DDDRRIIIINNNNNNGGG !

Fichue sonnerie !

Natacha se reprend. Elle se lève d’un bond, essuie ses joues et affiche un sourire de winneuse, bien que factice.

Combien de temps t’es-tu entraînée pour obtenir un tel résultat ?

• Bon on y va ? me dit-elle, en me tendant une main.

Je la prends, elle la serre. Merci, semble me dire ses yeux. Et c’est ainsi que nous nous dirigeons vers la salle de cours, main dans la main. Nous croisons Virginie dans le couloir, accompagnée de Vincent et de Laura. Natacha essaie de me lâcher la main.

Hors de question.

Pour une fois la voix, je suis d’accord avec toi.

J’accentue la pression sur ses doigts et elle lève vers moi des yeux remplis d’incompréhension. Virginie me décoche un sourire mille watts avant de s’apercevoir de nos mains entrelacées.

Tiens, il y a une panne de courant à la centrale électrique ou bien ?

Comprenant que je ne la lâcherai pas, Natacha hausse les épaules et se laisse faire. Vincent me foudroie du regard avant de hocher la tête, l’air d’avoir compris quelque chose d’important. Nous les dépassons, je ne la regarde même pas. J’espère qu’elle a compris le message. Nat garde la tête haute malgré les insultes que cette peste a pu dire à son encontre et le mal que cela lui a fait.

Tu ne perds rien pour attendre Miss Bimbo. Je compte bien te dire ce que je pense de ton attitude.

À l’heure d’étude, nous sommes chacun dans un box afin de “garantir le silence et le travail personnel”. Foutu règlement à la con. Je profite de ce moment pour jeter un œil sur ce qu’on trouve sur moi sur la toile. Pas grand chose : quelques photos tirées d’un compte Facebook fermé depuis longtemps et des images que j’ai téléchargées comme modèle de mes dessins.

Comment Steven a fait pour trouver ton dossier scolaire ?

Bonne question. Va falloir que j’aie la réponse. Je lui demanderai ce soir.

Je sors la clé USB que Varaud m’a confiée : elle est censée me fournir des infos sur ma soi-disante vie. Heureusement, ils ont gardé l’essentiel : ma famille, ma scolarité… Tout y est. Sauf ma condamnation de trente ans : à la place, je suis un voleur de voiture, trafiquant de drogues à mes heures perdues qui peut devenir violent. Je rigole doucement : je cadre parfaitement avec ma mission. Selon ce faux dossier, j’ai pris deux ans de prison, ce qui expliquerait pourquoi à dix-neuf ans je n’ai pas encore mon bac malgré mon fabuleux QI. Ils ont pensé à tout ma parole ! Je ferme la page juste à temps. Natacha me tape sur l’épaule.

• On y va ? Après le repas, je vais regarder un film chez Stev. Tu te joins à nous ?
• Pourquoi pas !
• J’espère que tu aimes les mangas, chez Steven il n'y a rien d'autre ! me fait-elle avec un clin d'œil.

Ce simple geste résonne jusqu’à ma poitrine et mon cœur se met à battre la chamade. Je range mes affaires et rejoint Stev à la porte. Elle sautille jusqu’à nous et le plus naturellement du monde glisse chacun de ses bras sous les nôtres. J’ai un petit sursaut que seul Steven semble avoir remarqué. Il me regarde par-dessus la tête de Natacha, l'air de dire “elle est comme ça mon vieux !”. Incroyable comment on arrive à se comprendre et ça ne fait qu’une semaine que nous nous connaissons.

Nous devons nous retrouver chez Steven aux alentours de 20h00. Je passe à mon appartement pour y déposer mes affaires et cacher ma clé USB. Personne ne doit la trouver et si je me fie à mon instinct, le prochain à recevoir ce sera moi. Je me passe un peu d’eau sur le visage et me remémore ce qu’est censé avoir été ma vie ces deux dernières années : voleur de voiture, trafic de drogues douces, violence. Gé-nial. J’espère que ça ne sonnera pas le glas avec mes nouveaux amis.

Si c’est le cas, c’est qu’ils ne devaient pas tenir à toi tant que ça.

Mouai… En même temps ça ne fait qu’une semaine et on ne s’est pas juré une amitié éternelle non plus...

Ah vraiment… Pourquoi tu trembles alors ?

C’est vrai ça… Pourquoi je me sens fébrile tout à coup?

Crétin… s’ils te lâchent pour si peu que penseraient-ils de la vérité ? mmh?

Après tout, je ne suis pas ici pour me faire des amis.

Mais oui… on y croit…

En sortant, je croise Virginie dans le couloir. Dès qu’elle m'aperçoit, elle sourit et gambade vers moi. Mon soupir d’exaspération la stoppe net dans son enthousiasme.

• Euh… Jonathan ? fait-elle d’une voix mielleuse.
• Écoute Virginie. Je vais être clair. Toi et moi nous ne serons jamais que des camarades de classe, rien de plus. Et au fait, je t’ai entendu discuter enfin insulter je devrais dire Natacha avec ton amie. Ton comportement me dégoûte. Je ne serai jamais à toi, même pour une nuit. Sur ce.

Je la laisse plantée là, bouche bée dans le couloir et m’en vais sans me retourner. Je pense qu’elle a compris. J’ai juste le temps de l’entendre claquer la porte de son appartement. Je descends chez Steven, le cœur un peu plus léger. Natacha y est déjà. Ils sont tous les deux allongés sur un tapis à poil long, d’un vert émeraude où trois coussins sont disposés, autour d’un ordinateur dont l’écran est encore noir.

J’ai comme l’impression d’avoir coupé court à une conversation des plus intéressantes.