47. Baisers clandestins

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Joy

Le visage d’Alken est à quelques centimètres du mien à peine et je sens son souffle chaud et rapide sur ma peau. Nos yeux se trouvent, son corps pressé contre le mien alors que je peux entrevoir Kenzo sauter au-dessus de nous. Alken me repousse dans un instinct de protection joué, et je me retrouve à admirer une lutte à la fois virile et gracieuse des deux hommes qui partagent la scène avec moi. Tous leurs pas, leurs mouvements, sont posés, calés sur la musique, millimétrés. J’effectue de mon côté plusieurs mouvements, mais je sais que la foule, dans la salle, est concentrée, obnubilée par le père et le fils qui se rendent coup pour coup dans cet enchaînement rigoureux.

Alken finit par repousser Kenzo qui regagne le centre de la scène en effectuant un salto arrière alors que notre professeur se rapproche à nouveau de lui comme s’il cherchait à poursuivre la bataille. Je les rejoins et me glisse entre eux, enlaçant leur cou alors qu’ils posent tous deux leur front contre mes tempes.

Fin de notre chorégraphie. Tant d’heures de travail pour un peu plus de trois minutes de représentation. Tant de sacrifices pour que les trois quarts de la salle, famille des étudiants de l’ESD, trouvent ça sublime même s’il y a des erreurs, des approximations, des hésitations.

Nous nous relâchons finalement alors que les applaudissements fusent, et les garçons attrapent chacun l’une de mes mains pour que nous allions saluer à l’avant de la scène. J’aime tellement danser avec Alken, c’est comme si nos esprits se connectaient en même temps que nos corps, comme si nous ne faisions plus qu’un. A défaut de ne pouvoir faire littéralement plus qu’un, nous avons la danse, et c’est déjà bien mieux que rien.

Notre professeur a à peine le temps de nous féliciter qu’il doit filer se changer. Il lui reste une chorégraphie à faire avec un groupe de première année avant d’avoir un peu de repos, pour assurer le final du spectacle : notre salsa. La nôtre, parce que si la chorégraphie de base est d’Enrico, nous y avons tous les deux mis notre touche. Nous nous sommes approprié les pas et y avons ajouté ce qu’il manquait cruellement avec le professeur de Salsa : la passion.

Kenzo me prend dans ses bras et me soulève de terre, m’enserrant contre lui alors que le sourire qu’il affiche monte jusqu’à ses oreilles. Nous avons assuré. Ce n’était pas parfait, mais il y avait les émotions. La technique a pêché à quelques endroits, mais j’ai bon espoir que l’intensité de notre prestation ait été suffisante pour que seuls les yeux les plus aguerris aient vu les petits couacs.

Nous descendons rapidement dans le couloir des loges pour libérer la place en coulisses et Kenzo et moi nous séparons, regagnant chacun nos loges. Enfin, je dirais plutôt les grands vestiaires, pour être exact. Toutes les filles s’entassent dans la pièce où j’entre, certaines à moitié nues, d’autres en train de se maquiller. Aucune pudeur dans le monde du spectacle ou presque.

Je me cale dans un coin après avoir récupéré ma robe pour la salsa, et me déshabille également pour l’enfiler. Personne ne fait attention aux autres dans ces moments-là, et cela me convient très bien, même si je sens le regard de certaines de mes camarades de promo. Je crois qu’elles sont un peu jalouses de me voir danser en tête à tête avec Alken. Ce mec est un fantasme vivant pour toutes les nanas du groupe, et beaucoup ont demandé à danser avec lui pour le spectacle. J’essaie de contenir ma jalousie, mais sachant ce que cela fait de danser avec lui, c’est un peu compliqué pour moi. Pour autant, je l’ai vu répéter hier lors du filage avec les autres groupes, et je crois pouvoir dire qu’il y a un truc entre nous qu’il n’y a pas avec les autres. J’espère que je ne me fais pas des idées. J’essaie de me convaincre que je suis la seule avec laquelle il fricote. Parce qu’en même temps, il n’a rien montré qui pourrait me faire croire le contraire, ces derniers temps.

Pourtant, il en a, du temps. Je bosse tous les soirs au bar et fais la fermeture, j’ai fait des journées complètes le weekend dernier. Autant dire que nous n’avons pas eu l’occasion de nous retrouver réellement en tête à tête. Je suis épuisée, et je crois qu’il l’a vu également, parce que même s’il est venu au bar quelques soirs, il n’a pas insisté lorsqu’il a senti que je tiquais à l’idée de finir la soirée chez lui. Évidemment, l’idée est plus que tentante, et j’ai bien failli dire oui. Mais entre la danse et le boulot, je sollicite beaucoup mon corps et j’ai peur qu’il finisse par me le faire payer. Ce soir, pourtant, j’espère bien qu’il me proposera de finir chez lui. J’espère que nous allons enfin avoir l’occasion de conclure, à nouveau, et de profiter réellement l’un de l’autre. Ce soir, après le spectacle, ce sera officiellement les vacances et je vais pouvoir reposer mon corps. Enfin, je compte bien solliciter des parties qui ne l’ont pas été depuis trop longtemps.

Je sors de la loge et longe le couloir pour rejoindre les toilettes une fois prête. Quelle n’est pas ma surprise de tomber sur Kenzo et Théo, dans un petit recoin, pressés l’un contre l’autre, littéralement en train de se nettoyer mutuellement la glotte, comme le disait mon prof de français au collège. J’hésite franchement à faire demi-tour pour les laisser tranquilles, mais j’ai vraiment besoin d’aller au petit coin, alors je tente une percée discrète. Pas suffisamment apparemment, puisque Kenzo s’écarte brusquement de mon colocataire.

— Du calme, ce n’est que moi.

— Ce n’est pas ce que tu crois, Joy, dit tout de suite Kenzo, affolé.

— Je ne crois rien, moi aussi j’embrasse Théo. Enfin, techniquement, on se fait des smacks, ris-je, on ne se roule pas des galoches. Mais tu fais bien ce que tu veux, tant que tu es bien dans tes pompes.

— Et qu’est-ce qu’elle pourrait croire ? demande Théo. On avait envie, nous nous sommes embrassés, il n’y a pas de mal. Je dirais même que ça fait du bien. Superbe votre choré, Princesse, en tous cas.

— Merci, je vois que tu as déjà félicité Kenzo comme il se doit, ris-je. Fais gaffe, je vais être jalouse !

— Arrête, Joy, toi et moi, on est juste amis, alors qu’avec Théo, c’est… nous indique Kenzo qui est vraiment tout rouge alors que Théo se rapproche à nouveau de lui et se remet à l’embrasser sans qu’il ne s’y oppose.

— Chut, Kenzo, profite, c’est top de s’embrasser. Laisse donc Joy tranquille !

— Bien, je vous laisse vous congratuler tous les deux. Soyez sages quand même !

Je vais embrasser chacun d’eux sur la joue et file aux toilettes. Kenzo semble avoir envie de se découvrir davantage, et Théo a beau être un grand fou, c’est aussi quelqu’un de bien. J’espère qu’il saura être à l’écoute de notre ami commun, qui y va à tâtons et se cherche encore beaucoup.

Il n’y a plus personne lorsque je ressors, et j’imagine que Théo s’apprête à monter sur scène. J’aimerais tellement pouvoir me planquer là avec Alken, en me disant que si nous sommes pris, eh bien tant pis, mais nous sommes bien loin d’une relation qui pourrait être dévoilée aussi facilement, sans que les conséquences ne soient catastrophiques pour nos avenirs professionnels. Si la situation a un petit quelque chose d’excitant, il faut l’avouer, j’ai conscience que nous prenons de sacrés risques tous les deux.

Cela ne m’empêche pourtant pas de lui faire signe de me retrouver dans l’un des locaux de stockage lorsque je le croise dans le couloir. Alken fronce d’abord les sourcils, puis me lance un petit sourire discret, mais qui suffit à réveiller tout mon corps. Je me plante devant la porte alors qu’il ouvre celle de la loge, et je le vois acquiescer avant qu’il ne s’y engouffre. Après avoir pris garde que personne ne me voie entrer dans ce placard de grande taille, je m’y glisse et attends patiemment. Je sais que ce n’est pas sérieux, mais j’ai un peu l’impression d’être au lycée et de donner rencard à mon copain dans un coin de la cour, à l’abri des regards, pour un petit bécotage en règle.

Je sursaute lorsque la porte s’ouvre et me retrouve rapidement prisonnière entre le mur et son corps, ses mains déjà fermement campées sur mes fesses et sa langue déjà en train de danser avec la mienne. Une délicieuse torture que je suis prête à subir encore et encore.

— Je devrais t’inviter plus souvent à des rendez-vous clandestins, ris-je en glissant mes mains sous sa chemise pour caresser son ventre du bout de mes doigts.

— Tu sais bien que je répondrai toujours favorablement à de tels rendez-vous, répond-il en souriant avant de venir me suçoter l’oreille, ce qui réveille encore plus mon désir. Je sens que notre salsa va encore être caliente.

— La clandestinité t’excite, Professeur ? J’ai bien peur qu’on doive se contenter de peu, sous peine d’être encore une fois interrompus…

— Je vais tellement te chauffer pendant notre salsa que tu n’auras pas l’impression que ce sera si peu que ça. Deal ?

— Voilà un deal que je ne peux pas refuser. Est-ce que… Est-ce que tu crois qu’on pourrait enfin passer la nuit ensemble, ce soir ?

— Ça dépendra de Kenzo, soupire-t-il. Il doit me confirmer s’il passe la nuit avec ses potes ou pas. Je crois qu’ils ont prévu une soirée entre mecs.

— Alors je vais prendre mon mal en patience et prier pour qu’il se fasse sa soirée, ris-je en l’embrassant dans le cou. On est bien loin des quatre rencards à présent.

— On prend notre temps, mais c’est plus solide que quand j’étais Smith, non ?

— Moins sexuel, c’est sûr ! Pour le reste… On verra ce que ça donne. Pour le moment, tout ce que je veux c’est profiter encore de toi quelques secondes avant que tu ne doives aller te changer.

Je glisse mes mains sur ses joues et viens caresser ses lèvres des miennes. Son corps me presse contre le mur et je sens ses mains caresser mes cuisses sous ma robe, remontant sur mes fesses couvertes d’un boxer de danse, certainement moins sexy que la version sans sous-vêtement de nos retrouvailles au local des costumes, j’en conviens. Pour autant, difficile de passer outre la bosse sous son pantalon. J’adore ces petits rendez-vous clandestins, même si j’avoue que je commence à ressentir un peu trop le manque. Il faut vraiment que Kenzo nous laisse le champ libre ce soir, parce que j’ai besoin de jouir grâce à cet homme, et pas seulement en nous imaginant tous les deux. Je veux retrouver un peu de Smith, ou découvrir Alken dans ce moment intime. La frustration, c’est bien pour créer une ambiance particulière pour nos chorégraphies ensemble, mais j’en ai marre de cette frustration. Je veux jouir !

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