Le rêve du camping-car, ou comment devenir une tortue roulante
Le camping-car, ou CC, est aujourd’hui un véritable phénomène de société, largement accentué en 2020 par la capacité du COVID à se répandre sur la population comme la gangrène sur la jambe blessée d’un GI pendant la guerre du Vietnam.
Il devient la référence de la distanciation sociale, préservant ses occupants des phénomènes de foule sans masque et d’éternuements dévastateurs.
Mais un peu d’histoire pour reconstituer l’historique de vie de cette tortue roulante.
Longtemps considéré comme un outil de retraités souhaitant découvrir de nouveaux horizons tout en préservant leur intimité et leurs habitudes, souhaitant s’affranchir des tour-opérateurs et des vacances en club avec des « Gentils organisateurs » qui leur faisait considérer que de se passer un œuf sans le casser était une preuve de génie et d’adresse, que de danser en groupe le jingle du club à chaque soirée et de payer avec des colliers de bonbons était le summum de la liberté, il devint une arme redoutable pour s’évader dans l’anonymat.
On est loin aujourd’hui des CC capucines et autres boite carré sur essieu. Un CC travaille son aspect, ses formes, son autonomie. Il sait se faire beau et douillet, et proposer un panel d’options qui rendrait folle une tortue sans climatisation.
Les constructeurs ont bien compris ce besoin de confort et les bureaux d’études rivalisent d’audace pour proposer des solutions révolutionnaires qui ambitionnent de faire vivre le rêve du motor-home à tous les gens capables de débourser plus de 100 000 € pour avoir la plus grosse antenne satellite, ou le salon face à face de 7 personnes alors que l’on ne verra jamais que papy et mamy pour boire le traditionnel verre de rosé du soir d’étape.
En voilà un nouveau terme, le motor-home. Il désigne les véhicules américains qui sillonnent les Etats-Unis d’Amérique, hébergeant en leur entrailles des milliers d’américains retraités sans retraite, qui ont perdus leur maison avec les crises économiques à répétition, dégradant leur pouvoir d’achat et d’épargne. Ce phénomène mondial n’est certes pas réservé aux States, mais largement amplifié par l’absence de couverture d’emploi et de soins, contrairement à notre bonne France solidaire ou l’assistanat est de mise.
Bref, tous ces bons américains sont obligés de vivre à l’année en motor-home, plus par nécessité que par choix.
En France – et dans les autres pays européens sûrement – le CC n’a pas la même utilité ni la même fonction. On a sa maison, son pied-à-terre, son adresse fiscale, son havre de paix et de repos nécessaire à une vie établie et rassurante. Le CC est purement l’outil de luxe qui permet de partir six mois par an, soit pour découvrir l’Espagne ou l’Italie pour la 37ème fois, soit pour aller au camping de Bormes-les-Mimosas et de déplier auvent et table de camping, histoire de bien siroter son apéritif dans le confort le plus total.
Pour l’actif avec enfants, l’achat d’un CC se révèle être une opération pleine de pièges. Pourquoi ne pas tenter plutôt la location ? on peut louer ce que l’on veut, changer de CC tous les ans, et surtout ne pas supporter dans ses charges fixes la notion engageante d’être propriétaire.
Ah la location… c’est bien mais cela ne dure qu’un temps. On loue une première fois avec appréhension, pour découvrir ce mode de vacances, de déplacement, de changement radical de type de vacances puisqu’on va se déplacer de lieu en lieu, de village en village, d’aventures en aventures. A nous les lieux insolites, les emplacements de rêve, l’autonomie et la liberté d’aller où bon nous semble, au gré des jours et des envies.
On se rend compte en passant ses premières vacances en CC que la vie est quelquefois dure. Parfois, souvent même, chassés des villages typiques et des centre-ville par des arrêtés municipaux qui considère qu’un bon camping-cariste doit être isolé à l’extérieur des remparts, de préférence avec des gens comme lui, avec l’interdiction de poser sa table ou de faire un barbecue.
Par contre si ce gentil couple veut venir dépenser ses euros dans les commerces de la cité, en garant son vélo dans les endroits prévus à cet effet ou en prenant les navettes trop rares qui existent, alors oui bienvenue à tous ces adorables touristes non dérangeants.
Le tout est de s’arrêter, mais ne traversons pas la ville avec notre gros bahut qui détruit par son diesel les parterres de fleurs de la municipalité.
Bon ce n’est pas partout comme ça. Il reste les bons moments, les coins insolites, les pique-niques sur la plage, des régions accueillantes mais surtout, surtout… il reste le sentiment de liberté sur la route et sur l’itinéraire et cette impression folle de déplacer sa maison au gré de ses envies, de la météo et de son autonomie.
Impossible de trouver la même jouissance dans une location de vacances, surtout si l’on est coincé 2 semaines à côté de décérébrés qui considèrent que picoler et brailler toute la soirée est primordial pour la réussite de leurs vacances.
Enfin en location on prie juste en secret de ne pas dégrader le CC, de ne pas tomber sur un propriétaire malhonnête qui aura omis de nous préciser la charge utile de son engin, ou qui considérera que la porte moustiquaire a été dégradée et retient 2 000 € de caution pour une pièce de remplacement qui vaut 30 €.
Ce qui amène à parler de cette fameuse charge utile…vaste arnaque des constructeurs et limite du rêve de tortue roulante, dévoilant avec froideur les réalités de la sécurité, des amendes et des assurances non garanties.
La charge utile correspond au poids de chargement restant pour atteindre la limite des 3T500 autorisés pour un CC, qui n’est disons-le clairement ni plus ni moins qu’un utilitaire style fourgon loué par les innombrables commerçants pratiquant le commerce équitable en lessivant les petits producteurs de notre doux pays. Bref… une camionnette à laquelle on ajoute une cellule de vie.
Le paradoxe est qu’elle ne contient aucun des éléments optionnels que l’heureux acquéreur ne manquera pas d’ajouter à son CC standard, passant du porte-vélos pour les promenades au marché avec madame ou pour stocker les vélos des petits-enfants dont on s’assurera la charge pendant les vacances scolaires, ou bien de l’antenne satellite automatique qui alimentera la télé du salon qu’on ne regardera que lorsque l’âge mûr et les rhumatismes empêcheront des activités artistiques nocturnes…
Les équipements optionnels cités ci-dessus ne sont qu’un aperçu du large panel de choix d’options. On pourrait y ajouter le store latéral, le lit de pavillon, le double-plancher, le chauffage, la climatisation de la cellule etc….
En comptant les pleins faits à moitié et un conducteur de 70 kilos, ce qui se fait rare dans notre société boulimique dans laquelle le modèle américain d’obésité arrive à grands pas, on est finalement capable de constater que l’on ne pourra pas prendre un pack d’eau pour cause de surcharge.
En fait on comprend vite que l’attention porté à son envie d’achat reste cependant primordiale.
Elle arrive naturellement après quelques locations et lorsque l’envie d’avoir son bahut se fait pressante et peuple les rêves et les projets du futur endetté camping-cariste.
Mais enfin qu’importe on fera attention à tout, on définira notre idéal, on se penchera sur l’occasion sans trop de kilomètres, qui en plus, à tort pour son vendeur, a déjà perdu 40% de sa valeur et a épuisé son acquéreur dans sa première année de propriétaire, à force de le ramener à la concession bienveillante pour resserrer meubles et tuyaux qui ont décidés de prendre leur place en tenant compte des sursauts de la route.
Ce CC idéal, cet achat étudié, financé, permettra enfin de vivre la vraie autonomie et la liberté de ne rendre de compte à personne.
C’est cette liberté qui permettra de partir le vendredi soir après une semaine de dur labeur et de dormir au lac du Salagou entouré de moustiques sanguinaires et de punks à chien venant faire pisser leur clebs contre nos roues, tout en réclamant une bière ou une chipolata car ils nous ont vus faire les courses au commerçant équitable du coin car ils y faisaient la manche dans le même créneau horaire.
Mais qu’importe cet exemple humoristique volontairement exagéré. On va prendre du plaisir, on partira quand on veut, on ira en Europe, on prendra les petits-enfants, heureux de quitter leurs parents pour passer du temps dans la tortue qui roule.
La véritable évasion c’est le voyage, les rencontres qu’on ne manquera pas de faire, l’excitation de préparer sa feuille de route, tout en étant assuré que tout changement volontaire est le bienvenu, et que le coup de cœur pour une étape est possible, permettant en toute sérénité de rester plus longtemps sur un site qui ne devait constituer qu’un passage.
Les jours vont se succéder, tous différents, pleins de promesse d’aller plus loin, et la pensée que le retour au domicile ne constituera que la célébration d’un nouveau parcours, d’un nouveau voyage, d’une nouvelle aventure à venir.
C’est ça le camping-car !
Annotations
Versions