Luciano ne revint vraiment pas.

Les heures avaient défilé puis les jours. Eva avait enfin fini par se reprendre et à s’inquiéter. Il ne s’était jamais absenté si longtemps après les disputes devenues malheureusement trop fréquentes, pour ne pas dire systématiques. Eva décida donc d’aller le chercher et, comme à l’époque où elle lui tournait autour, elle arpenta Venise à sa recherche.

Elle connaissait mieux Venise, à force de s’y promener avec Luciano, et elle savait où il préférait passer du temps. Elle se rendit donc à chacun de ces coins de la Sérénissime. Sans succès. Elle posa donc des questions à ses connaissances, aux autres marginaux eux aussi tombés dans les affres de la drogue mais aussi ceux qui vendaient la mort en poudre. Rien. Elle revint sur ses pas et fouilla les mêmes endroits plusieurs fois. Aucune trace de Luciano.

Après Venise, elle se rendit sur Poveglia. Cela ne pouvait être que là. Poveglia était une île prétendument hantée, dont la réputation dépassait les frontières de la lagune de Venise mais, pour Luciano, elle était un refuge. Les histoires de fantômes lui assurait la paix, il savait qu’il pouvait y rester plusieurs jours sans problèmes. Il devait juste se cacher parfois des autorités quand elles venaient patrouiller, l’île étant interdite d’accès.

S’il n’était même plus là…

Elle avait donc fouillé l’île de fond en comble, en vain. Enfin, elle avait grimpé au clocher qui tombait encore plus en ruines, chaque jour un peu plus. Elle avait manqué chuter à cause de l’escalier instable, tout ça pour ne trouver qu’un sommet vide. Plus de garçon mélancolique qui contemplait l’horizon.

L’inquiétude laissa place à la peur.

Eva avait ensuite épluché toutes les rubriques nécrologiques et c’était avec appréhension qu’elle entrait dans les toilettes et lieux abandonnés de la Sérénissime, de peur de trouver le cadavre de son petit ami, mort d’une overdose. Elle n’avait pas voulu y prêter attention, mais elle était à présent sûre qu’il était capable de se suicider.

Son absence et la possibilité qu’il mette fin à ses jours avaient permis à Eva de réaliser à quel point elle tenait à sa présence, à lui. Elle l’aimait encore plus que ce qu’elle pensait. Ce n’était pas tant par peur de la solitude qu’elle le voulait près d’elle, c’était par amour. Pourtant, elle n’avait cessé de le blesser et de se comporter comme si elle le haïssait.

Elle n’avait que ce qu’elle méritait et il fallait qu’il soit trop tard pour réaliser ce qu’elle avait perdu.

Les jours suivants furent moroses, éprouvants, puis insupportables. Elle s’était d’autant plus réfugiée dans la drogue et autres substances pour tenir le coup face à l’absence pesante du disparu. Si la raison lui disait que c’était définitivement fini, que Luciano soit mort ou vivant, le cœur espérait qu’il soit encore de ce monde et qu’il allait revenir vers elle.

Que se passerait-il, alors ? Leur quotidien toxique reprendrait-il ou cette séparation aurait-elle tout réparé entre eux ? Eva n’était pas candide et romantique au point de croire au pouvoir de l’amour. Après tout, il n’y avait plus rien d’affectueux entre eux. Ils devaient même être complètement à l’ouest pour avoir encore une vie sexuelle, des ébats dont ils ne se souvenaient pas vraiment quand ils émergeaient de leur trip.

Pourtant, elle continuait de s’attendre à le voir en bas de la fenêtre de sa chambre ou bien à le croiser au détour d’une rue ou penché à la rambarde d’un pont, toujours taciturne, le regard triste.

Elle attendit en vain. Luciano ne revint pas.

Elle était abandonnée une fois de plus, mais cette fois elle avait provoqué son malheur tout en détruisant la seule personne qui ne lui avait jamais fait de mal. Elle avait donné raison à son père et elle n’eut pas le droit à une nouvelle chance.

Petite fille abandonnée par sa mère, enfant dont le géniteur n’avait jamais abandonnée puisqu’il ne l’avait jamais aimée, elle avait à présent perdu le garçon dont elle était amoureuse.

Et ce fut sans lui qu’Eva arpenta les prochaines années de sa vie, avec le poids de ses regrets mais aussi un nouveau rôle à jouer dans la vie d’une autre personne.

FIN