Jonathan
Vendredi soir. Après l’heure d’étude, je retrouve Nat.
- Tu ne rentres pas ?
- Non, le week-end prochain seulement… me répond-elle tristement.
Pourquoi a-t-elle l’air si triste ?
Nous rejoignons le bâtiment et elle m’invite à entrer. C’est la deuxième fois que je viens dans sa chambre. Je suis un peu gêné je crois. Elle s’assoit sur son lit et rejette une mèche de ses cheveux d’un léger mouvement de la tête accompagné d’un petit souffle.
A-t-elle conscience du sex-appeal qu’elle a ?
- Nat ! Tu ne devineras jamais ce que j’ai trouvé !
Stev fait irruption dans la chambre, essoufflé, l’ordinateur sous le bras et se fige lorsqu’il me voit. Vu sa tête, il est allé chercher des infos sur moi et ne s’attendait pas à me trouver là.
- Je t’écoute, Stev. Qu’as-tu trouvé sur moi ?
Merde. Merde. Merde.
Je ne sais absolument pas ce qu’il a pu trouver. Ce ne peut pas être ce qui m’a valu trente ans de réclusion criminelle… j’étais mineur au moment des faits : mon nom n’apparaît donc nulle part. En revanche, il peut trouver des infos sur mon père… Et comme je lui ressemble comme deux gouttes d’eau…
- Ah… euh… t’es là… Je croyais que tu étais rentré...
Bah non… Comme tu le constates...
- T’es lourd Stev ! Sérieux ! lance Natacha.
- Laisse tomber Nat, je n’ai rien à cacher… (Enfin presque…). Vas-y déballe. De toute façon tu allais le faire, autant que je sois là.
- Je me sens comme une merde d’un coup là…, chuchote Steven.
- C’est parce que tu l’es abruti ! tranche Natacha d’un ton sec. S'il avait envie de nous parler de sa vie, il l’aurait fait, tôt ou tard. Tu fais littéralement chier Stev…
Son attitude semble plus décontenancer notre ami gay que ses propres découvertes. Ses yeux passent de Nat à moi, de moi à Nat. Un petit sourire lubrique passe sur ses lèvres. Mais quel idiot ! Je suis sûr qu’il est en train de s’imaginer tout et n’importe quoi… Je dois savoir ce qu’il a découvert sur moi, sinon je vais en faire une psychose…
- Vas-y accouche. Qu’est-ce que tu as trouvé ?
- Tu n’es pas obligé, Nathan. Tu m’en parleras quand tu seras décidé.
- Au point où on en est et vu comment il trépigne autant en finir.
Steven n’arrête pas de sautiller. Il regarde Nat l’air de dire “tu vois, tu vois ! Il est d’accord !”. Elle soupire.
Tient, la même mauvaise habitude que moi…
Natacha me regarde pour obtenir mon approbation, je hoche la tête. Elle fait signe à Stev de venir s’asseoir à côté d’elle.
Stev, dit, tu veux pas échanger de place ?
Mais à quoi je pense moi ? Il va peut-être déballer des choses que je ne veux pas qu’on sache et moi je veux juste m’asseoir à côté de Nat ?
À côté de la jolie Natacha tu veux dire ?
Oui, bon, à côté de la jolie Natacha.
Je tente de remettre mon esprit à l’ordre. Qu’est-ce que Steven a pu découvrir ? Natacha me regarde l’air impatient. Oh. Elle s’est décalée pour que je puisse m’asseoir à côté de Stev’. Je m’exécute, un peu anxieux. Il pose son ordi sur ses genoux et d’un geste théâtral l’ouvre. A l’écran apparaît... mon dossier scolaire.
Pffff. Plus de peur que de mal…
Quoi ? Tu avais peur qu’elle découvre que tu es un criminel notoire mon petit Jo?
La ferme.
Natacha pousse un sifflement admiratif.
- Renvoyé de trois collèges ? Rien que ça ? Pas mal…
- Mmmmhhh… Pour ma défense je passais par une phase difficile de ma vie…
- On appelle ça la crise d’adolescence mon chou ! se moque Steven.
- On va dire ça…
Alors que ce n’était absolument pas le cas… Maman venait de découvrir deux choses : l’infidélité de son mari et son cancer… Je venais de rencontrer mon demi-frère Alain qui avait un an de plus que moi par un total hasard. Nous fréquentions le même collège et sommes tombés dans la même classe. Notre ressemblance physique était choquante. A un détail près : ma peau est plutôt blanche alors qu’Alain était clairement métissé.
- Tu veux en parler ?
La question de Natacha me tire de ces mauvais souvenirs. Est-ce que je veux en parler ? Pas vraiment… Mais étant donné la nature curieuse de mon nouvel ami…
- Ma mère venait de découvrir qu’elle était malade… cancer des poumons alors qu’elle ne fumait pas… bref. Et moi, j’ai fait la connaissance de mon demi-frère Alain qui avait un an de plus que moi. Maman était anéantie par ces deux nouvelles : elle a sombré dans un état dépressif qui n’a pas arrangé sa maladie. J’en ai beaucoup voulu à mon père et je me suis vengé de la seule manière que je pouvais : en lui en faisant voir de toutes les couleurs. Ce n'était pas de la colère que je ressentais mais quelque chose de beaucoup plus violent.
- Ouh là… effectivement.
Steve est tombé sur le rapport d’incident de M. Chaffreux. Je manque de m'étouffer. Je ne l’ai pas épargné celui-là… Natacha le lit à voix haute.
- Rapport d’incident de M. Lara, classe 3e1. Jonathan s’est permis de me reprendre lors de mon cours de manière insolente et violente. Lorsque j’ai voulu le remettre à sa place, il s’est permis de se lever et de menacer physiquement. J’espère que celui-ci sera sévèrement puni. C’est de ça que parlait M. Risin ?
- Fait défiler tu comprendras.
- Un dépôt de plainte ? Pour violence verbale et physique…
Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait mais je ne le regrette absolument pas. Je prends le temps de leur raconter cet épisode.
- C’était le prof de français. La découverte de l’infidélité de mon paternel a évidemment fait le tour du collège : il n’y avait pas une seule personne qui ne le savait pas. Il faut dire qu’Alain et moi pouvions passer pour des jumeaux ! Bref, Chaffreux avait prévu de faire une étude de texte sur le thème des relations amoureuses au XIXe siècle. Et là il parle d’infidélité et cite mon cas en exemple. Cela m’a mis hors de moi. Il faut dire que la veille, ma mère avait fait une rechute et était repartie pour l’hôpital une énième fois. Je lui ai mis le doigt sous le nez en lui demandant de retirer ses paroles ou je lui casserais la gueule. Il ne l’a évidemment pas fait et m’a renvoyé de cours. Le CPE n’a rien voulu entendre de mes explications… Mon comportement de l’époque ne jouait pas en ma faveur bien sûr… Mais là, je n’avais rien fait. Pour une fois. En sortant du collège ce soir-là, je suis rentré à pied, histoire de me calmer. Chaffreux m’attendait à deux croisements de chez moi. Il s’était fait remonter les bretelles car des camarades de classe sont allés se plaindre de son comportement envers moi. Il a fait la seule chose qu’il ne fallait pas : menacer de pourrir la scolarité de mon petit frère Mathéis. Je lui ai donc cassé la gueule. Avec la promesse que s’il touchait à seul cheveu de mon petit frère je n’hésiterai pas à recommencer. Une semaine plus tard, j'étais viré. Voilà.
- Et pour la plainte ?
- Je suis passé devant le juge des enfants. Il a fallu que je m’excuse et mon père a dû payer une amende de 2 500 euros. Comme si ce con n’avait pas déjà assez de fric. En revanche, Chaffreux a été obligé de changer d’établissement… Je ne l’ai plus revu.
Nat regarde sa montre.
- Bon, assez d’histoire pour ce soir ! Il est 21 heures ! Dehors vous deux !
- À vos ordres, chef !
Stev se penche et pose un bisou sonore sur la joue de Nat. Elle rigole et lui souhaite bonne nuit en lui faisant un câlin.
Tu aimerais faire la même chose hein ? Mais pas sur la joue…
Oui, pas sur la joue.
Le temps que je reprenne mes esprits, Nat a déjà mis Steven dehors et me regarde. Ses yeux ont l’air de dire “Tu attends quoi exactement ?”. Je me lève à regrets. Arrivé dans le couloir, Natacha me retient par la manche de mon T-Shirt, se met sur la pointe des pieds et me fait un délicat baiser sur la joue.
- Bonne nuit, Jonathan.
Et là, elle referme la porte.
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