Taito : Hanai Sozaburô III

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Je n'en étais pas à mon premier meurtre, certes. En revanche, c'était ma première fois au lit. J'avais fui le service villageois du yobai et les possibles avances des autres jeunes du village pour me consacrer à celui à qui j’avais juré allégeance, avec qui j'avais en outre conservé une relation platonique. Je me doutais bien que Hanai, lui, n'allait pas se satisfaire de si peu.

Je ne savais pas quoi faire, mais je ne voulais pas l'avouer à Hanai. Heureusement, les choses commencèrent doucement. Le seigneur Hanai me traita comme un invité de marque : il me fit d'abord conduire aux bains où un serviteur me lava soigneusement, puis me fit revêtir un kimono neuf, au moins aussi beau que ceux que possédait autrefois Kairii. On me servit ensuite un repas raffiné, au cours duquel Hanai me rejoignit.

— Parle-moi un peu de toi, Taito, proposa-t-il lorsque nous eûmes mangé, me resservant en saké.

Je trempai prudemment mes lèvres dans l'alcool. J'avais accepté de boire pour calmer mon appréhension quant à la suite des évènements, mais je voulais en même temps rester maître de tous mes moyens.

— Il n'y a rien à dire. Je ne viens pas d'une famille illustre, et je n'ai pas eu une vie très intéressante.

Hanai me regarda.

— Vraiment ?

Sa main s'était négligemment déplacée sur ma cuisse. Je repris une gorgée de saké pour me donner une contenance. Le pire, c'est que ses caresses commençaient à me faire de l'effet.

— Tu sembles pourtant être un guerrier aguerri, en dépit de ton jeune âge. Qui a vécu de nombreuses choses... Tu pourrais me dire comment tu as reçu cette cicatrice qui te traverse l'arcade, par exemple !

Je lui jetai un regard de côté.

— Quand j'avais treize ans. Des bandits de grand chemin nous ont attaqués, ma sœur et moi. Ils en voulaient à sa vertu. J'ai récolté cette blessure pendant le combat.

— Tu as de la chance de ne pas avoir perdu ton œil, fit-il en venant embrasser mon épaule.

— C'est grâce à Yukigiku si je l'ai gardé, précisais-je.

— Yukigiku, hein ?

L'évocation de ce dernier, qu'il prenait pour mon amant, lui faisait visiblement de l'effet. Cela ne m'étonnait guère : tous ceux qui avaient posé les yeux sur Kairii étaient tombés sous son charme, moi le premier. En couchant avec moi, cet homme entretenait sans doute l'illusion de posséder Kairii.

Hanai me renversa sur le tatami. Mon cœur battait à cent à l'heure : je pris une grande inspiration pour le calmer.

— N'aie pas peur, murmura-t-il en passant sa main sur mon obi, qu'il commença à dénouer. Je ne vais pas te faire de mal.

J'avalai ma salive, regardant le plafond ouvragé alors qu'il me déshabillait. Il prit son temps pour me regarder et me caresser, et je restai en sous-vêtements, le kimono ouvert, pendant un long moment.

— Je ne savais pas que tu étais tatoué, observa-t-il en passant sa main sur mes cuisses.

Sa voix était basse, presque rauque, pleine d'un désir qui me faisait sentir très vulnérable.

— Oui, j'aurais dû vous le dire, désolé, répliquai-je d'une voix contrôlée, sans le regarder.

Je sentis ses doigts effleurer mon sillon fessier.

— J'aime beaucoup. Il n'y a rien de plus érotique qu'un jeune homme entièrement tatoué... ça met en valeur les plus belles parties de son corps.

— Si vous le dites.

Toute mon attention était concentrée sur la sensation de ses mains qui s'affairaient entre mes jambes. Il était en train de dénouer mon fundoshi.

Lorsqu'il s'occupa du sien, je me tournai sur le côté, cachant mon visage dans mes bras croisés. Ainsi, il ne verrait pas mon expression. La moitié de la honte me serait épargnée.

Je m'attendais à tout moment à ressentir une douleur cuisante entre les jambes, mais il ne fit pas son affaire tout de suite. Il prit son temps pour me caresser, achevant de parfaire mon état. La réaction de mon corps m'étonnait... J'avais souhaité me garder pour Kairii, quitte à rester niais toute ma vie. Et voilà que mes beaux serments étaient trahis par mes propres réactions physiologiques.

Hanai, prit par le désir, commentait à voix basse tout ce qu'il voyait. Il louait la blancheur de ma peau, sa douceur, et mes caractéristiques les plus intimes. Il disait même apprécier mes cheveux, qui n'étaient pourtant pas coiffés en style Shimada, comme c'était l'usage pour les beaux garçons de la classe des bushi. Je n'étais qu'un fils de rônin déchu, qui s’était fait fermier pour survivre. Mes cheveux étaient taillés à la serpe, non cirés, et relativement courts. Surtout, ils n'étaient pas noirs. Je les teignais régulièrement avec un mélange d'encre de Chine, d'indigo et de brou de noix, mais au lieu de les foncer totalement, cette opération leur donnait une vilaine couleur grise. C'est que, comme par l'effet d'une sournoise sorcellerie, aucune teinture ne tenait sur cette chevelure honnie. Quoi que je fasse, les mèches blanches réapparaissaient toujours. Or, à l'époque, des cheveux qui n'étaient pas noirs étaient aussi déconsidérés que des poils de chien : j'avais donc vraiment du mal à croire que Hanai puisse me trouver attirant. Je devinais que c'était la relation supposée que j'avais avec Kairii qui l'excitait : il m'était impossible d'imaginer qu'on puisse me considérer beau. Du reste, j’avais déjà assez d’expérience du monde pour savoir que les instincts sexuels se passaient aisément de toute considération esthétique. Hanai me voulait parce que j'avais un corps d'adolescent, et que ce corps était selon lui l'objet du désir d'un certain Yukigiku. C'était tout.

Je tiquai un peu en sentant son pouce dans mon anus. La sensation n'était pas insoutenable, mais elle n'était pas agréable non plus.

— Du calme, sourit-il en venant chercher mes lèvres. Je te l'ai dit, je ne vais pas te faire mal.

Il me regardait, caressant mon visage tandis que de l'autre main, il s'affairait à des opérations que je nommerais pudiquement « assouplissements », à grand renfort d'une substance gluante dont j'ignorais la nature.

Je ne savais pas du tout comment réagir à ces nouvelles sensations. Si je m'étais écouté, je lui aurais dit d'arrêter tout de suite. Mais c'était évidemment hors de propos.

— Essayez d'y aller doucement, s'il vous plait, demandai-je en désespoir de cause.

Étrangement, ma requête – qui était tout à fait sincère – fut rerçue avec un regain de passion par mon partenaire. J'appris plus tard que les kagema avaient coutume de demander à leur danna de les « choyer » avant l'acte : ma demande avait sûrement évoqué les minauderies de ces petits mignons à Hanai, qui en était amateur.

La pénétration me prit de court. Je ne m'y attendais plus. Elle fut accompagnée d'une sensation cuisante de déchirement, et elle m'arracha un bref son de gorge, entre le gémissement et le cri, qui mit Hanai dans tous ses états.

— Taito-kun, soupira-t-il en venant chercher mon visage pour m'embrasser.

Je sentis sa langue sur mon oreille. J'avais enfoncé ma tête encore plus profondément entre mes bras, mordant le matelas. C'était le seul moyen pour garder le reste de mon corps relativement souple et détendu, sans bondir hors du futon comme un chat échaudé.

En subissant ces assauts, je me demandais comment Kairii pouvait supporter ça sans broncher. Mon jeune seigneur avait un seuil de résistance à la douleur véritablement étonnant, et je pouvais dire sans me vanter que c'était mon cas également. Mais ce qui était en train de m'arriver dépassait tout ordre de sensation que je connaissais : c'était à la fois extrêmement déplaisant, et, il faut l'avouer, plutôt bon, à la manière d’un bouton qu’on gratte au sang sans pouvoir s’arrêter.

Lorsque le bout de son sexe écrasa cette glande bourrée de nerfs qu'on appelait à l’époque « œuf de dragon », une vague de plaisir inédit m'envahit. Je m'accrochai à l'oreiller, ne pouvant m'empêcher de vocaliser mes sensations.

— Hanai-dono, dis-je simplement, me haïssant immédiatement pour cet aveu de faiblesse.

Je sentis sa main venir caresser mon visage.

— Tu peux m'appeler Sozaburô, Taito-kun, m'indiqua-t-il avec un sourire dans la voix.

Il ne me fallut que quelques minutes de stimulations internes pour parvenir à l'orgasme. Un jet de fluide blanc comme le lait jaillit sur mon ventre, venant tacher les nattes de paille et les motifs ouvragés du kimono que je portais.

Hanai dura un peu plus longtemps que moi. Vers la fin, ses gémissements de plaisir étaient entrecoupés de remarques sur la qualité de mes services, vantant l'étroitesse de mon « chrysanthème », la soi-disant sensualité de ma voix pendant l'amour et la belle couleur nacrée de ma semence, qu'il comparait à un « filet de perles du palais du Roi-Dragon ». Hanai Sozaburô était poète à ses heures, mais cela, je ne l'appris que plus tard. Lorsque ce fut fini, il tourna mon visage vers le sien et m'embrassa longuement, poussant sa langue dans ma bouche de manière tout à fait intime.

— Tu étais vierge, n'est-ce pas ? me murmura-t-il en me regardant.

Il n'y avait rien à répondre à cela. C'était la stricte vérité : aussi gardai-je le silence, me contentant de baisser les yeux sur son torse.

— Je t'ai pris ta virginité... J'aimerais dire que je suis désolé, mais ce serait un mensonge, Taito-kun. Tu es un amant merveilleux. Tu as une beauté entière et pure qui n'appartient qu'à toi... L'expression de ton visage au faîte du plaisir est la plus belle que je n'ai jamais vue. Quant à parvenir à l'orgasme aussi vite, dès la première fois... C'est remarquable.

Je me laissai rouler sur le côté. Je me sentais comme une vile putain. J'avais trahi Kairii en me donnant au type d'homme que j'exécrais le plus : un fonctionnaire sûr de lui, qui savait que sa position et son argent lui donnaient tous les privilèges. La vérité était que j'avais apprécié ce moment : Hanai m'avait libéré de toute la tension sexuelle qui m'habitait depuis des mois, et physiquement je me sentais bien, détendu et repu. Pire que ça, j'étais flatté. Quelqu'un me donnait de la valeur, et en plus, c'était un samurai.

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