L'Abribus (saynète pour deux personnages)

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1 – Bonjour.
2 – Bonsoir.
1 – Vous attendez le bus ?
2 – Oui.
1 – Comme moi.
2 – Mais en même temps, que peut-on faire d’autre sous un abribus ?
1 – Ho, plein de choses, lire un journal, coudre, dormir…
2 – Mais ce n’est pas exclusivement sous un abribus que l’on peut faire ces choses-là. Ce ne sont que des moyens de tuer le temps en attendant l’autocar.
2 – Tuer le temps ? Voilà un bon moyen de cesser de vieillir.
2 – C’est une expression.
2 – Je le sais bien, mais je délirais à haute voix.
2 – À voix basse, je vous aurais tout de même entendu. Nous sommes côte à côte.
1 – Enfin, il demeure un espace.
2 – Où ça ?
1 – Entre nos côtes.
2 – Ah, oui. C’est normal. L’homme est fait ainsi. Les côtes sont espacées pour former la cage thoracique. Si les barreaux d’une cage sont collés, ce n’est plus une cage, mais une boite.
1 – Je veux dire entre nos côtes à nous deux.
2 – Ho, en effet. Heureusement. Je n’ai pas la moindre envie de me coller à vous.
1 – Moi non plus. (un temps) Au fait…
2 – Attention.
1 – Quoi ?
2 – Faites attention à ce que vous allez dire.
1 – Pourquoi ?
2 – Vous dites « au fait ». Cela signifie que vous allez parler un sujet en rapport direct avec le précédent.
1 – Heu, non. Je n’en ai pas l’intention.
2 – Alors n’utilisez pas « au fait ».
1 – Ce n’est pas si grave.
2 – Si. Un tel emploi permettrait les plus folles bassesses. Vous dites « au fait », et vous ouvrez un sujet totalement différent du précédent tout en sous-entendant que c’est votre interlocuteur qui vient de vous y faire penser, alors que c’est vous et vous seul qui l’avez amené ! Cela permet d’orienter la conversation à votre gré sans porter la responsabilité du choix du sujet. Et c’est mal.
1 – Heu… d’accord.
2 – Vous n’avez rien compris ?
1 – Voilà.
2 – Peu importe. Mais pas de « au fait ».
1 – Très bien. Mais permettez-moi cette remarque.
2 – Laquelle ?
1 – Voici : lorsque je suis arrivé, je vous ai salué. « Bonjour » ai-je dit.
2 – « Bonsoir », ai-je répondu.
1 – Là est le problème.
2 – Je ne vois pas pourquoi. Il est plus de dix-neuf heures.
1 – Quand bien même, lorsque vous répondez « bonsoir » à mon « bonjour », vous semblez me corriger.
2 – Et ?
1 – C’est assez malvenu. La bienséance voudrait que l’on ne mette pas mal à l’aise celui qui le premier vous salue en lui faisant bien sentir son piètre choix de vocabulaire.
2 – Vous êtes facilement irritable
1 – Cela ne se résume pas à mon opinion. C’est une politesse élémentaire que d’être
courtois avec autrui.
2 – Si vous ne voulez pas prendre de risque, ne saluez pas.
1 – Ce serait alors moi qui manquerais de respect.
2 – Laissez l’autre saluer.
1 – Impossible. C’est toujours celui qui arrive qui doit saluer celui qui est déjà en place.
2 – Pourquoi ?
1 – Parce que le premier doit le respect au second en raison de son ancienneté.
2 – L’ancienneté ? Je suis arrivé ici cinq minutes avant vous.
1 – Peu importe, vous étiez le premier. Cette règle ne date pas d’hier.
2 – Vraiment ?
1 – Oui. Quand une tribu d’hommes primitifs arrivait sur un territoire déjà occupé, ils offraient cadeaux et salutations à la tribu en place pour qu’elle accepte la cohabitation.
2 – Ne dévions pas sur la politique. D’ailleurs, vous ne m’avez offert aucun cadeau en
arrivant.
1 – De nos jours, le système s’est modernisé. Un simple « bonjour » suffit. Quand il
n’est pas accueilli par un dédaigneux « bonsoir ».
2 – Vous n’allez pas ruminer ça des heures.
1 – J’espère que l’autobus sera là avant.
2 – En parlant de bus, pourquoi appelle-t-on ainsi les abribus ?
1 – On les appelle ainsi ? Moi je dis « abribus », pas « ainsi ».
2 – Je veux dire, d’où vient le nom « abribus » selon vous ?
1 – Eh bien, c’est un abri pour bus, comme un hangar.
2 – Et vous voyez un bus ici ?
1 – De toutes manières, l’endroit est trop petit.
2 – La fonction de cette structure me semble plutôt tournée vers les usagers du bus.
1 – Encore faut-il savoir où se situe sa figure.
2 – Pardon ?
1 – Eh bien oui, pour voir vers quoi elle est tournée.
2 – Considérons donc que cet appentis est destiné à nous protéger.
1 – Mais de quoi ?
2 – Des intempéries.
1 – Mais il ne pleut pas, c’est tout à fait inutile !
2 – Mais lorsqu’il pleut, c’est efficace.
1 – Sauf qu’il faut qu’il pleuve.
2 – En effet, l’abribus dépend de la pluie pour prouver son efficacité.
1 – Je préfère autant ne pas m’abriter et qu’il ne pleuve pas.
2 – Il est vrai que la liberté de mouvement est plus grande.
1 – « Abribus »… ne serait-ce pas plutôt pour nous abriter du bus ?
2 – Comment ça ?
1 – S’il dérape, ou qu’en sais-je... Nous serions à l’abri du bus fou.
2 – Ce n’est pas ces trois planches qui arrêteront un bus emballé.
1 – Dans du papier ?
2 – Laissez tomber.
1 – Mais nous pourrions nous cacher derrière. Et ainsi, le bus fou ne cherchera pas à
nous écraser, puisqu’il ne nous verra pas.
2 – Mais si nous nous cachons, le chauffeur du bus ne nous verra pas non plus et
nous ne pourrons pas monter.
1 – Sur le chauffeur ?
2 – Non, dans le car !
1 – Bus ou car ? Faudrait savoir.
2 – S'il a des soutes c'est un car, sinon, c'est un bus !
1 – Ils devraient construire des véhicules avec des demies-soutes que l'on pourrait nommer "car" ou "bus" selon nos envies. Cela éviterait pas mal de conflits.
2 – Définitivement, je suis convaincu que l’abribus sert à protéger les usagers de la pluie.
1 – Quels sont ces usagers ?
2 – Et bien, vous, moi…
1 – Ah, pardon, mais je ne suis pas usager.
2 – Plaît-il ?
1 – Non, car je ne suis pas encore dans le bus. Une fois entré, et mon ticket payé,
oui, là, je serai usager.
2 – En effet, c’est bien raisonné.
1 – Donc, nous ne sommes pour l’instant pas usagers.
2 – Je le reconnais.
1 – Mais vous pensez également que l’abribus sert à protéger les usagers de la pluie.
2 – Oui.
1 – Conclusion, s’il se met à pleuvoir, nous ne serons pas abrités, car nous ne
sommes pas encore usagers.
2 – Bon sang, mais c’est vrai !
1 – Pourvu qu’il ne pleuve pas.

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