69. Elise a dit, pas de boogie woogie
Naughty boy & Beyoncé - Runnin’ : https://youtu.be/eJSik6ejkr0
Joy
Dixième fois que nous recommençons cette foutue chorégraphie et il nous en fait baver comme rarement. Alken semble d’une humeur de chien ce matin et je suis plus que ravie que nous n’ayons pas eu cours hier matin. S’il était dans cet état-là, je préfère éviter la torture.
J’essaie de prendre de la distance avec tout ce qu’il se passe entre nous, ou ne se passe pas d’ailleurs, mais c’est un peu compliqué quand il se balade avec ce fameux jogging gris qui moule tout ce qui doit l’être, et nous montre encore et encore les pas de danse que nous devons effectuer sur la musique rythmée de Naughty Boy et Beyoncé, Runnin’. J’ai le genou en compote et envie de l’envoyer bouler, mais il m’ignore à moitié et ne m’a rien dit du cours, même quand j’en ai fait exprès de merder sur un bout de choré. Au moins, on ne se dispute pas, c’est toujours ça.
Je reste sur le banc pour la tournée suivante et enlève ma genouillère pour me masser un peu. Certains de mes camarades semblent avoir un balais dans le popotin, et Alken s’agace à l’autre bout de la pièce, les observant en faisant des allées et venues. Il ne vient même pas me voir pour se plaindre de ma non-participation, et boucle le cours en nous montrant une dernière fois les pas, sans pouvoir s’empêcher de nous beugler dessus au fur et à mesure qu’il progresse. Les nanas semblent tout de suite bien moins attirées par le danseur, beaucoup moins dans la séduction. Elles font moins les malignes et cela me fait sourire. Moi, je crois que je le trouve encore plus sexy lorsqu’il est si perfectionniste.
Lorsque notre professeur nous annonce la fin du cours, personne ne traîne pour récupérer ses affaires. Mais avant que l’un d’entre nous ait pu atteindre la sortie, Elise Martin fait son entrée. Dans un tailleur pantalon d’un rouge vif, elle ne passe pas inaperçue, et un signe de sa part suffit à ce que tout le monde s’assoie sur le grand banc où nous déposons d’ordinaire nos affaires.
— Merci de m’accorder encore quelques minutes de votre attention, commence-t-elle en faisant les cent pas devant nous sous l’effet de la nervosité. Comme vous le savez sûrement, le petit monde de la danse est touché par un scandale qui dépasse ses frontières. Preuve en est, le reportage hier sur la garde à vue de Markus Engelhart dans le cadre d’une affaire de viol et d’abus de faiblesse sur une jeune danseuse. Je n’ai pas à vous rappeler que ce Markus était censé participer à un show avec votre professeur ici présent et que, par conséquent, les projecteurs vont être à nouveau tournés sur notre école. Et pas en bien. Alors, comme me disait ma mère, il vaut mieux prévenir que guérir. Je vous préviens donc une dernière fois, notamment suite à des bruits de couloir qui remontent à mes oreilles. Si j’apprends la moindre histoire, le moindre rapprochement entre un élève et un prof, c’est l’exclusion pour les coupables. Le moindre geste déplacé, c’est dehors. Et entre élèves, c’est pareil. Je ne peux pas vous empêcher de fricoter les uns avec les autres, mais au moindre scandale, je n’aurai aucune pitié ! Est-ce que je suis claire ?
Nous acquiesçons tous en silence, comme un seul homme, et c’est presque comique de voir que le rythme est là, même dans ce moment particulier. J’ai beau savoir qu’Alken et moi avons toujours fait attention, je ne fais pas trop la maligne à cet instant. J’ai trop lutté pour entrer dans cette école, hors de question qu’elle me vire.
— Des questions ? reprend-elle alors qu’un silence de cathédrale s’est installé dans la salle de cours.
J’ose un regard à mon professeur qui joue l’indifférent en feuilletant ses notes, et constate qu’il ne semble pas si à l’aise que ça. Personne n’ose poser la moindre question et Elise sort de la salle sans un mot de plus.
— Bien, maintenant que le message est passé, vous pouvez y aller, tonne Alken sans nous adresser un regard.
Sympathique, l’ambiance à l’ESD. C’est tout de suite moins agréable. L’air se décharge petit à petit de son électricité alors que nous sommes dans le vestiaire, et les commérages reprennent de plus belle pendant les douches.
— Alken était imbuvable aujourd’hui, si ça se trouve, il s’est fait larguer par la nana dont nous parlait Kenzo.
— Peut-être, ou alors il ne prend pas son pied avec elle et il est frustré.
— Je peux l’aider à atteindre l’orgasme sans problème, moi.
— T’as pas entendu ce qu’a dit Madame Martin ? T’es folle ou quoi ?
— Ou alors, il a eu une petite panne cette nuit ? Il n’est plus tout jeune.
— Oh arrête, il respire la virilité !
Je soupire et me dépêche de me rincer, imperméable à leurs conneries ou presque. Épuisant. Agaçant. Non, je ne l’ai pas largué, c’est lui qui a mis de la distance. Non, aucune panne à relever jusqu’à présent, loin de là. En revanche, niveau frustration, je ne saurais répondre. Sans doute un peu, quoiqu’il a dit hier soir qu’il n’était pas en état pour des galipettes.
Je me dépêche de rejoindre Kenzo qui m’attend dans la fraîcheur du Nord, et ai la surprise de trouver Alken à ses côtés. Il ne semble pas plus surpris que ça par mon arrivée, mais s’éclipse rapidement en nous souhaitant une bonne journée. Nous gagnons de notre côté la cafétéria afin de déjeuner en compagnie de mon colocataire.
— Vous voilà enfin !
Je lève les yeux au ciel et dépose un baiser sur la joue de Théo avant de m’installer en face de lui. Il a déjà mangé la moitié de son plateau repas et ce n’est plus son assiette qui semble lui donner faim maintenant que Kenzo s’est installé à ses côtés. Ils ne montrent rien ici, à l’ESD, mais certains regards ne trompent pas. Ou alors, je les connais suffisamment bien pour les remarquer.
Je picore dans mon assiette équilibrée mais qui ne me fait pas du tout envie, et fronce les sourcils en sentant un léger coup de pied contre mon tibia. Théo m’observe et soupire lourdement.
— Quoi ? bougonné-je.
— Tu fais une tête d’enterrement. Ça ne va pas mieux avec ton comptable ?
— C’est compliqué. Mais ce n’est pas le sujet. Je suis fatiguée, c’est tout.
— C’est ça, à d’autres, Joy. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— J’ai mal au genou. Le médecin dit que c’est de la fatigue musculaire, j’espère que ça va tenir jusqu’aux vacances, mais autant vous dire qu’à Cuba, je ferai le strict minimum.
Je ne mens qu’à moitié, puisque même si c’est à Alken que je pensais, ce sujet est sans doute le deuxième le plus prépondérant dans mon esprit.
— On va à Cuba ! s’écrie Théo en se dandinant sur sa chaise, toujours aussi expressif dès qu’on parle de ce voyage.
— Mon père me demandait justement si tu avais eu ton rendez-vous chez le médecin. Il s’inquiète.
Je garde un air détaché alors que j’ai envie de lui répondre qu’il aurait pu lui-même me poser la question plutôt que de voir ça avec son fils. Je n’arrive pas à me sortir de la tête notre conversation d’il y a deux jours, et je crois que j’ai merdé. Effectivement, il semblait avoir besoin de moi et, aussi touchant que ce soit, j’ai balisé à l’idée qu’il décide de tout arrêter entre nous pour se protéger. Son rejet, dans son bureau l’autre jour, m’a vraiment blessée et je n’ai aucune envie de le revivre une fois de plus.
— Ça va le faire, s’il ne nous tue pas à la tâche tous les matins jusqu’aux vacances. Entre lui et ta mère, c’est la galère, ris-je.
— C’est clair qu’ils ne nous ménagent pas. Je te masserai le genou ce soir, Princesse. Ou alors tu demanderas à ton comptable de le faire ?
— C’est pas au programme de la soirée, non, je ne vais pouvoir compter que sur toi, je pense.
— Et quand est-ce que tu reprends tes répétitions de salsa avec Alken ? On dirait que ça non plus, tu ne le fais plus. Vous n’avez plus de dates de prévues ?
— Pas avant un moment, non. Et puis, il a son spectacle à préparer aussi, même si, là, ça me paraît un peu compliqué pour lui, le pauvre.
— J’ai l’impression qu’il n’a plus envie de danser avec nous ou de nous faire des cours, continue mon colocataire. Kenzo, tu sais ce qu’il se passe ?
— Je crois que l’histoire avec son collègue de la compagnie le chamboule pas mal, ça le fait flipper. Quand tu vois comment les filles parlent de lui ici, je peux comprendre, soupire le fils d’Alken.
— On dirait qu’il ne veut plus toucher à personne, s’interroge Théo. Dans nos cours, non seulement, il ne touche plus à aucune femme, mais même les garçons, il les évite. On dirait qu’il a quelque chose à se reprocher pour agir comme ça, c’est étrange…
— Je pense surtout qu’il veut se protéger. Madame Martin est passée nous faire un petit rappel au règlement, dis-je calmement alors qu’intérieurement je commence à paniquer. Elle a dû faire pareil avec les profs, je pense.
— Oui, ils flippent tous, indique Kenzo. Ma mère en parlait avec Enrico aussi. C’est juste dommage pour toi, Joy.
Je le regarde bêtement quelques secondes en tentant de comprendre où il veut en venir. C’est quoi, cette insinuation ?
— Dommage pour moi ? Pourquoi tu dis ça ?
— Ben, tu peux pas dire qu’il n’était pas proche de toi quand vous dansiez la salsa. Ça va être dur de reproduire autant d’émotions si vous dansez en vous effleurant seulement. Tu dois être frustrée, non ?
— Ah ! Heu… Eh bien, il va falloir qu’il soit pro. On ne danse pas la salsa à un mètre l’un de l’autre, ris-je, soulagée. Mais on n’a pas encore répété depuis ses bonnes résolutions. On verra ce que ça donne.
— Pour être pro, mon père l’est, oui. Tu le verrais à la maison, jamais un écart. Si le spectacle est maintenu malgré l’affaire Markus, il sera prêt.
Aucun écart, hein ? Même pas un peu, beaucoup, de chocolat à Bruxelles ? Bon, il faut dire qu’on a suffisamment fait de sport en chambre pour éliminer les excès.
— Il faudra qu’il soit pro quand on danse aussi, et tout ira bien. Ce n’est pas moi qui irai l’accuser de je ne sais quoi, sauf s’il merde. Et il ne merde pas. Il faut qu’il se détende.
— Ouais, le père de Kenzo, il est trop beau et s’il veut merder, il peut me demander, rit Théo. Personne n’ira le soupçonner de se dévergonder avec moi ! Hein, mon chou ?
Kenzo lève les yeux au ciel avant de lui faire une grimace. J’ai presque envie de lui dire que je ne suis pas contre non plus, mais qu’il ne s’agirait absolument pas de merde. Alken me manque, mais je crois qu’il a vraiment besoin de prendre du recul et de réfléchir à la situation. Moi aussi, peut-être. Après tout, Elise Martin a été très claire, et vu le contexte global, nos colocataires respectifs, il est très compliqué pour nous de ne prendre aucun risque. Je commence à regretter la colocation. Si j’avais trouvé un petit truc toute seule, tout ceci aurait été beaucoup moins compliqué, c’est sûr !
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Bon, les amis...
D'ici peu (genre, vraiment bientôt !), le Tome 1 de Danse with Joy sera terminé, et nous avons une question à vous poser.
Personnellement, j'aime pouvoir lire tous les tomes d'une série à la suite, mais je sais que certains apprécient l'attente... Et que d'autres n'aiment pas passer trop de temps avec les mêmes personnages. Voici plus de deux mois que vous partagez quotidiennement la vie de Joy et Alken, aussi, avec Lecossais, nous avons décidé de vous laisser la main sur la suite de la publication.
Vous avez donc le choix entre le tome 2 de nos danseurs, et une petite histoire qui tiendrait sur un peu moins de 3 mois de publications quotidiennes.
Sous le chapitre, vous trouverez deux commentaires : "Tome 2" et "Nouvelle histoire". Merci d'aimer le commentaire qui correspond à ce que vous voudriez pour la suite (Avec l'anonymat en plus, la classe !), nous ferons ce que la majorité d'entre vous préférera. Sachez, juste pour info, que si vous choisissez la nouvelle histoire, il y aura sans doute un ou deux jours de creux avant qu'on publie, parce qu'on n'a pas commencé à la corriger ahah !
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