Prologue
Ravenne, 452 AD
Le généralissime Aetius contemplait la grande cour depuis le balcon de la salle principale du palais impérial. Cela faisait des semaines qu’il avait envoyé deux de ses meilleurs espions, l'un sur les rives du Danube et l'autre vers Constantinople, pour l’informer des positions de l’ennemi. Il avait entendu dire que la Horde du Grand Roi se préparait à attaquer le coeur de l'Empire, afin de mettre à sac et annihiler une bonne fois pour toutes ce qu’Attila haïssait le plus au monde : la corruption et la décadence.
Aetius scrutait l'horizon bardé de cyprès derrière les hautes murailles de pierre. Il était inquiet. Il n'avait plus de nouvelles du front depuis un certain temps. Depuis sa victoire sur les champs Catalauniques en Gaule, il avait laissé partir son ennemi au lieu de l'achever définitivement. S'il avait agi selon le sens commun, il aurait perdu un atout de taille sur les dirigeants romains et le sénat. Attila était son arme secrète, sa garantie pour gravir peut-être un jour les échelons du pouvoir.
Mais maintenant, il devait reconnaitre qu'il avait perdu le contrôle. La seule information qu'il avait reçue, au passage d'un couloir, fut la mort violente de Marcus, un de ses informateurs, tombé bêtement lors d'un raid ennemi, proche de la capitale orientale. L'empereur Romain d'Orient ne s'était pas laissé faire et avait, contre toute attente, réussi à faire battre en retraite la Horde. Tout ça grâce au culot et à une armée beaucoup plus équipée et menaçante que les pauvres bougres d'Occident. Cet incident s'était déroulé un mois auparavant. Le Hun devait se diriger vers Rome à l'heure qu'il était, et personne ne connaissait l'avancée de son armée.
Bientôt, un bruit familier fit sortir Le Généralissime de ses pensées : le galop d’un cheval qui s’aventurait à l’entrée de la cour principale. Les gardes accoururent vers l’animal pour le débarrasser d’une masse informe, qui gisait sur sa croupe. C’était un corps humain enveloppé dans sa tunique blanche et rouge. De loin, on ne pouvait voir s’il s’agissait d’un homme blessé ou mort, car ce dernier ne tenait plus sur ses étriers et les soldats s’y prirent à plusieurs pour le porter. L’attroupement se précipitait tant bien que mal vers le palais. Bientôt Aetius entendit les pas précipités et lourds des gardes.
Il les attendit à l’entrée de la salle, anxieux des terribles nouvelles qu’ils pouvaient bien lui apporter. Qui était le moribond qu’ils étaient en train d'amener ? Cela n’annonçait rien de bon. Il le reconnut cependant dès que les gardes arrivèrent au seuil de la porte. C’était Julius Caepius, l'autre messager.
Aetius se précipita vers les soldats qui tenaient le malheureux par les épaules. Le Généralissime le prit dans ses bras pour le déposer délicatement sur le tapis de laine et se pencha vers son visage afin que l’homme puisse lui parler sans trop d’effort. Il était considérablement amaigri, avec des plaques rouges réparties sur tout le corps. Du sang coulait de ses yeux, de son nez et de ses oreilles. Il devait en perdre aussi de tous les autres orifices, comme en témoignait le rouge de sa tunique. Ses cheveux étaient devenus épars et s’arrachaient avec une facilité déconcertante. Quelle étrange malédiction lui avait-on jeté ? Comme ce dernier perdait connaissance, Aetius lui dit en lui tapotant doucement le visage :
- « Caepius ! Que s’est-il passé ? Caepius ? »
Le messager reprit vaguement conscience et, dans un effort qui paraissait surhumain, lui murmura à l’oreille :
- Un détachement hun … en reconnaissance… suivis... dans les plaines… Anges dans le ciel… éclairs... flammes… Dieux rouges… enfuis… Les Huns massacrés… survivants… emportés dans lumière des Anges… ».
Puis Caepius ferma les yeux. Aetius le secoua pour qu’il revienne à lui, malgré le sang qui coulait entre ses lèvres. Caepius rouvrit un peu les paupières et soupira dans un dernier souffle :
« C’est la guerre… nous sommes perdus… Apocalypse… »
Le jeune homme s’endormit alors définitivement dans les bras de celui que l’on nommera, bien plus tard, le dernier des Romains.
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