Chevron 28
Les rues s’animaient progressivement à mesures qu’ils approchaient de la place centrale. Partout autour de Liam, les gens s’affairaient à différentes activités. Sur les toits, des groupes installaient bannières et drapeaux, ou récoltaient l’eau de pluie accumulée sur de grands draps lors de l’averse qui avaient durée jusque tard dans la nuit. Certains, les bras chargés de paniers remplie de fruits colorés ou de bouteilles de différentes tailles, descendaient avec précaution les nombreux escaliers qui zigzaguaient entre les bâtisses. D’autre discutaient sur la chaussé, s’esclaffant et criant pour encourager quelques artistes de rues qui commençaient à déclencher les festivités.
Tous portaient des masques de bois blancs, décorer de la même manière que ceux qu’ils avaient eu même préparés avant de quitter la loge. Alyss n’ayant apparemment pas la patte artistique, c’est Arténiss qui s’était chargé de lui esquisser de jolies moustaches, non sans en profiter pour les complémenter d’une imposante paire de sourcils froncés qui donnaient au masque félin un air bougon. Liam, quant à lui, s’était contenté d’esquisser ce qu’il espérait ressembler à des plumes.
Comme l’avait prédit la Modeleuse, beaucoup portaient de longues capes. Cependant, Liam remarqua plusieurs attroupements de jeunes qui, au contraire, arboraient des tenues légères voir étaient presque complétement dévêtus. Tous étaient cependant couvert d’au moins un vêtement blanc, aussi léger soit-il. Malgré cette apparente harmonie, Liam finit par remarquer un paterne récurent, et fit part de son observation à Alyss, qui marchait entre Arténiss et lui.
- Il y a une sorte de code couleur, non ? Tout le monde porte du blanc, mais les couleurs sur les masques semblent changer de groupe en groupe.
- Oh. Oui, j’imagine que je peux te faire une petite leçon sur l’origine du festival, sinon tu ne risques de rien n’y comprendre. Ça va aussi me permettre de répondre plus en détails à ta question d’hier concernant notre religion. Arténiss, je peux t’emprunter ton Chronostat ?
L’intéressé, qui les précédaient légèrement, se retourna pour tendre le petit objet circulaire à Alyss. Le manipulant avec un geste expert, elle ouvrit le cadran concave qui couvrait jusqu’alors moins d’un tier de sa surface et le tendit à Liam pour qu’il puisse l’inspecter. Le cadran maintenant soulevé, il pouvait inspecter le symbole au centre du mécanisme. Le cercle, ressemblant vaguement à un œil à la pupille ocre entourée de trois couleur, était découpé en seize segments. Le premier et le plus grand, en haut du cercle, servait d’emplacement à une partie du mécanisme qui permettait au cadran de se fermer progressivement. Alyss lui pointa le pointa du doigt et commença son explication.
- Comme tu peux le voir, hormis ce segment qui accueille le ressort, les quinze autres de tailles égales représentent chacun un Chevron de la journée. Chaque journée, ou Rotation, est composée de trois stade de 5 Chevrons. Chaque stade à sa propre couleur.
Elle glissa son doigt autour du cadran, partant de la droite de son point de départ.
- Rouge pour le matin, vert pour l’après midi, et bleu pour la nuit. Comme le cadran l’indiquait avant que je ne l’ouvre, nous somme à peu près au milieu du deuxième Chevron.
Elle lui reprit l’objet pour le refermer, avant de tourner un petit engrenage sur le côté pour refermer le cadran, prenant son temps pour en ajuster la fermeture.
- Personnellement, expliqua-t-elle, je peux lire le Temps grâce à mes Yeux d’Or, donc je peux le rerégler sans avoir à me fier au Chronologe ou à un autre Chronostat… Voilà.
Elle lui remit l’objet dans les mains, avant de lui désigner de fines indentations sur tout le tour de la montre.
- Chaque Chevron dure 75 Segments, qui eux même dure 75 Temps. Les deux se lisent grâce à ces petites encoches. Les Segments avec la grande pointe et les Temps avec la petite.
En effet, sur les côtés du cadran, deux petites dents, dont la plus petite se déplaçait à un rythme régulier, faisait le tour du symbole. Simple à comprendre, mais Liam restait tout de même confus.
- D’accord. Mais quel rapport avec la couleur sur les masques ?
- J’y viens. En fait, notre religion et le Temps sont directement lié. Tu vois ces deux petites figures à chaque extrémité des volets ?
Par volets, Alyss se référait aux différentes parties du cadran, qui se refermaient sur chaque Chevrons, à mesure qu’il les recouvrait. Et, en effet, sur celui qui menait le cortège était gravé une petite silhouette qui tendait la main en direction du prochain Chevron. En haut du mécanisme, sur le segment vide, une seconde silhouette tendait la main dans le sens opposé. Une fois le Chronostat complétement refermé, les deux personnages se rejoindraient, se touchant enfin.
- Je suis contente que le Chronostat d’Arténiss soit si finement ouvragé, cela permet de mieux illustrer mon propos. Comme tu peux le voir, ces deux personnages ont une place centrale sur cet objet, mais aussi religieusement : il est dit que le contact entre Zaph, le Seigneur du Passé (elle désigna la figure statique, en haut du Chronostat), et Kiel (son doigt passa au-dessus du volet de tête), Seigneur du Futur, crée le présent dans lequel nous vivons. Dans la plupart des illustrations qui dépeignent ces deux divinités, elles sont toujours en contact physique, car ce contact est nécessaire pour que la stabilité du présent soit maintenue. Par extension, il est donc pensé que lorsque les deux seigneurs se disputent ou se séparent, s’en suit des périodes de troubles marquées par des catastrophes sociales ou naturelles. Les Anges ont donc le devoir de calmer les deux Seigneurs via des cérémonies et des rituels, et en s’assurant que les êtres qui vivent dans le Présent, à savoir nous, ne donnent pas au Divin des raisons de se disputer. C’est pourquoi ils sont à la charge d’Oasis et sont dotés d’une connexion si puissante à l’Ather, que les Principes disent être l’essence même du Présent, la toile qui forme la réalité.
La lueur de curiosité qui s’alluma dans le regard de Liam à la mention des « Principes », qu’il avait entendu mentionnés par la Première Ange, n’échappa pas à l’Inventrice.
- Les Principes sont les lois et règles mises en place par les Anges pour maintenir l’ordre et la stabilité. Ils sont aussi à l’origine de notre système de mesure du Temps. Il existe 15 Chevrons, car il existe 15 Anges. Je t’ai expliqué tout à l’heure que les Chevrons sont répartis en trois couleurs pour différents stades de la journée. De la même manière, chaque Ange est aussi le représentant de différents stades de la vie. Chacun d’entre eux portant la voix des habitants de sa tranche d’âge sur cinq Cycles. Ainsi, les Anges Pourpres représentent la population de 15 à 39 Cycles, les Anges Indigos les 40 à 64 Cycles, et enfin les Anges Malachite de 65 à 90.
Elle lui désigna alors un groupe au couleur hétéroclites, qui était amassé prêt d’un stand qui dégageait une douce odeur de viande grillée.
- Pour en revenir au couleur des masques, chacun porte donc la couleur qui correspond à sa tranche d’âge. C’est pourquoi nous sommes en pourpre, que tu peux observer en majorité avec le vert, tandis que les plus âgés, qui évitent le gros du festival, sont la raison pour laquelle on croise asse peu de gens en bleu.
- Je vois. Juste une dernière petite chose, comment ça se passe pour les personnes de moins de 15 Cycles et de plus de 90 ?
- Hein ?
- Tu as mentionné que les Anges représentaient les tranches d’âges de 15 à 85 Cycles, et pour les autres ?
- Oh ! 15 Cycles est l’âge auquel les jeunes sortent du Sanctuaire et rentrent dans la vie adulte. Ils sont donc sous la protection de tous les Anges qui ont la charge de leur éducation jusqu’à cet âge. Atteindre 90 Cycles est relativement rare, les personnes qui vivent assez longtemps pour atteindre cet âge sont réadmises elles aussi au Sanctuaire, où les plus aptes d’entre elles participent à l’enseignement des jeunes tandis que les autres sont accompagnées en attente de leurs derniers instants.
- Le Sanctuaire ?
- Le petit quartier qui se trouve directement sous le Chronologe, au centre de la ville. C’est d’ailleurs plus un immense bâtiment qu’un quartier, mais c’est le lieu de vie des Anges et de tous les jeunes, de leurs naissances à leurs 15 Cycles. Seuls sont autorisés à y accéder une poignée d’éducateurs et de différents travailleurs nécessaires au bon fonctionnement des lieux. Cependant, il est ouvert lors d’évènements comme ce festival, donc on pourrait aller le visi-
Alyss se tut soudainement, se rappelant sans doute que la situation dans laquelle ils se trouvaient n’était pas propice au tourisme. Liam ne pouvait pas voir son visage, mais s’imagina sans mal la gêne qui devait s’y afficher. Heureusement, leur discussion les avait occupés assez longtemps pour qu’ils atteignent enfin le niveau de la place centrale, et ce qui aurait pu se transformer en un silence embarrassant fut remplacé par le brouhaha de la foule.
La place centrale était digne de sa position, et était d’autant plus impressionnante par le nombre de personnes et l’activité qui y grouillait pour l'occasion. Des cris fusaient de toute part, la marée humaine se mouvant tel de lents fleuves en direction du Chronologe. Rapides en leur centre, les flots de passants ralentissaient et s’écrasaient sur des stands de toutes tailles et couleurs. On y échangeait nourriture, accessoires et habits festifs, et toutes sortes de gadgets dont Liam ne put qu’essayer de deviner la fonction.
Alors qu’ils s’engageaient à leur tour dans la foule, Liam prit soudain conscience qu’une grande partie de cette dernière était habillée exactement comme eux. Cela permettait certes de les rendre difficile à reconnaître, mais cela valait aussi pour lui. S’il perdait les filles de vu, il n’aurait aucune chance de les retrouver dans ce rassemblement de sosies. Il en fit tout de suite la remarque à Alyss. Elle ralentit sa marche pour réfléchir.
- Mince, j’oublie que tu n’as pas l’habitude. Arténiss et moi savons où nous nous rendons et comment se rejoindre, mais on ne peut pas vraiment se permettre de te perdre hein ? ... Pas le choix. Arténiss ! Fait comme moi.
Sur ces mots, elle passa son bras sous celui de Liam, invitant son amie à en faire de même avec l’autre. Arténiss parut plus hésitante, mais finit par obtempérer. Ce rapprochement soudain avec les deux filles faillit déconcerter Liam, mais Alyss ne lui laissa pas le temps d’en rougir.
- Comme tu es assez grand pour voir au-dessus de la foule, tu vas nous guider. Pour le moment, on suit le mouvement, mais une fois qu’on se sera rapproché du sanctuaire, il faudra commencer à garder l’œil ouvert pour trouver le stand du Ciel Brisé. Il devrait être facile à repérer, ils utilisent un auvent très coloré qui mimique la fresque que tu as vu au plafond de l’Auberge hier.
Liam hocha la tête, ravis d’avoir à se concentrer sur autre choses que les deux jolies jeunes femmes qui l’escortait désormais. Il reprît sa marche en direction du Chronologe, dont l’immense ombre ne tarderait pas à les engloutir. La tour était déjà impressionnante de loin, mais sans rapprocher rendait sa présence presque étouffante. Le matériaux brun et marbré qui la composait ne semblait être taillé que d’un seul immense bloc, et il ne pouvait pas identifier la nature de la substance écarlate qui parcourait les sillons géométriques présents sur toute sa surface. La lumière émise par cette dernière était telle qu’on pouvait la voir même en plein jour.
Alors que son regard descendait le long du majestueux bâtiment, il remarqua qu’une estrade avait été installé au pied de ce dernier, entre deux escaliers en demi-lune qui permettaient d’accéder à une immense porte au pied de la tour. Cette dernière était fermée, et un grand nombre de garde dans des armures blanches et ocres, clairement plus cérémonial que pratique, étaient postés sur les marches ainsi que le long de la façade qui entourait l’entrée du Chronologe.
De chaque côté des escaliers, d’imposants piliers de marbre soutenaient le balcon qui avait été étendu temporairement par une estrade de bois qui s’avançaient vers le centre de la place, entourée par la foule. D’imposante barrière de métal en fer forgé formait entre les piliers une palissade majestueuse. Bien que l’allure solennel et grandiose de l’architecture donnait au lieu un air cérémonieux et enclos, les grands portails qui complétait l’enceinte avaient été ouvert et les gens allait et venait entre la place et l’immense bâtiment sur lequel le Chronologe reposait. Probablement le Sanctuaire qu’Alyss avait mentionné.
Finalement, Liam reporta son attention sur le gros du festival. Tandis qu’il balayait le paysage du regard, s’attardant sur chaque stand et chaque évènement qui sortait du lot, il remarqua plusieurs étals qui distribuait de petit paniers remplis de ce qui semblait être des poches transparentes pleines d’un liquide couleur sang, similaire à la teinte de la tour. Et, alors qu’ils approchaient du centre de la place, leur provenance et leur but devenait d’une effrayante évidence. Il se pencha légèrement à l’oreille d’Alyss.
- Ces poches, on ne va quand même pas devoir …
Mais au même moment où il commençait à interroger l’Inventrice, cette dernière avait aussi commencé à s’adresser à lui.
- Tu sais, je commence à me dire que tu es étrangement doué pour ça, ça ne doit pas être une coïncidence.
- Hein ?
Liam fut surpris de l’intervention soudaine de la jeune femme. Il n’était pas sûr se savoir de quoi elle parlait.
- La manière dont tu arrive à observer et à t’adapter à toutes les situations comme tu le fais. C’est facile pour toi. Tu enregistre les informations à l’instant où elles te sont présentées, tu les analyses et tu t’y adapte immédiatement. Ce n’est pas aussi facile que tu pourrais le penser, les gens ne font pas ça naturellement.
- Vraiment ? Je n’ai pas l’impression de faire quoi que ce soit de notable.
Arténiss hocha la tête en signe d’approbation, prenant part à la conversation.
- Oui, comme quand tu étais prêt à en découdre avec moi ce matin, quand je t’ai fait peur. Tu avais aussi agi à l’instant même ou les Infestés nous ont attaqués l’autre jour. Beaucoup de gens se retrouvent paralysées en cas de danger imprévu et soudain, et encore plus la première fois face à un Infesté. Mais pas toi.
- Ou encore la manière dont le document de Mahna à attirer ton attention au milieu de toutes ses études. Même avec le transfert de la première Ange, je doute que tu puisses déchiffrer la moitié de ce qu’elle à pu écrire sur ce morceau de papier, mais tu as tout de même compris qu’il était spécial. Même avant le transfert, il était clair pour moi que tu n’aurais aucun mal à t’adapter à ta situation. Tu as une excellente intuition, tu aurais fait un très bon Inventeur.
A sa droite, Liam sentit Arténiss exagérer un frémissent.
- Par Kiel, non ! Je trouvais déjà que vous vous ressembliez Liam et toi, mais cette conversation commence à me faire peur. On n’a pas besoin d’un intello en plus dans le groupe. Soreï et moi avons déjà du mal à supporter vos conversations entre jumeaux, on ne va pas en rajouter une couche !
Elle se tourna vers lui, son œil violet brillant de malice derrière son masque.
- N’hésite pas à rester du côté des gens stupides, tu verras, on s’y amuse beaucoup plus.
Sur ces mots, elle se baissa soudainement, évitant la claque derrière la tête qu’Alyss avait tenté de lui asséner. Liam éclata de rire devant cette situation au goût de déjà-vu.
- Il me semble avoir déjà observer cette esquive. J’ai comme le sentiment que je vais devoir l’apprendre si je compte rester dans l’entourage proche d’Alyss.
Comme pour confirmer ses propos, un léger coup percuta l’arrière de son crâne. Alyss, qui avait libéré son bras pour effectuer les deux attaques, s’était détournée d’eux l’air indignée.
- Si vous avez finis de raconter des bêtises, on pourrait se reconcentrer sur notre objectif.
Elle avait parlé avec agacement, mais elle se raccrocha tout de même au bras de Liam. Ne voulant pas trop pousser leur chance, Arténiss et lui désamorcèrent la situation d’un rire et se mirent à scanner la place à la recherche du stand bariolé. Finalement, ce fut la Modeleuse qui le repéra la première.
- Là-bas ! Je crois que je l’ai aperçu. On va devoir longer l’estrade par la droite.
Alors qu’elle commençait à les tirer dans la direction concernée, le brouhaha auquel Liam avait cessé de faire attention fut brusquement interrompu.
Un puissant son fendit le ciel, déchirant le chaos ambiant comme pour faire taire la ville toute entière. L’air, les gens, les stands et même le sol se mirent à vibrer.
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