Je dois me reprendre, il faut que je me reprenne. Je vais constituer ce dossier puisqu'on me le demande. À moins que ce ne soit qu'un prétexte, mon sort est déjà jeté et je suis tout entier dans la gueule du loup, dans cette mécanique implacable des bureaux qui n'attendent que le moment opportun pour refermer leurs mâchoires sur ma triste personne. Mon sort sera-t-il seulement adoucit si je fais preuve de bonne volonté ?

Je vais aller voir Hervé puis Florine, nous avons eu une très brève liaison mais elle doit tout de même se souvenir de moi ! Son témoignage aura plus de poids que celui d'Hervé, je le crains. Il est en incapacité et sous anxiolytique depuis de nombreuses années. Il n'est guère plus intégré que moi. C'est chez lui un bric-à-brac remplis d'objets hétéroclites. Il rassemble pêle-mêle tous les objets au rebut qu'il découvre en fouillant sans répit dans les replis abandonnés de la vieille-ville : des paillassons élimés jusqu'au dernier fil, des jerricans remplis d'un jus suspect, des parapluies aux armatures ouvertes, des caddies défoncés, des coquilles d’huîtres, des photos jaunies, des lèchefrites, des mappemondes éclatées, des plaques minéralogiques illisibles, des capsules et des canettes de bière, des médaillons, des boutons de porte, des pots et des bocaux remplis de clous, de mégots, de poussière, que sais-je encore !

Quant à Florine, comment la retrouver ? Elle a changé d'adresse. Il faudrait que j'utilise les réseaux mais ils sont publics et sous surveillance. Notre histoire s'est arrêtée sur une énième dispute. Je ne crois pas qu'elle en ait souffert, moi si.

- Tu ne bouges pas ! C'est ce qu'elle me répétait sans cesse. Je dois reconnaître qu'en comparaison elle faisait preuve d'une énergie peu commune. Versée dans les programmes interminables et toujours recommencés de la grande lessiveuse du développement personnel, elle s'était auto-proclamée thérapeute et recevait à domicile quelques innocents sur le dos ou le fessier desquels elle tambourinait d'importance, en appuyant bien fort, et yin et yang, sur les zones décrétées d'acupression, pour évacuer les traumas comme une mauvaise graisse.

Hervé, Florine, le patron de l'Atelier, quelques collègues qui accepteront peut-être de se mouiller pour moi : la pêche est un peu maigre ! L'administration doit avoir raison : je suis un asocial !