Jonathan
Le jour où ce connard a débarqué à la maison, j’étais de retour au lycée. Alain et moi avions fait la paix au prix d’un certain nombre d’efforts. Pas que nous nous aimions comme des frères mais on pouvait se voir sans se taper dessus. Ils nous arrivaient même de passer de bons moments ensemble. Mathéis l’avait rencontré aussi. Enfin, nous venions d’apprendre que le cancer de maman était sur la voie de la rémission.
Tout aurait pu aller pour le mieux sans cette énorme dette et les créanciers qui débarquaient à la maison pour réclamer telle ou telle somme d’argent. Les assistants sociaux des établissements scolaires que nous fréquentions commençaient aussi à creuser.
Un soir en rentrant à la maison ensemble nous avons retrouvé notre père heureux comme jamais. Le frigo était rempli et il nous annonça que nous allions nous en sortir maintenant. Myra et Mathéis étaient aux anges tandis que moi je trouvais ce revirement un peu trop brusque. Un peu plus tard, je lui ai demandé où il avait trouvé autant d’argent.
- J’ai tout simplement gagné aux jeux !
Son sourire me paraissait sincère, je l’ai donc cru. C’est d’ailleurs dans cette période que la photo sur mon bureau au lycée a été prise. Nous étions alors dans l'œil du cyclone… Nous commencions vraiment à aller mieux : la famille se resoudait, maman souriait de nouveau et j’avais pris le parti de réussir mes examens.
Mais ce mardi-là, ma vie est devenue un cauchemar.
L’hôpital m’avait appelé, ne réussissant pas à joindre mon père. Ma mère avait fait un arrêt cardiaque : il a fallu la défibriller. Elle se trouvait en réanimation dans un état stationnaire mais son cerveau était resté trop longtemps sans oxygène. Les médecins ne connaissaient pas encore l’étendue des dégâts. J’étais dans une angoisse extrême. Pourquoi papa ne répondait pas au téléphone ?
Je suis donc rentré à la maison. Un énorme 4x4 était stationné dans la cour : je reconnaissais sans peine le véhicule du patron de Ben, une personne qu’il ne fallait surtout pas fréquenter, un avocat véreux. J’ai pénétré dans la maison pour y découvrir mon père en pleine session de passage à tabac. Je me suis jeté dans la mêlée avant d’avoir un flingue posé sur ma tempe.
- Tiens donc… Voilà mon petit informateur… me susurra Ben à l’oreille.
- Ton quoi ?
Je ne comprenais pas. En quoi ai-je été son informateur ?
- Quoi ? Tu piges pas ? A ton avis qui a prêté du fric à ton daron pour ses dettes ?
Là tout devenait clair. Ben m’a écouté lui raconter mes histoires en feignant d’être désolé pour moi… Tout ça pour mieux le rapporter à son patron afin qu’il puisse escroquer mon paternel !
- Maintenant, nous murmura le boss. De deux choses l’une mes cocos. Vous avez un mois. Vous m’entendez… Un mois pour me rembourser votre petite dette… Et les intérêts bien sûr... Sinon… Bye, bye Myra… Bye, bye Mathéis…
Et ils sont partis comme ils sont venus. Mon père était au sol, en sang et en pleurs, marmonnant qu’il ne pourra jamais rembourser cette dette. Jamais.
- Com… Combien tu lui dois ?
- Cent vingt milles euros.
J’étais estomaqué. Cent vingt milles euros. Nous n’avions plus rien que nous puissions vendre pour atteindre cette somme. Et la réunir en un mois ? Impossible. Nous étions dans la merde jusqu’au cou. Je n’ai pas osé lui dire que l’hôpital avait appelé. Cela faisait trop pour cet homme.
J’ai voulu régler ça par moi-même : j’ai été voir les flics. Ils m’ont envoyé balader : l’homme que j’accusais était beaucoup trop important. Et qui voudrait écouter un petit délinquant comme moi ? Je ne savais plus quoi faire. Et c’est là que mon père a eu une idée folle. Une idée complètement stupide.
Il se préparait à braquer une banque.
J’ai essayé de l’en dissuader, essayant de lui faire comprendre qu’entre les films et la réalité un fossé sépare les scénarios possibles. Je n’avais pas encore remarqué que mon père basculait lentement mais sûrement dans la folie. Son besoin obsessionnel de nous protéger faisait de lui quelqu’un d’autre : il est devenu froid, distant, préparant avec soin son plan. Je ne savais plus quoi faire. Le dénoncer ? J’en étais venu à cette conclusion lorsque j’ai reçu dans mon téléphone des photos de Mathéis et de Myra, le visage barré par une croix rouge.
Cet avocat ne plaisantait pas. Il faisait surveiller mon frère et ma sœur. J’étais moi-même terrifié. Finalement, j’ai décidé d’aider mon père. S’il a d’abord refusé, mes conseils l’ont finalement convaincu. C’est moi qui ai planifié le déroulement du casse. Papa avait réussi à avoir le placement des caméras, des fils téléphoniques et des câbles internet ainsi que les horaires de prélèvement de l’argent liquide d’une grande enseigne de la capitale du Sud.
Mon plan n’était pas sans accrocs : tout dépendait du temps de réaction des flics et des mecs du convoi. Il ne fallait pas oublier qu’ils étaient armés et entraînés. Nous devions le faire un mercredi.
Sauf que lui est passé à l’action la veille. Avec l’aide de plusieurs complices. S'ils ont réussi à voler l’argent, papa ne s’en est pas sorti indemne : il s’est pris deux balles dans la poitrine.
Il est actuellement dans le coma.
Je ne sais même pas s’il va s’en sortir.
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