"T'es nul en anglais, mais bon... Take care"
J'ai planqué le sachet de mes achats dans ma chambre et ai refermé la porte.
A 14h, personne. A 14h15, ça a commencé à m'énerver. A 14h23, texto [Coincé dans les bouchons sur les quais, mais hâte de te voir]
T’es pressé, mec ? Moi, de moins en moins, mais bon, exorcisme du traumatisme, comme a conseillé le Dr Arthur ...
A 14h37, appel à l'interphone "Hey ! C'est moi ... Jérôme"
- Oui, j'ouvre.
Texto à Arthur [Il est là, c'est une bonne idée, tu es sûr?] suivi de la réponse presque instantanée, un peu cryptique, de mon Sphynx [l’avenir le dira …]
Le temps qu'il monte, je me suis regardé dans le miroir de l'entrée. J'ai essayé l'air timide et la pose gênée de celui qu'il avait connu et ... J'étais juste pas crédible ! Alors, moi ... le vrai moi, qui ne croyait ... qui pensait ne plus croire en rien ... sauf qu'Arthur m'a fait douter, là ... J'ai secoué la tête, et non, c'est juste un rôle, juste un jeu !
Quand il a sonné, j'ai pris quelques secondes, du genre du mec qui revient du fond d'un appartement de 300m², avant d'ouvrir la porte.
- Woputain, ta barbe ! T'as pris vingt ans, mec !
Ça l'a déstabilisé un instant, mais j'avais préparé le truc, histoire d'encore accentuer les trois années de différence, et de faire de ces retrouvailles rien de moins qu'un mauvais porn mature + twink. C'était juste dans ma tête, évidemment, aucune certitude qu'il en regarde, lui. N'empêche, il a eu un moment d'hésitation où il a réalisé que la barbe, puis les quinze kilos en plus, devant le petit mec qui n'avait pas pris un gramme, toujours imberbe et lisse, puis décoloré ...
Sa gêne n'a pas duré, bien sûr. Quoique Jérôme ait pu se raconter toutes ces années, il n'a jamais été complètement hétéro, le regard qu'il m'a porté l'a très vite confirmé.
- Toi, tu n'as pas bougé ... Juste les cheveux, et c'est bien un peu étrange, mais ça te va bien, tu es ... Ça me plait, quoi.
- Ben, ça fait six ans quand même, j'ai dû changer, ai-je dit avec un sourire aussi innocent que possible.
- Non, vraiment, déjà là tu me plaisais, et même maintenant, t'es toujours aussi ...
Intérieurement, j'ai remercié Arthur et son relooking coiffure et fringues qui, à ving-un ans, me donnait moins. Jérôme, à vingt-cinq, serait donc toujours tenté de taper dans du twink pseudo-ado ? Perturbant ! Mais étrangement excitant ...
- Mets-toi à l'aise, ai-je soufflé avec un sourire éloquent, en lui montrant le canapé du doigt, et en me dirigeant vers ma chambre, dont j'ai refermé la porte derrière moi.
J'ai attendu quelques minutes avant d'en ressortir, toujours habillé, avec le sachet, pour trouver, comme prévu, Jérôme presque nu, seulement en boxer, au milieu de la pièce.
- Tu as cru que ... ai-je murmuré, l'air faussement choqué.
- Mais je pensais que tu voulais ... a-t-il gémi.
La porte de l'appartement s'est ouverte soudain devant Arthur qui a bondi dans la pièce en criant "Je ne veux pas ! Je pensais que ça le ferait mais non ! Je veux ... toi"
- Mais moi aussi, Arthur ! Je ne comprends pas pourquoi Jérôme s'est déshabillé, je voulais juste lui donner ceci, ai-je dit en agitant le sachet.
- Mais c'est quoi l'histoire ? a-t-il dit, en renfilant ses fringues en trente secondes.
- Jérôme, c'est trop clair que tu n'es pas seulement l'hétéro que tu prétends, je n'ai pas besoin de refaire l'histoire, je me souviens de tout ! Tous les détails, je pourrais dessiner ton sexe avec une précision à trois millimètres, je pourrais te répéter les sensations exactes quand tu l'as poussé en moi, et même à la limite le nombre de mouvements avant de jouir, pas trop conscient des risques que tu me faisais courir ! Je ne savais rien, et là, on pourrait être à deux rendez-vous d'écart chez le même virologue, à attendre notre prescription, tu vois ?
Il m'a regardé un instant, figé, entre incrédule et vexé, mais j'avais appris à reconnaître la lueur de désir dans le regard des mecs, et il ne trompait personne, trop sûr de sa virilité probablement jamais prise en défaut ! J'ai réalisé que je kiffe presque autant l'excitation des mecs que le plaisir physique qu'ils vont me donner. Et celle de Jérôme lui donnait l'air affamé du loup avec les trois petits cochons ...
- Mais je ne te juge pas, à toi de te situer sur l'échelle de Kinsey ou de Klein, je voulais juste te donner ceci pour que tu sois heureux, propre et safe dans ta vie ... moins hétérosexuelle, tu vois ? La poire empêchera un peu que tu aies le gland ... 'beurk tout brun', comme tu avais dit, puis les préservatifs, inutile de te dire, je pense ... Quoi qu'il se passe, et qui que tu honores, sois et reste clean, s'il-te-plait !
Quand il a entièrement réalisé que je me foutais de lui, il est sorti, raide comme la justice, sans un mot ...
(***)
- Waaah ! Comment tu l’as cassé, c'était trop bien, a dit Arthur en fixant la porte qui venait de claquer. ‘’Mais tu as changé de plan ? ‘fin, pas de plan, de … scénario, disons’’
- Oui, je … je le sentais plus. Le voir se déclarer, c’était assez pour moi, puis j’ai réalisé que j’avais trop à perdre.
- A perdre ? Moi ? Tu te rends compte que c’est le truc le plus sentimental que tu m’aies jamais dit ? Le premier, en fait. Aaanw !
- N’y prends pas trop vite goût, je dois encore tout apprendre sur le sujet.
- Patience est mon deuxième prénom, Jérémie, au cas où tu n’aurais pas remarqué … N’empêche, sa tête quand il a capté que tu te foutais de lui avec le … pack débutant pour la sodo ! Le plus marrant, c’est que la poire, en anglais, c’est ‘douchebag’, et que ça veut aussi dire ‘connard’, tu crois qu’il a percuté ?
- M’étonnerait, il était juste une quiche en anglais.
- J'ai trop envie de toi, là.
- Hein ? Mais Arthur, hier deux fois, puis ce matin …
- Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans 'j'ai envie de toi' ? Puis je dois reprendre mon territoire, a-t-il ajouté avec un sourire un peu pervers.
- Ah oui, clair ...
- Puis, bon, le truc en caoutchouc, oui, ça peut le faire d’en avoir un de secours, mais les préservatifs ... Oh ! Jérémie, je te promets sur ce que j'ai de plus précieux ... sauf que ce que j'ai de plus précieux, c'est toi, donc ça flingue un peu le raisonnement, mais vraiment, je te jure qu’il n’y a personne d'autre ! Avec Thomas, on déconne, un peu pour te rendre jaloux dans mon cas, mais tu le connais, c’est que de la gueule, ce mec… Et on peut refaire le test aussi souvent que tu veux, tu verras toujours que je suis clean, et qu'il n'y a qu'un garçon dans ma vie, c'est toi !
J'avais déjà la pochette de la capote en main ... Je l'ai jetée. Si je dois commencer à faire confiance, Arthur est décidément le mec pour ...
FIN
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