11. Je suis ton père, Kenzo

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Joy

Je baille lourdement alors que je remonte le grand boulevard qui traverse la ville de La Madeleine. Il est quasiment dix-neuf heures et j’ai demandé à Roan de me laisser ma soirée. Je suis éreintée. Franchement, cinq jours de cours ici m’épuisent deux fois plus que les trois boulots que je cumulais avant d’entrer à l’ESD. Les matinées sont consacrées à la danse contemporaine et autant dire que j’ai tout le loisir de pouvoir reluquer le Mytho dans ses joggings moulant plus que de raison ce derrière dans lequel j’ai planté mes ongles à plusieurs reprises. Il m’agace toujours autant, mais bon sang, qu’il est canon ! Je crois ne jamais avoir autant eu les hormones qui dansent. Depuis que j’ai découvert que ce type n’était autre que mon professeur de contempo et responsable de formation, j’ai évidemment arrêté de le voir, mais surtout, je passe mon temps à me tripoter. Truc de fou.

Difficile de ne pas penser à lui quand on se retrouve dans son quartier, en prime.

— Tu vis ici, Kenzo ? On va où, chez ton père ou ta mère, d’ailleurs ?

— Oui, tu crois que je t’emmène où ? Chez un ami ? C’est mon père qui habite ici. Il a un appartement super, tu vas voir.

— T’es sûr qu’il sera pas là, rassure-moi ? Je veux pas déranger, et je t’avoue qu’une soirée films me tente plus qu’une soirée en famille. Pas pour rien que j’évite la mienne, ris-je nerveusement.

— Non, il est de sortie avec sa meuf du moment. Il se tape la secrétaire, je crois. Tu vois le genre.

— Je vois, oui. On arrive bientôt ? Parce que franchement, trois heures de cours le vendredi après-midi avec ta mère, c’est le mauvais plan. Il y a bien longtemps que je n’avais pas eu aussi mal aux pieds après une séance de classique, grimacé-je. Une vraie tortionnaire !

— M’en parle pas. J’ai l’impression d’avoir les orteils en feu. Les pointes à répétition, c’est juste de la torture. On arrive, tu vois, c’est le bâtiment moderne, là, avec vue sur la rivière. Gare-toi dès que tu peux.

— Je confirme, nous faire revoir les bases comme si on était des gamins, soupiré-je en levant les yeux sur ledit bâtiment avant de me piler net. Attends, tu vis dans cet immeuble, là ?

— Wow mollo, tu veux nous tuer ou quoi ? ricane-t-il. Ben oui, pourquoi ? Tu me voyais vivre dans un taudis à Lille Sud ?

— Non, non, murmuré-je en redémarrant pour me garer à quelques mètres de là.

Un foutu hasard, dis-donc ! Quoique, sa mère connaît le distributeur d’orgasmes, peut-être que c’est juste mon cerveau qui fait des connexions tout seul et se monte des films. Pourtant, lorsque Kenzo appuie sur le bouton du dernier étage dans l’ascenseur, mes doutes grimpent à vitesse grand V. J’essaie de me dire que le hasard joue vraiment avec moi, que peut-être il vit dans le second appartement terrasse, mais les connexions sont bien faites dans mon esprit. Je repense à ses mots au sujet du Mytho lors de nos conversations, du regard de ce dernier sur Kenzo lorsqu’il danse. Oh la vache, comment j’ai pu passer à côté de ça ?

Je suis à deux doigts de lui poser la question clairement lorsque je réalise que je me grillerais en beauté si je le faisais. Comment pourrais-je savoir où vit notre prof de contempo ?

— C’est quoi ton nom de famille, au fait ? Je ne t’ai jamais demandé, lui demandé-je l’air de rien en sortant de la voiture.

— O’Brien, pourquoi ? Tu ne l’as pas vu sur la liste ?

Ah non, certainement pas ! Si j’avais vu ça, je m’en souviendrais ! Mon cerveau me hurle bon nombre de grossièretés alors que mon cœur, à cet instant, n’est capable d’entendre qu’une chose : il est sorti avec sa meuf. Smith, le comptable mytho, en baise une autre, et ça m’agace plus que de raison. Est-ce qu’il avait déjà cette nana quand il venait me draguer ? Enfoiré de menteur jusqu’au bout, bon sang !

L’entrée dans l’appartement est beaucoup plus soft que lorsque je suis venue les fois dernières. Il est chaud, le prof de danse, et je ne suis jamais arrivée ici aussi calmement, c’est clair. De même, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion d’observer réellement son logement. Classe, ça paie bien d’être prof apparemment. C’est plutôt grand, industriel, et je me demande comment j’ai pu passer devant le cadre gigantesque au-dessus du canapé, qui représente un danseur, sans jamais vraiment le voir. J’avais vraiment le cerveau embrumé, ou les yeux trop occupés à dévorer le corps de mon amant. C’est vraiment sympa ici, lumineux, classe.

— On se commande des pizzas ?

— Ouais, je crois qu’on l’a bien mérité après cette semaine de folie.

C’est vraiment étrange de me retrouver ici, sans Alken, encore habillée, et bien loin de l’excitation que j’ai pu ressentir. J’ai du mal à me faire à l’idée que j’ai couché avec le père de Kenzo, et le malaise grandit au fur et à mesure de la soirée, alors que nous sortons prendre l’air sur cette terrasse où j’ai joui, que nous regardons un film sur ce canapé… Où j’ai joui. Même cette foutue salle de bain me rappelle le père du mec avec qui je passe la soirée. Pas possible, c’est un foutu cauchemar. Difficile d’oublier cette semaine de sexe plus qu’épanouissante quand on se retrouve sur les lieux du crime.

— Tu veux regarder un autre film ou tu veux rentrer ?

— Un dernier, pas trop long ? T’es sûr que ton paternel ne doit pas rentrer, hein ? ne puis-je m’empêcher de lui demander, mal à l’aise.

— Je ne pense pas, non. Tu n’as pas envie de voir ton prof alors que c’est le weekend qui commence ? Tu sais, à la maison, il est plus cool qu’en classe.

— Ouais, je n’en doute pas…

Je réfléchis à sa question et m’interroge sur le pourquoi, le vrai. Pourquoi est-ce que je n’ai pas envie de le voir ? Parce qu’il m’a menti comme jamais je n’ai été entourloupée ? Ou parce que je n’ai aucune envie de me retrouver face à lui et sa meuf ? Qu’est-ce que ça peut bien faire, je m’en fiche, non ? Il fait bien ce qu’il veut. Mon envie de le confronter à ses mensonges reste bien présente, mais jusqu’à présent je n’ai trouvé ni le temps, ni la force de lui dire à quel point il m’a blessée en n’étant pas honnête avec moi. Qu’est-ce que ça aurait changé, sérieusement, qu’il me dise qu’il est professeur de danse ? Bon, si nous avions fait un peu plus qu’échanger salive et fluides corporels, genre parler, il aurait appris que j’entrais à l’ESD, ou j’aurais su qu’il y enseignait, et nous n’aurions certainement pas couché ensemble. Oh là là, voilà que j’ai presque envie de le remercier de m’avoir menti ! Je déraille totalement.

— Ça te va, ce film ?

— Oui, oui, nickel, dis-je distraitement alors qu’il dépose sur mes genoux une couverture et se rapproche pour se glisser dessous également.

— Tu sais, je suis content qu’on ait sympathisé. L’année sera plus agréable si on peut se soutenir tous les deux. Et tu danses merveilleusement bien. J’ai hâte de faire plein de chorés avec toi.

— Je te retourne le compliment, et je vois que tu as tous les gènes nécessaires, souris-je. Pas trop la pression d’avoir deux parents danseurs ? Moi, je n’ai que ma mère et j’ai l’impression d’avoir une chape de plomb sur les épaules, alors je n’imagine même pas pour toi…

— Au début, j’avais beaucoup de pression, oui. Je faisais ça pour leur faire plaisir. Mais maintenant, j’ai découvert que la danse me procurait énormément de plaisir. Je ne le fais plus pour eux, mais pour moi et ça change tout. Tu vois ce que je veux dire ? En plus, la danse, c’est le bon plan drague quand on est un garçon. On peut rencontrer plein de jolies filles et tu en es la preuve vivante, ajoute-t-il en passant son bras un peu maladroitement au-dessus de mon épaule.

Je ne sais pas trop quoi lui répondre et je n’ose plus bouger. Je ne voudrais pas qu’il se fasse de films, mais j’ai encore un peu trop son paternel en tête pour pouvoir envisager quelque chose avec Kenzo. Je l’apprécie, c’est clair, mais de là à envisager plus ? Je ne sais pas… Est-ce que j’ai vraiment le temps pour ça, de toute façon ?

— Oui, je vois ce que tu veux dire. Ma mère m’a collée en danse classique jusqu’à mes dix-huit ans. J’aimais ça, mais elle était trop exigeante et j’y allais pour elle. Il a fallu que je la menace de foirer volontairement mes concours à quinze ans pour qu’elle accepte de m’inscrire dans du contemporain, mais c’était en plus et ça ne devait pas interférer sur mes cours de classique. Bref, j’ai vraiment commencé à danser pour moi à quinze ans, quoi.

— Tu as bien fait de te mettre au contempo, je crois que c’est une danse faite pour toi. J’espère que l’on va bien progresser à l’ESD. Tu imagines que dans quelques mois, on pourra devenir danseurs professionnels ? s’enthousiasme-t-il à côté de moi.

— Ouais, et enchaîner les auditions, galérer, déprimer, manquer de thune, ris-je. Ça vend du rêve.

Nous continuons à papoter un moment, ne regardant le film que d’un œil, et nous taisons tous les deux en entendant la porte s’ouvrir. Si j’avais peur de voir débarquer Alken, je crois que je n’aurais jamais vraiment imaginé me retrouver face à cette scène. Du canapé, on peut apercevoir l’entrée et je constate que le Mytho n’est pas très inventif. Il vient de plaquer la nana de l’accueil de l’ESD contre le mur où il m’a plaquée quasiment tous les soirs et… Bordel, c’est sa culotte qu’il a dans la main ?

Dans la pénombre de l’entrée, on l’aperçoit déboutonner la robe de la secrétaire et mon malaise grandit à vue d'œil. Kenzo, à mes côtés, est lui aussi silencieux, et j’ai envie de le secouer pour qu’il se manifeste, ou de sauter du canapé pour aller me cacher. Quand Alken soulève la blonde dans ses bras et qu’on entend cette dernière lui dire qu’elle a envie de lui, la nausée me prend et je ne peux m’empêcher d’intervenir.

— Si avoir du public vous branche, faudrait peut-être vérifier que le public en question est d’accord de son côté, non ?

Tous deux se figent au niveau de la cuisine, et Alken dépose presque brusquement la secrétaire, comme s’il cherchait à s’en débarrasser. Elle est toute rouge, et plus que d’excitation à présent, parce qu’elle semble vraiment mal à l’aise alors qu’elle serre les pans de sa robe et nous tourne le dos pour la reboutonner.

— Bordel, Papa, t’étais pas censé dormir chez elle ?

— Oh désolé, bredouille-t-il, gêné, je ne savais pas que tu serais là avec une copine. On… On va vous laisser, conclut-il en entraînant la secrétaire vers sa chambre alors que je sens une petite pointe de jalousie naître au fond de moi.

Kenzo éclate de rire, bien loin du malaise qui m’a pris. Voir Alken avec une autre femme ne me plaît pas des masses, et rester ici alors qu’il va sans nul doute la baiser à côté non plus. Je me lève rapidement et grimace en remettant des baskets. Foutue famille O’Brien. Entre le père qui baise tout ce qui bouge, la mère qui m’a défoncé les pieds, et le fils qui commence à me draguer, je ne suis pas sortie de l’auberge.

— Il se fait tard, je vais y aller, je suis morte, dis-je en récupérant déjà mon sac.

— Oh déjà ? C’est vrai qu’il est tard. Je te raccompagne jusqu’à ta voiture, ajoute Kenzo, plein d’attentions pour moi.

J’acquiesce silencieusement et l’attends devant la porte d’entrée, le plus loin possible de la chambre du paternel qui doit faire prendre son pied à la blonde qui me paraît tout de suite bien moins sympathique. Oui, je suis une femme jalouse. Très jalouse. Au point que même voir un plan cul avec une autre me tord le ventre. J’y peux rien, une fois sortie de la danse, j’ai tout de suite beaucoup moins confiance en moi.

Kenzo reste égal à lui-même alors que nous descendons par l’ascenseur, et tout ce que moi j’arrive à intégrer, c’est que le Mytho a dû embrasser, caresser la secrétaire ici et peut-être même la faire jouir. Oh bordel, j’y crois pas, il faut que je me sorte ce type de la tête, illico !

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