03. Lèche-vitrines

8 minutes de lecture

Joy

— Allez, Princesse, dépêche-toi un peu !

— J’arrive, j’arrive ! me répond-il sans que je ressente vraiment qu’il se presse.

Je soupire lourdement, étalée comme une loque dans le canapé. Théo met toujours trois heures dans la salle de bain, et je ne sais même pas ce qu’il y fiche. Il doit y passer sa vie à se branler, pas possible autrement. Ou alors il aime faire patienter son auditoire. Une Diva, ce mec. Le pire, quand il sort enfin, c’est qu’il est en boxer.

— Oh bordel, mais dépêche-toi, je bosse ce soir, je te rappelle !

— Oui, oui, ça va ! Je n’ai pas ta beauté naturelle, moi, dix minutes dans la salle de bain et bam, tu es une bombe !

S’il savait. Une bombe, tu parles ! Lui, c’est une bombe. Un grand black baraqué, dont les tablettes de chocolat me donnent la dalle. Bon sang, même ma soirée avec Smith ne m’a pas rassasiée, apparemment. Et pourtant… J’ai envie de serrer les cuisses rien que d’y repenser. Un corps très bien conservé, il doit être sportif, surtout vu son endurance. Franchement, si tous les quadras baisent comme ça, j’ai vraiment raté mon éveil sexuel. Y a pas à dire, le mec envoie.

— Tee-shirt blanc ou rouge ?

— Attends, tu plaisantes ? me moqué-je. On va faire les boutiques, pas assister à un gala de danse, Théo !

— Blanc ? Ou rouge ?

— Blanc, soupiré-je en me levant. Et mets tes baskets montantes. Classe avec un pantacourt. On peut y aller, maintenant ?

— Je suis prêt dans deux minutes, petite fleur impatiente.

— Très bien, je descends voir si Léon a besoin de courses en t’attendant alors.

Je dévale rapidement les marches après avoir récupéré mon sac, et vais frapper à la porte de la salle à manger de notre hôte. Je le vois lever la tête et me sourire à travers la porte vitrée. Il referme son journal et me fait signe d’entrer.

Nous vivons ici depuis bientôt un an, et avons trouvé un certain équilibre. Pas très facile au début, d’autant plus que niveau intimité, c’est plutôt limite. Pour monter chez nous, nous devons entrer chez lui et traverser le couloir. Il n’y a pas de porte en haut, ce qui fait que chaque fois qu’il passe de sa pièce de vie à sa chambre, Léon peut nous entendre et inversement. Bref, on fait avec, d’autant plus que le loyer n’est pas cher et que le sexagénaire est une crème.

— Bonjour Léon, tu vas bien ?

— Comme un vieux, ma petite Joy, comme un petit vieux. Tu ne vas pas déjà travailler, si ?

— Non, j’ai des achats à faire pour ma rentrée, dis-je sans pouvoir empêcher un sourire de naître sur mon visage. Est-ce que tu veux que je te ramène quelque chose ?

— Ah, c’est gentil de demander. Je veux bien que tu me prennes une petite bouteille de rosé et un camembert, si ça ne te dérange pas. Pour le reste, j’ai encore de quoi tenir un moment.

— Un Cabernet d’Anjou et un camembert coulant, pas de problème. Si je n’ai pas le temps de repasser, Théo te les déposera. Le voir dans les magasins me fait toujours peur, je sens que ça ne va pas être une partie de plaisir, dis-je alors que j’entends mon colocataire descendre les marches.

— Bon courage, alors ! Théo, sois raisonnable, cette fois ! Je ne te ferai pas cadeau d’un nouveau mois de loyer parce que tu as besoin d’une nouvelle paire de chaussures, rit le papy alors que Théo vient lui faire une bise.

— Je veille au grain, ris-je en piquant le portefeuille de mon ami pour le glisser dans mon sac à main avant d’aller moi-même faire une bise à notre hôte. Allez, on y va, Princesse. Bonne journée Léon !

— Eh ! Mais c’est pas juste, ça, la Bombe ! Rends-moi mon argent ! De toute façon, je n’ai pas besoin de chaussures aujourd’hui, juste peut-être un nouveau pantalon. Et puis, c’est pour toi qu’on va faire du shopping ! Je suis trop content ! ajoute-t-il en tapant des mains rapidement.

— Ce qui n’est pas juste, c’est que je doive payer les courses parce que tu es dans le rouge, Beau Gosse, ris-je en passant mon bras sous le sien. Et calme tes ardeurs, je n’ai besoin que de deux ou trois tenues et de nouvelles chaussures.

Nous prenons rapidement la route pour la ville et je subis des heures et des heures de magasins avec cette fashion victim. J’adore Théo, vraiment. Lui et moi nous connaissons depuis qu’il a intégré mon cours de danse classique alors que j’avais dix ans. Ses parents, fraîchement débarqués de la Capitale, ont finalement décidé, une fois ici, d’inscrire leur fils qui ne réclamait que ça. Il faut dire que son père a tout tenté pour le faire adhérer au foot, puis au basket, mais c’était sans compter sur mon meilleur ami qui n’avait d’yeux que pour les ballets et les chaussons de danse. Il s’est résigné à voir son fils en collant moulant, mais pas que, puisqu’il a fait de la danse de salon. Ce mec a un corps de rêve, un déhanché du feu de Dieu, une technique sublime, un humour décapant, et il est homo. J’ai définitivement la poisse. L’homme parfait, pour un autre mec. Enfin, presque parfait, parce que son enthousiasme pour le shopping, en revanche, je m’en passerais bien. Ce n’est pas avec deux, mais cinq tenues que je finis la journée, et deux paires de chaussures hors de prix. Au moins, je suis prête pour ma rentrée. Fauchée, mais prête.

C’est donc sans regrets que je file au bar ce soir pour renflouer un peu mes caisses. Je salue Roan d’une bise et dépose mes affaires alors qu’il m’observe des pieds à la tête.

— Tu viens bosser en robe, toi, maintenant ?

— Je n’ai pas eu le temps de repasser par chez moi après ma séance de shopping, soupiré-je.

Cependant, en m’habillant ce matin, j’ai envisagé cette option. Et une partie de moi aimerait que ce cher Smith soit de la partie ce soir. Est-ce que c’est malsain d’espérer qu’un coup d’un soir se présente à nouveau en candidat pour la nuit suivante ? Peut-être, mais j’assume. Qui dirait non à un nouvel orgasme ? Pas moi, en tous cas. Alors oui, j’ai volontairement mis une robe. Il fait encore bon même si l’été se termine, et mon petit diable espère grandement que le comptable puisse profiter du spectacle et veuille à nouveau craquer.

— La soirée a été bonne, au fait ? me demande mon patron, me tirant de mes pensées.

— Excellente, oui. Je ne vais pas m’en plaindre, crois-moi.

Je lui fais un clin d'œil et m’attelle à la vaisselle. Le début de soirée se passe plutôt calmement. Un petit groupe de jeunes rockeurs joue sur scène et le bar se remplit petit à petit. Plus ma rentrée approche et plus je me demande si je vais être capable de tenir le rythme, entre mon boulot ici et les journées chargées. J’ai déjà demandé à Roan s’il me serait possible de diminuer un peu mes heures en semaine et de bosser davantage le weekend, et mon boss étant une crème, il m’a dit de ne pas m’inquiéter, que l’on trouverait une solution. Cependant, ce n’est pas tant la fatigue mentale qui m’inquiète. Le physique, ce sera le plus complexe. Dieu merci, je ne vais pas me taper des journées de danse classique et finir les pieds en sang comme j’ai pu le vivre adolescente, et c’est déjà une grande satisfaction.

— Je crois que tu as de la visite, Joy, me souffle Roan alors que je prépare un cocktail.

Je lève les yeux sur le miroir et constate avec plaisir que Smith est arrivé et s’est installé au bar. Il a dû négocier avec le mec à ses côtés, puisqu’il a pris son tabouret. Une douce chaleur inonde mon corps et une certaine excitation prend place, je ne peux le nier. J’ai les hormones en ébullition avec ce type, ça promet.

— Bonsoir, Smith. Qu’est-ce que je vous sers ? lui demandé-je professionnellement.

— Une eau pétillante citronnée, s’il te plaît, me répond-il dans un sourire. Et la réponse à ma question : on recommence quand ?

Je ne lui réponds pas immédiatement et prends le temps de préparer sa boisson. Je l'observe à travers le miroir, constatant qu'il ne me quitte pas des yeux. La satisfaction de savoir qu'il souhaite remettre le couvert est bien présente, mais s'il pense que je vais tomber les deux pieds dedans sans le faire languir, il rêve.

— Votre eau citronnée. Quant à votre question, j'ai peur de ne pas pouvoir y répondre dans l'immédiat. Pourquoi est-ce que l'on recommencerait ?

— Parce que tu m’avais promis de rester toute la nuit et que tu es partie sans un au revoir. Ça manque de conclusion, non ?

— Vu comme ça, effectivement. Et il ne vous est pas venu à l'esprit que si j'étais partie, c'était tout simplement parce que… Je n'avais pas apprécié le voyage ?

Il manque de s’étrangler en m’entendant affirmer que je n’ai pas apprécié notre folle soirée. Je le vois me dévisager et profiter des courbes mises en valeur par la robe que je porte, et je regrette presque instantanément la provocation que je viens de lui faire.

— C’est malheureux si tu n’as pas autant pris de plaisir que moi. Je pense que j’ai le droit à une nouvelle chance pour faire encore mieux, non ?

— Faut voir, dis-je en faisant le tour du bar pour venir me planter à ses côtés. Tu crois que je pourrais être plus satisfaite sur un deuxième round ?

— Je peux te garantir que je vais tout mettre en œuvre pour. Il me semblait que le premier round méritait déjà presque un dix sur dix, alors je suis prêt à viser le score bonus.

— J'ai hâte de voir ce que cela donne lorsque tu te surpasses, alors, susurré-je à son oreille en posant ma main sur sa cuisse.

— Ce soir, à quelle heure ? Chez toi ? Chez moi ? demande-t-il, impatient.

— Je termine à vingt-trois heures et j'habite toujours loin, Smith.

On a un deal à la colocation : pas de sexe. Et pas de walk of shame le lendemain matin. Surtout que Léon est du genre lève tôt. Le dernier petit ami de Théo doit encore se souvenir de sa rencontre avec le sexagénaire à six heures du matin !

— Alors, je vais devoir être patient, murmure-t-il en me posant une main aux fesses.

— Ne commence pas à me peloter devant les autres clients, Smith, sinon ils vont tous s'y mettre, souris-je en le repoussant gentiment. Garde ça pour l'ascenseur, tu veux ?

Et je n'ai qu'une chose à dire : Vivement l'ascenseur ! Et Vivement le douze sur dix !

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