, comme s’il cherchait quelqu’un qu’il connaissait. Soudain, il repéra une armoire à glace rousse et blafarde, au nez tordu et aux yeux exorbités. Il lâcha son sandwich et agrippa Nick par le bras.
― Il faut partir ! lâcha-t-il.
― Je n’ai pas encore fini.
― Tu me suis et tu ne discutes pas.
Ils s’engouffrèrent dans la foule qui circulait dans l’allée centrale. Tout à coup, Keith pénétra dans un magasin de vêtements. Il en prit plusieurs puis gagna les cabines d’essayage au fond.
― Qu’est-ce qui vous prend ? s’énerva Nick.
― Je crois que Peterson nous a retrouvés ?
― Comment aurait-il fait ?
― Bonne question. Mais j’ai repéré un autre collègue des forces spéciales. Russell Vaughn. Un bon. Un très bon même. Une chose est sûre : on veut ta peau à tout prix.
― Qu’est-ce qu’on fait ?
― Enfile ça, ordonna Keith en désignant les habits qu’il avait pris.
Nick abandonna son blouson en cuir noir contre un sweat à capuche. Keith troqua son costume contre un jean délavé, une veste de chasseur et un chapeau de cow-boy. Il jeta un coup d’œil à l’extérieur. Visiblement, il ne distingua aucun danger car il sortit de leur cachette. Keith paya en liquide. Ils se réinsérèrent dans la foule.
Ils avançaient droit devant eux quand Keith avisa un grand chauve. Clayton Hanson tourna la tête dans leur direction. Les deux poursuivis prirent une allée perpendiculaire comme si de rien n’était. Malheureusement, cela ne fonctionna pas. Clayton les suivit. La question était de savoir s’il le faisait car il les avait reconnus ou s’il avait reçu l’ordre de se déplacer ailleurs.
Keith tira Nick dans les toilettes. Il l’obligea à pénétrer dans la dernière cabine.
― Tu fermes la porte et tu montes sur la cuvette, ordonna-t-il.
Nick obtempéra. Keith se cacha dans la première et attendit.
La porte d’entrée grinça. Elle se referma violemment, un bang envahissant la petite pièce.
― Craig, je t’ai vu, lança Clayton. Sors et livre-moi le gosse.
Keith resta silencieux. Nick sentait son cœur cogner dans sa poitrine. Il avait l’impression qu’il battait tellement fort que Clayton ne pouvait pas ne pas l’entendre.
Le tueur frappa du pied dans la première porte. Celle-ci s’ouvrit en grand. Personne. Même traitement pour la deuxième. Vide elle aussi. La troisième était celle où Nick était enfermé. Où pouvait donc être Keith ?
Clayton allait fracasser la dernière porte quand l’agent du FBI surgit d’au-dessus des toilettes. Il poussa Clayton contre le mur. Le crâne de ce dernier fendilla le carrelage style métro. Cependant il en fallait plus pour le sonner. Il envoya son coude dans le ventre de Keith qui recula. Le combat commença alors. Direct, uppercut, overhand, back-fist. Les deux hommes se battaient tels des boxeurs sur un ring. Mais ici, pas de gants. Juste des poings nus qui matraquaient la chair de l’adversaire. Bientôt, la bouche de Keith fut remplie de sang. Clayton eut l’arcade droite ouverte, le nez déjà bien amoché gouttait d’écarlate.
Les pieds s’y mirent aussi. Les coups s’enchaînèrent à une vitesse fulgurante. Un uppercut. Paré. Un coup de pied circulaire. Contré. Une fois en haut, en bas. Dans le visage, dans l’abdomen, dans les jambes. Une tentative de coup de tête. Puis les genoux s’y mirent, les coudes. C’était tout leur corps qui frappait l’autre. Mais les deux hommes étaient de force égale, avaient suivi le même entraînement. Aucun ne parvenait à prendre le dessus sur l’autre.
Soudain, Clayton fonça tel un taureau sur son adversaire. Il le ceintura à la taille et le poussa jusqu’à le plaquer contre le mur de l’entrée. Débuta alors un long matraquage de l’abdomen de Keith. Celui-ci ne se démonta pas. Il frappa le dos de Clayton, sa nuque aux muscles hyper-développés. Puis il essaya de lui envoyer ses genoux dans la figure. Mais ce molosse de Clayton ne lâchait pas prise.
Keith aperçut le flingue du tueur enfoncé dans la ceinture à l’arrière. Il se pencha pour s’en saisir. Son bras était trop court. Il se tortilla telle une anguille, poussa sur ses pieds jusqu’à se retrouver comme une danseuse classique, sur les pointes. Il ne manquait pas grand-chose. À peine un centimètre. Mais qu’il était dur à gagner ce dernier centimètre !
Millimètre après millimètre, les doigts de Keith s’approchèrent de l’arme tant convoitée. Les néons se reflétaient sur la crosse argentée. Qu’est-ce que Keith avait hâte de la tenir dans sa main ! Bientôt ce serait le cas.
Encore un peu. Deux, trois mouvements de reptation plus tard, il la toucha enfin. Clayton comprit ce que tentait de faire Keith. Il mit un bras en arrière pour saisir son Glock avant le policier. Mais en faisant cela, il lâcha l’étreinte qu’il lui faisait subir.
Keith fut le plus rapide. Il agrippa le flingue, le pointa sur Clayton et tira. La balle traversa le dos, perfora le cœur, ressortit entre deux côtes et se planta dans le sol. Clayton s’écroula alors que son âme rejoignait l’antre du Diable.
― Nick, tu peux sortir, décréta Keith.
Le garçon obéit. Une mare de sang encerclait la dépouille du tueur. Elle grandissait lentement. Nick rejoignit Keith en évitant de marcher dans l’écarlate. Celui-ci se regarda dans le miroir. Il remplit sa bouche d’eau, la recracha rosie. Une auréole se formait déjà autour de son œil gauche. Mis à part cela, il allait bien.
Les deux hommes quittèrent les toilettes. Ils n’avaient pas faire cinq mètres que deux mastodontes apparurent devant eux. Nick les reconnut de suite. C’étaient ceux qui étaient descendus de la voiture à Byron.
Nick et Keith prirent leurs jambes à leur cou. Ils foncèrent dans la populace, bousculèrent à qui mieux mieux ceux qui leur barraient la route. Des plaintes fusèrent de tous les côtés. Mais ils n’avaient pas le temps de s’excuser.
À un croisement, Keith obligea Nick à tourner. Ils poussèrent les portes qui donnaient sur le parking. Ils se précipitèrent vers les voitures et se planquèrent derrière l’une d’entre elles.
Anton Peterson et Russell Vaughn scrutèrent le parking à la recherche de leurs proies. Elles étaient introuvables. Aussi se jetèrent-ils dans la masse de carrosseries bigarrées. Ils zigzaguèrent entre les bagnoles, flingue à la main, prêt à décharger leurs balles sur Keith et Nick.
L’agent du FBI suivit leurs déplacements en regardant sous les véhicules. Par chance, les deux acolytes portaient les mêmes rangers, ce qui facilita la surveillance. Keith et Nick bougeaient en conséquence.
Au bout de cinq minutes de ce jeu du chat et de la souris, Anton en eut assez. Il grimpa sur le toit d’une berline. Puis il sauta de l’une à l’autre, cabossant le métal. Certaines automobiles vociférèrent leur désapprobation à coups de sirènes tonitruantes. Bientôt, tout un quartier du parking pesta dans une joyeuse cacophonie. Mais cette technique permit au chef des mercenaires de débusquer ses objectifs.
Keith s’en aperçut. Il tira vers Anton. L’homme riposta et sauta en bas du véhicule. Prudemment, il se dirigea vers sa cible. Quand il arriva, Keith et Nick avaient pris la poudre d’escampette, serpentant parmi les véhicules, veillant à rester hors de la vue des deux assassins.
Soudain Keith avisa une jeune femme qui sortait de sa citadine. Il fonça vers elle. Il plaqua la main sur sa bouche.
― Retournez derrière le volant, ordonna-t-il.
La femme tremblait de la tête aux pieds. Cependant elle obtempéra.
― Nick, monte devant.
Keith s’installa prestement à l’arrière.
― Démarrez, commanda-t-il.
La prisonnière mit la marche arrière, sortit de la place.
― Quittez le parking.
Elle fit ce qu’il demandait. Elle s’engouffra dans la circulation. Le policier vérifia qu’ils n’étaient pas suivis. À première vue, non.
― J’ai pu constater hier que tu savais tenir un volant, dit-il à Nick. Tu sais passer les vitesses et utiliser les pédales ?
― Oui, un peu. Pourquoi ?
― Va falloir que tu prennes ma place.
Keith écarta la main de son ventre. Elle était maculée de sang.
― Vous êtes blessé !
― Ah bon, j’avais pas remarqué, ironisa Keith.
― Il faut vous conduire à l’hôpital.
― C’est le meilleur moyen de nous faire repérer. Je ne crois pas que je sois gravement blessé. Pour l’instant, fais-nous sortir de Kansas City. On verra après.
Il se tourna vers la conductrice.
― Madame, arrêtez-vous.
Celle-ci se gara. Il la força à redescendre.
― À toi de jouer, Nick.
Celui-ci passa la première. Il n’avait pas beaucoup d’expérience en la matière. Heureusement, Keith le guida pour changer de vitesse. Après un long errement dans les rues de celle qui était à cheval sur le Kansas et le Missouri, ils quittèrent la ville.
― Comment ont-ils su que nous étions là ? s’enquit Nick.
― Je ne sais pas.
― Je vous jure que je n’ai appelé personne.
― Je sais bien. Tu oublies qu’on ne s’est plus quittés depuis Minneapolis.
― Alors, comment ?
― Sans doute un traceur GPS.
― Un quoi ?
― Un traceur GPS. C’est un petit boîtier qui envoie un signal régulièrement à un serveur à distance. Ainsi, on sait où la voiture se cache.
― Comment l’ont-ils placé sur la voiture ?
― Ils ne l’ont pas placé. Ils l’ont tiré. Je présume qu’une des balles que Peterson et ses sbires ont lancé sur nous à Byron était en fait un traceur. C’est une nouvelle technologie. Très efficace au demeurant. J’avoue que je n’ai pas consciencieusement vérifié la berline après leur mitraillage. J’aurais dû.
Nick roula sur une bosse, faisant grimacer son passager. Le blouson de celui-ci était imbibé de sang. Il commençait même à se répandre sur le siège arrière.
― Vous êtes sûr que ça va aller ? Faudrait peut-être trouver quelqu’un pour vous aider ?
― Ce serait trop dangereux.
― Qu’est-ce qu’on fait alors ?
― On avance.
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