Natacha
Un QI de 133. Qu’est-ce qui ne faut pas entendre… Je suis allongée sur mon lit dans mon appartement. Saint-Sauveur met à disposition des élèves non pas un internat mais une résidence de style universitaire. L’une des conditions sine qua none d’entrée ici est de rester sur place afin de maximiser la réussite scolaire selon M. Van der Bund. Nous ne rentrons chez nous que tous les quinze jours, ce qui dans mon cas est très difficile à vivre. De plus, nous avons cours toute la journée du samedi… Ne nous reste de libre que le mercredi après-midi et le dimanche, bien que nous ayons des visites de musées et autres endroits historiques obligatoires à faire durant ces moments de “liberté”.
Évidemment, cet internat de luxe n’est pas donné : c’est pour cela que seuls ceux qui ont les moyens peuvent espérer inscrire leurs progénitures ici. Être riche ne suffit pas, heureusement. Le dossier scolaire doit être impeccable. Enfin, certains d’entre nous bénéficient tout de même d’une bourse exceptionnelle, ce qui est censé être mon cas.
La journée est enfin terminée. Après le dernier cours, Jonathan a été convoqué dans le bureau du proviseur. Ça n'aura pas tardé… M. Risin est sûrement allé se plaindre. Mon téléphone sonne.
- Salut Mlle l’élève !
- Bonsoir, Patrick…
- Alors cette vie de lycéenne ? Ça te rappelle des souvenirs ?
- Oui j’avoue, je pouffe. Mais pas que des bons je t’dirai… Bref… Tu as quelque chose pour moi ?
- Tu as déjà entendu parler des voyages scolaires dans ton bahut ? Parce qu'à mon goût il en fait beaucoup !
- Il doit sûrement avoir des échanges scolaires vu qu’il y a des classes européennes ici et trois langues s’il te plaît ! Anglais, espagnol et allemand. Sans compter le chinois et quelques langues régionales… Pourquoi ?
- Le proviseur ne se contente pas d’envoyer ses élèves dans les pays européens mais aussi ailleurs : Inde, Malaisie, Madagascar et j’en passe !
- Effectivement c’est pas commun… Je vais me renseigner pour voir.
- Ce n’est peut-être rien mais c’est à creuser… et de ton côté ?
- Il faut que je trouve un moyen d’entrer dans le bureau du CPE : il y a eu des conseils de discipline dernièrement mais rien n’a fuité… Ah… Une dernière chose… Peux-tu me fournir des renseignements sur un certain Lara Jonathan s’il te plaît ?
- Mmmmh… c’est qui ? Un prétendant ?
- Oh arrête ! Tu sais bien que je ne peux pas !
Même s’il est très mignon…
Toi, la voix, tais-toi !
- Tu pourrais si tu le voulais… Il ne tient qu’à toi !
- Stop. Je ne peux pas lui faire ça et tu le sais…
- Ok, ok… J’arrête, je ne veux pas te faire de mal, tu sais que je ne souhaite que ton bonheur ma belle. Tu aurais sa date de naissance ? Ses nom et prénom sont assez communs…
- Je vais lui demander ou tout du moins essayer d’avoir l’info. Je te texte dès que je l’ai.
- Très bien. A plus ma belle !
- À plus Patrick.
Je soupire. Mes années lycée. Je ferme les yeux et laisse mon esprit vagabonder. Je revois malgré moi l’enceinte de Jules Verne, ses bâtiments repeints de couleurs vives pour rajeunir le lycée vieux de cinquante ans, le snack dans lequel on aimait traîner… STOP ! Ne va pas plus loin, zone dangereuse ! Je me force à ouvrir les yeux, juste à temps pour endiguer la vague de tristesse qui menace de me submerger. On frappe à la porte. Ça ne peut être qu’une seule personne.
- Entre Stev !
Ce n’est pas Stev. Jonathan ouvre la porte, un peu gêné, je crois.
- Oh ! Désolée ! D’habitude, il n’y a que Stev qui passe à cette heure-ci pour me raconter ses dernières trouvailles sur Internet ! Entre, reste pas planté là.
- Tu as pleuré ? me demande-t-il, l'air inquiet.
Quoi ? Oh… Je n’avais pas remarqué qu’une larme (traîtresse!) avait coulé le long de ma joue. Je l’essuie maladroitement et secoue la tête avec un sourire. Je lui indique la chaise de mon bureau. Il la prend, la retourne et s’y assoit à califourchon. Il met ses bras sur le dossier et pose son menton dessus, après avoir dégagé une mèche de cheveux de ses yeux noirs d’un geste de la tête. Yeux noirs qui se fixent dans les miens.
Il est à tomber...
- Ne mens pas. Tu as pleuré, fait-il d’une voix douce.
- Bah… Une larme est passée par là c’est tout. Que te voulait le proviseur ?
- Pfff… M. Risin est allé se plaindre, évidemment. Au fait, merci.
- Merci ? De quoi ?
- De m’avoir accueilli dans… Comment Stev le définit déjà ? Ah oui… Votre binôme de choc !
J’éclate de rire. Oui c’est vrai. Notre binôme de choc. On s’est plu au premier regard avec Stev. Pas besoin de mot. On s’est assis à côté en anglais et on ne s’est plus quitté ensuite. Une vraie alchimie. Je l’apprécie beaucoup. A cause de son homosexualité et de son extravagance, personne ne veut le fréquenter. C’est bien dommage parce que c’est un gars en or !
- Du coup, va falloir changer notre nom… Que dirais-tu de trio de choc ?
- De choc et de charme… Vu les beaux gosses qu’on est avec Stev…
- Dit donc ça va les chevilles ?
Il me tire la langue. Ah oui… c’est vrai il n’a que… que quoi au fait ? dix-sept ans ? dix-huit ans ? Difficile à dire. Je regarde ses tatouages : je m’étais trompée. Ils sont plutôt de style tahitien. Débutant sur le poignet, ils recouvrent pratiquement tout son avant bras.
- Ça m'a fait un mal de chien mais je ne regrette absolument pas.
- Faut être majeur pour le faire non ?
- Si c’est une question détournée pour savoir mon âge, sache que j’ai dix-neuf ans ! m’avoue-t-il en rigolant. Je me sens rougir.
- Tu voudrais pas me donner ta date de naissance aussi ? je réponds, au tac au tac.
- Treize août 2002, madame l’inspectrice, me dit-il d’un ton narquois.
Je lui lance mon oreiller, qu’il rattrape au vol. Mission accomplie. J’ai sa date de naissance qui au passage est le même jour que le mien… Je vais l’envoyer à Patrick dès que Jonathan sera parti.
- On se retrouve sans moi ? fait Stev en entrant.
- Ne sois pas jaloux Stev, tu occupes l’essentiel de la place dans mon cœur, lui répond Jonathan.
Nous éclatons de rire avant de parler de choses et d’autre.
Te voilà en train de nouer une nouvelle amitié…
Alors que je ne devrais pas...
Annotations