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La voix de Laura emplit l’air, cristalline et joviale. À l’évidence, elle avait un peu trop bu :
— Mais si, regarde ils sont tous partis.
— On va nous attendre à table…
— Et alors ? Ce n’est pas encore notre mariage, ils peuvent bien attendre un peu. Et puis au pire, ils commenceront sans nous…
— Tu es folle ! s’exclama une voix grave en riant.
Le couple entra dans leur champ de vision réduit et Clémence se mordit les lèvres. L’homme portait le blazer de rigueur, ses cheveux très bruns impeccablement retenus par une épaisse couche de gel. Comment avait-elle pu croire que Thomas était l’heureux élu ? Il ne correspondait absolument pas au décorum.
Avec une lenteur calculée, Laura se détacha de son futur époux et glissa un doigt sur le premier bouton du blazer pour le faire sauter. Malgré ses réticences initiales, son fiancé se laissa faire, son attention portée sur la fermeture éclair de la robe de satin qui courait des côtes à la hanche.
C’est une plaisanterie Laura ! Tu ne vas pas me refaire le coup quand même ?
Soudain, l’attention de Clémence fut détournée de la scène. La main de Thomas avait légèrement glissé et les narines de sa prisonnière s’en trouvèrent recouvertes en même temps que sa bouche. Alors que les vêtements glissaient au sol de l’autre côté de la porte en métal, elle se retrouva à tambouriner contre le torse de son geôlier pour obtenir son attention. En réaction, la main s’enleva complètement pour aller se placer sur la paroi derrière elle, mais Thomas ne lui accorda pas un regard pour autant. Ses yeux étaient fixés sur celle qui, de moins en moins couverte, venait de faire glisser ses doigts sous le pantalon de son amant.
Malgré elle, Clémence se prit à les observer elle aussi. Les mouvements de va-et-vient de la main lui tordaient les entrailles. La sensation en était presque douloureuse mais, trop confus pour faire le tri, son esprit en réclamait plus. Elle comprit que malgré l’absurdité de la situation et la nécessité d’être libérée au plus tôt, malgré la perversité de son désir, elle voulait que Laura aille plus loin. Elle voulait voir jusqu’où. Elle en avait besoin.
La scène des toilettes l’avait prise par surprise, choquée même. Pas parce que qu’elle n’y était pas préparée, mais parce que c’était Laura, la gentille et innocente Laura. Découvrir la vraie nature de la jeune femme l’avait remuée, mais à présent qu’elle la connaissait, seule l’excitation demeurait.
La main du fiancé vint à la rencontre de la tête blonde impeccablement coiffée, mais Laura la renvoya avant qu’il le la caresse.
— Ne touche pas à mes cheveux si tu veux éviter qu’on se fasse griller. Laisse-toi faire plutôt.
Après avoir repoussé son amant vers le large canapé faisant office de sièges de cinéma, elle entreprit de libérer sa virilité en tirant d’un coup sec sur ce qui restait de ses vêtements. La verge prit rapidement l’ampleur qui lui avait été refusée jusque-là et, avec un regard intense, Laura reprit ses caresses, n’utilisant cette fois que l’extrémité de ses doigts, ses lèvres fines brillantes de gloss à un souffle à peine du sexe de son compagnon.
À moins de trois mètres de là, Clémence sentit qu’elle allait défaillir. Le corps de Thomas se tendait, mais un bref coup d’œil dans sa direction lui apprit que c’était de colère et non d’excitation. Étrangement, cela renforça son propre désir. Lorsqu’il bougea légèrement pour les suivre des yeux, sa cuisse appuya contre le giron de sa prisonnière. La sensation de chaleur humide entre ses cuisses fit honte à Clémence. Sa robe fendue avait glissé et sa culotte entrait en contact direct avec le pantalon de son geôlier. Dans peu de temps, l’humidité croissante traverserait le tissu et il découvrirait fatalement dans quel état elle se trouvait…
Clémence avait les idées de plus en plus confuses. L’air humide lui brûlait la gorge et lui faisait tourner la tête, mais ce n’était plus si désagréable à présent. Ses mains posées sur le ventre et le torse de Thomas se détendirent, soulageant du même coup ses bras endoloris par l’effort. Sans doute surpris par cet abandon, il perdit légèrement l’équilibre et leurs visages se retrouvèrent face à face, bien trop près au goût de Clémence.
Presque sans reculer, Thomas détourna ses yeux d’elle pour ne rien perdre de la scène et elle en fit autant. Laura avait entrepris de soulager l’attente de son amant en utilisant sa bouche. Sans le prendre en elle, elle faisait glisser ses lèvres sur la partie haute de sa verge et embrassait le gland à chaque passage. Lorsqu’elle utilisa sa langue pour la première fois, Clémence entrouvrit la bouche en écho. Sa respiration faisait monter et descendre sa poitrine au rythme des allers et venues des lèvres de Laura. Le futur mari n’y tint plus et attrapa sa promise par la nuque tandis qu’elle le prenait enfin pleinement en bouche.
Alors qu’ils partageaient un grognement satisfait, Clémence sentit à nouveau Thomas se tendre, mais lorsqu’elle observa son visage trop proche du sien, elle ne perçut plus seulement de la colère. Sa respiration perdit le fil des mouvements de Laura tandis que ses jambes affaiblies par la position impossible à tenir flanchaient peu à peu. La pression de sexe sur la cuisse de Thomas s’en trouva insupportablement et délicieusement renforcée. À présent entièrement dénudée, sa cuisse finit par rencontrer l’entrejambe du voyeur. Elle fut effrayée par la tension qu’elle y trouva.
Quelle hypocrite je fais ! Il est exactement comme j’espérais le trouver.
Le contact ramena l’attention de Thomas sur elle. À moitié par faiblesse, à moitié par envie, elle laissa tomber la main qu’elle avait plaqué sur son ventre. Ses doigts terminèrent leur chute contre la cuisse que Clémence chevauchait littéralement. Du bout de l'index, elle perçut les pulsations du sexe retenu prisonnier sous le tissu. Leurs regards se croisèrent durant quelques secondes d’une intensité qui lui fit presque oublier la scène dont ils étaient témoins. Comme d’un commun accord, ils se détachèrent au même instant l’un de l’autre pour reporter leur attention vers l’extérieur.
Poussée sur le dos en riant, Laura laissa son fiancé achever de la déshabiller. Le string fin roula sur les hanches aux muscles dessinés et Thomas laissa échapper un très léger gémissement lorsque la lingerie vola dans leur direction pour venir frapper la porte à quelques centimètres de leurs visages. Une odeur à la fois musquée et sucrée lui parvint avant de disparaître, étouffée par celle omniprésente de Thomas. Pour la première fois, Clémence remarqua à quel point il sentait bon. Ce n’était pas l’odeur d’une eau de toilette, mais bien celle, naturelle et virile, de l’homme qui partageait sa cachette.
Les mains plaquées sur sa bouche, Laura contenait à grand peine les cris de jouissance que lui procurait son compagnon, sa tête enfouie derrière ses cuisses fuselées. Au bout d’un moment, Clémence se rendit compte qu’elle imitait inconsciemment les mouvements du bassin de sa secrétaire. La main de Thomas vint se plaquer contre le ventre en mouvement, comme s’il la suppliait d’arrêter, mais elle l’ignora. Avait-il pris en compte la moindre de ses plaintes ou de ses besoins depuis qu’il l’avait forcée à le suivre dans cette pièce ? Le visage collé contre l’ouverture pour profiter au mieux de la scène, elle n’eut pas un regard pour lui lorsqu’il tenta de la repousser. Son mouvement était sans force, privé de la moindre conviction, tandis que les siens répondaient à un besoin qui dépassait son entendement.
Le visage du fiancé remontait doucement le long du corps de sa partenaire, qu’il parsemait de baiser. Tout en dévorant du regard les formes douloureusement parfaites de Laura, Clémence laissa sa main glisser plus bas en imitant leur rythme et, à l’instant même où Laura gémissait de plaisir en accueillant la chair de son amant en elle, la prisonnière empoigna le sexe de son bourreau, provoquant chez lui un grognement d’une force inattendue. La main qu’elle avait laissé sur son torse vint se loger sur la bouche de Thomas pour étouffer tout nouvel éclat. Ravie d’avoir inversé le rapport de force et leurs rôles respectifs, elle se détourna de lui pour suivre les ébats du couple.
Loin de la collision presque bestiale qu’elle avait surprise dans les toilettes, l’union était cette fois pleine de douceur et d’attentions réciproques. Le rythme était lent, mais s’accélérait peu à peu, forçant Clémence à suivre, une main plaquée de plus en plus fort contre la bouche de sa victime tandis que l’autre allait et venait sur le sexe dur comme l’acier qui cherchait à se libérer sans trouver grâce sous sa prison de vêtements.
De plus en plus puissants, les gémissements de Laura faisaient battre le cœur de Clémence, non de désir pour la jeune femme ou par envie de prendre sa place, mais d’une excitation toute perverse qu’elle découvrait : celle de voir sans être vue, de savoir sans être découverte et, surtout, de partager cette complicité avec un partenaire dont elle avait fait sa chose pour quelques instants, son outil vivant pour atteindre l’extase.
Les cris de Laura atteignirent leur paroxysme et Thomas empoigna la chevelure de Clémence au niveau de la nuque, forçant son visage à aller se coller contre sa poitrine, tandis qu’elle le sentait jouir dans sa main. Un dernier regard pour le couple enlacé lorsqu’il la relâcha lui apprit que tout était fini. À nouveau, il fallait faire silence, être discrets. L’air manquait à Clémence, mais la sensation d’étouffement n’avait plus rien d’effrayant. Même l’obscurité et l’exiguïté semblaient rassurantes. Était-ce l’hypoxie qui avait eu raison d’elle ? Peut-être avait-elle réellement tourné de l’œil dès les premiers instants d’enfermement et savourait-elle un ultime rêve pendant qu’on l’étranglait en profitant de son inconscience ?
Regarder le couple se rhabiller n’eut pas grand intérêt. Les corps n’avaient plus le même souffle, la même vigueur. Les positions prosaïques qu’on adoptait dans ces instants étaient comme un affront à la splendeur des minutes précédentes. On allait au plus pratique, sans plus se soucier de désir ou d’excitation. C’était la gueule de bois de tout coït : le moment un peu honteux durant lequel on cherchait ses vêtements, où l’on devait se pencher nue pour trouver un bas ou un soutien-gorge, exposant une chair sans fard que nul ne désirait plus. C’était le détestable après où tout était dit, mais durant lequel on ne pouvait encore se séparer, comme un couple divorcé forcé de cohabiter dans la même maison.
Enfin rhabillés, Laura et son fiancé quittèrent la pièce en gloussant, permettant à Clémence de reprendre sa respiration avec plus de vigueur. D’une main tremblante, Thomas libéra le loquet de la porte et manqua de peu de s’effondrer en sortant. Son érection toujours bien visible l’obligeait à marcher courbé. Malgré la laideur de la tâche qui fleurissait sur le haut de sa cuisse, Clémence ne put qu’admirer la fermeté que son sexe conservait. Ce n’était pas Laura qui avait provoqué cette ultime érection tandis que la jeune femme se rhabillait en ricanant, c’était la lente caresse que Clémence avait continué de lui administrer alors qu’elle plongeait ses yeux dans les siens.
Thomas chercha quelque chose à dire en reculant, une main dans ses cheveux humides pour tenter de les rediscipliner, l’autre le protégeant d’une éventuelle chute en veillant à ce que sa jambe ne heurte pas le canapé dans son dos. Clémence sortit à son tour, sa robe fripée en partie déchirée. L’une de ses bretelles était tombée de son épaule et elle sentait ses cheveux collés à son front et sa nuque, transformant son impeccable carré long en une mascarade de coiffure. Elle s’en moquait. Elle n’avait pas envie d’être belle, encore moins de plaire. Elle ruminait l’événement, les yeux rivés sur celui qu’elle avait fait sien, bien plus encore que si elle s’était offerte à lui.
Finalement, il se retourna et s’enfuit presque en courant. Clémence resta un long moment immobile, les yeux perdus dans le vague. Même si cela n’avait été qu’un accident, elle avait goûté à l’interdit, un fruit défendu qu’on avait fait pousser rien que pour elle. Peu à peu, elle sentit ses lèvres s’étirer pour former un sourire sans bienveillance. Thomas croyait s’en sortir à si bon compte ? Il l’avait séquestrée, presque étouffée. Pourtant, c’était lui et lui seul qui avait été récompensé. Il était hors de question qu’il s’en tire comme ça. Laura avait joué son rôle, Clémence également, et Thomas avait profité de leurs bienfaits sans lui offrir ce qu’elle désirait en échange. Elle n’était pas parvenue à l’extase. Il lui en fallait plus, bien plus encore.
Et j’ai une sainte horreur du travail non terminé…
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