Chapitre 5: Lisa enquête.

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Le dos contre la porte de son bureau, après avoir pris une bonne inspiration pour se calmer, Lisa tente de rassembler tous les différents évènements qui viennent de se produire. Bon, résumons : ce matin, elle avait dans la tête l’associé de Lemaitre. Cela fait un an qu’elle est seule. Pas d’aventure, pas de petit ami stable depuis Benjamin aka Ben, qui lui avait pourri la vie et l’avait harcelée, voir menacée de mort alors qu’elle venait de le quitter. Elle ne supportait plus son attitude ultra possessive qui avait amené le geste de trop sur elle : un coup de poing dans l’estomac. Elle avait dû porter plainte, terrorisée par ses menaces constantes. Depuis une année, elle avait fui toute forme de relation amoureuse. Depuis une dizaine de jours, voici cet étranger, affable, élégant et avec un charisme de dingue, qui lui avait fait à nouveau battre son cœur meurtri par la folie des hommes. Puis, la veille au soir, elle avait pris la décision de le séduire, quitte à le mettre dans son lit dès la première nuit, tant cet homme lui avait fait tourner la tête. Sauf que… cet homme, dont elle s’était persuadée qu’il était LE bon, s’avère être en fait un tueur psychopathe au sang-froid hallucinant. Lorsque la police a parlé des deux meurtres dans l’immeuble de la rue Demarquay, il n’a pas bronché, pas bougé un cil. Rien. Comme s’il savait. Elle est sûre que c’est lui. Trop de coïncidences : d’abord, il débarque dans le bureau de Lemaitre avec son projet. Personne ne sait qui il est, ni d’où il vient. Et Lemaitre, qui aurait dû cordialement l’envoyer balader, accepte le projet de la rue Demarquay, comme ça, sans garantie. En plus son patron est très enthousiaste par tout ce que lui présente Guidrish et ne jure que par lui. Comme si ce dernier lui avait jeté un sort. Deux jours après, M. Guidrish arrive avec toutes les autorisations de démolition et de construction. Soit ce type est un génie de la négociation, soit il a le bras sacrément long, mais pas vers les bonnes personnes. Il est de l’Est. Du moins, c’est ce que trahit son accent et son attitude fermée. Il doit être un des pontes de la mafia Russe. Ce n’est pas possible autrement. Ensuite, qu’est-ce qu’il foutait aux archives ? Pourquoi se jeter sur elle pour la faire taire ? Qu’est-ce qu’il cache ? Et qui est-il vraiment ? Lisa aurait juré qu’il était armé. Oui. Tout s’emboitait. La police est là. Pourquoi ne pas en profiter et le dénoncer ? Non. S’il a commis les deux meurtres, il peut en faire plus. Lisa commence à avoir des sueurs froides. Qu’est-ce qu’elle n’aurait pas donné pour une cigarette ! Elle était toute contente d’avoir arrêté depuis quatre semaines. De toute façon, elle n’en n’a pas. Autant agir efficacement.

Lisa reprend une bonne inspiration et réfléchit à son plan d’action. Tout d’abord, avoir l’air normale. Elle prend dans son sac son petit miroir de poche afin de remettre d’aplomb sa coiffure et sa tenue et remet un peu de rouge à lèvre. Qu’est-ce-que voulait Lemaitre déjà ? Ah oui, son café, ainsi que le dossier de la rue Lecoq, qui a été jeté au sol, dès qu’elle est retournée à son bureau. Oui, mais la police se trouve, en ce moment même, avec Lemaitre, à son office... Justement, quelle aubaine ! Voilà une formidable excuse pour pouvoir les approcher.

Lisa rassemble les feuilles éparses au sol du dossier Lecoq et les range correctement dans la chemise. Puis, le plus naturellement possible, sort du bureau et se dirige vers la cuisine. En passant devant la réception, la Brunois la fusille du regard. Ah ! Il y en a encore une qui se fait des films. Si la vieille bique lui cherche des noises, Lisa saura taper là où ça fait mal, puisque cette vieille folle a l’esprit si mal placé : Lisa était si mal fagotée descendant des escaliers que la Brunois a dû croire que M. Guidrish et elle ont dû exploiter les archives autrement que juste dépoussiérer de vieux dossiers. Au moins, il n’y a pas que du négatif dans cette histoire. Si la vieille est persuadée que Lisa a une liaison avec Guidrish, elle ne trouvera pas forcément anormal que Lisa va de temps en temps s’éclipser dans le bureau du bel étranger.

Arrivée devant la machine à café, Lisa s’assure qu’elle est bien seule. Dans le placard, en haut, derrière la vaisselle, il y a une petite bouteille de gin cachée là. Lisa se sert et en prend une bonne goulée pour se rassurer et repose la petite flasque à l’endroit où elle doit toujours être, pour ne pas éveiller les soupçons. Elle place alors une capsule de café dans la machine, trouve les petites tasses et en pose une sous le réservoir. Le bruit strident de la machine, cesse, indiquant que le breuvage de Lemaitre est prêt. Lisa prend la tasse, sous son bras tient le dossier demandé par Le Maitre et se dirige, toute confiante, vers le bureau de l’architecte. Arrivée devant la porte, elle donne trois petits coups et attend l’autorisation de son patron pour rentrer. Mademoiselle Brunois est toujours assise à la réception, scrutant les moindres faits et gestes de Lisa. Avec son regard assassin, elle pourrait en commettre un autre de meurtre. Mais Lisa n’en a que faire. Elle s’en délecte, au contraire.

La voix de Lemaitre se fait entendre, invitant Lisa à entrer. Prenant son air le plus normal qui soit, elle ouvre la porte doucement, comme elle fait à son habitude, en faisant attention de ne pas faire tomber le café et le dossier, rentre, se réjouissant de faire enfin connaissance avec les agents de police.

Devant le bureau de Lemaitre, sur les deux sièges qu’il réserve à la clientèle, se trouvent deux hommes, qui se lèvent et se retournent pour voir qui vient d’interrompre leur conversation. Celui sur sa gauche est un grand jeune homme ordinaire, grand et l’air maladroit. Il est plutôt jeune, au milieu de la vingtaine. Il a une veste de costume un peu trop large pour lui et des baskets qu’il porte avec un vieux jean mal ajusté. L’autre homme est plus âgé, la quarantaine environ, et plus typé aussi. Il doit être du sud de l’Europe, espagnol ou italien. Plutôt bel homme, avec un regard pénétrant malgré les cernes et une barbe de trois jours. Ce monsieur n’a pas l’air d’avoir beaucoup dormi récemment. Ou alors il s’est levé un peu trop tôt. Son trench coat gris élimé dégage une forte odeur de tabac froid, ce qui n’est pas désagréable. Il doit être le chef de l’équipe.

Les deux policiers scrutent Lisa, ce qui la met un peu mal à l’aise. Elle avance, tout sourire vers le bureau de Lemaitre, derrière lequel ce dernier est installé confortablement, avec toujours cet air très docte et suffisant. Sans doute pour ne pas perdre la face devant les policiers. Alors qu’elle dépose le café délicatement à côté du sous-main et le dossier au centre du bureau, le plus vieux des deux hommes lui adresse la parole :

- « Bonjour Mademoiselle. Je suppose que vous êtes la secrétaire ? Votre nom s’il-vous-plait ?»

Arborant le sourire le plus naïf et désarmant qu’elle puisse avoir, elle se retourne pour répondre. Et là, son cœur bondit au fond de sa poitrine et son sourire se fige. Au fond de la pièce, adossé nonchalamment au mur, les bras croisés sur son torse, Guidrish la fixe du regard, le visage fermé. Il attend sa réponse et ses yeux semblent lui lancer un avertissement : elle n’a pas intérêt à se comporter stupidement, sinon, elle risque de ne plus revoir son lit douillet cette nuit.

- « Euh… oui effectivement je suis la secrétaire de M. Lemaitre. Je m’appelle Lisa, Lisa Mauragnier. »

- « Enchanté Mademoiselle. Mademoiselle, c’est bien ça ?

- « Oui Monsieur.

- « Capitaine Garcia Lopez, de la section criminelle. Voici mon associé, Lieutenant Mandrin. » Il désigne de la main son jeune collègue. Ce dernier salut la jeune femme d’un signe de la tête. « Depuis combien de temps êtes-vous au service de M. Lemaitre ? »

- « Bientôt trois ans, Monsieur… euh… Capitaine, pardon. »

- « Ce n’est pas grave, Mademoiselle Mauragnier. Voici ma carte. Nous sommes au début de l’enquête et nous risquons de vous recontacter si nous avons besoin de plus amples renseignements de votre part. Veuillez s’il-vous-plait donner vos identifiants et coordonnées à mon collègue ici présent. »

Elle voit le jeune lieutenant Mandrin sortir un calepin de la poche interne de sa veste avec un stylo, l’ouvrir et attendre poliment sa réponse. Lisa lui donne son nom, adresse et numéro de téléphone. Mandrin acquiesce avec un sourire poli.

- « Ce sera tout Mademoiselle. Nous vous remercions de votre collaboration. » répond Garcia.

Lisa sourit timidement en retour et sort du bureau, en fixant la porte, qu’elle referme derrière elle le plus rapidement mais silencieusement possible, comme pour se faire oublier. Lisa fonce la tête baissée vers la cuisine.

Elle n’a même pas jeté un regard vers sa rivale qui continue de surveiller ses moindres faits et gestes depuis la réception.

Elle ferme la porte derrière elle, pour être tranquille et souffler un peu. Vite, la flasque de gin dans le placard. Ce n’est pas la sienne, mais tant pis. Au point où elle en est ! C’est la poisse. Elle n’a pas pu parler aux policiers comme elle voulait. Et le pire, Guidrish était présent et connaît maintenant son adresse et son numéro de téléphone. Il aurait pu la trouver dans le registre des employés, mais avant, il n’en avait cure. Là, il la surveille. Il sait qu’elle sait. Ou du moins qu’elle a des soupçons. Et justement, ce même jour, il a toutes les informations dont il a besoin pour l’éliminer. Que faire ?

Précisément, comme il a des informations sur elle, ne pas se laisser décontenancer et enquêter sur lui. Il est en ce moment bloqué avec les policiers. Autant en profiter pour fouiller son bureau. Ça tombe bien, le bureau de Guidrish est à côté de la cuisine, sous l’escalier, c’est-à-dire hors de vue du bureau de M. Lemaitre, et surtout de la réception.

Ni une ni deux, Lisa se faufile le plus silencieusement possible vers le bureau de Guidrish, vérifie si la porte n’est pas fermée à clef. Elle ne l’est pas. Elle entre le plus furtivement possible dans la pièce et referme silencieusement derrière elle.

La pièce est savamment éclairée par la lumière du jour. Elle est propre, nette, tout est rangé à sa place. Le bureau est au milieu de la pièce. Sur celui-ci, Lisa peut voir des plans, étalés méthodiquement. En regardant de plus près, ces plans concernent justement le bâtiment de la rue Demarquay. Lisa les consulte, vérifie s’il n’y aurait pas des indications ou des signes quelconques qui lui donneraient un indice. A certains endroits, elle trouve des croix. Sur le plan correspondant au sous-sol, un cercle au milieu, et des annotations sur le côté. Cependant, c’est écrit en une langue inconnue, en alphabet latin certes, mais une chose est sure, ce n’est pas du français. Ni du russe. Sinon, les lettres seraient en alphabet cyrillique. Elle est peut-être une bille en langue étrangère, mais elle sait au moins que certaines langues n’ont pas le même alphabet que la sienne.

Elle essaie d’ouvrir les tiroirs sous le bureau mais ces derniers sont fermés à clef. L’armoire qui se trouve en face est aussi fermée à clef. Où chercher ? Elle se retourne alors, et voit à côté de la porte, un porte-manteau sur lequel est accroché un long manteau noir de marque. Elle se précipite dessus, le palpe et sent dans une des poches intérieures quelque-chose de rectangulaire. Un passeport ou un permis de conduire peut-être ? Bingo ! Un passeport. Il est de couleur bordeaux. Lisa essaie de lire ce qui est indiqué dessus : « Útlevél » écrit en caractère gras en bas. Sur la partie supérieure, elle peut voir « Európai unió Magyar Köztársaság ». C’est un pays de l’union européenne et certainement de l’Est. Mais lequel ? Et puis quelle est cette langue bizarre ? Lisa se sent idiote. En ouvrant le passeport, elle constate que c’est bien la photo de Guidrish. Rien de suspect, c’est bien lui. Une date : le 14 décembre 1965. Il aurait donc 53 ans, ou du moins bientôt, dans une semaine. Une pensée vient à Lisa automatiquement : qu’est-ce qu’il est bien conservé pour un quinquagénaire ! Elle chasse immédiatement cette idée de la tête. Non, ce n’est pas un type bien. C’est un tueur. Un fou furieux. « Enlève-le-toi de la tête ! ». Elle trouve un nom, « Gidrìs » et en dessous, certainement le prénom : « Egon Farkas ». Elle voit le nom d’une ville, qui doit être le lieu de naissance : « Budapest ».

Lisa est peut-être nulle en langue étrangère mais elle connaît sa géographie, grâce aux longues parties de trivial poursuite, lors des fêtes familiales. C’est la capitale de la Hongrie.

Lisa sent un cri de victoire monter en elle, qu’elle taira pour ne pas se faire repérer. Elle entend une porte qui s’ouvre. Quelqu’un vient de quitter le bureau de Lemaitre. Elle replace le passeport dans la poche intérieure et sort subrepticement de la pièce, pour foncer vers la cuisine, l’air de rien. Il était moins une ! C’est justement Monsieur Guidrish qui retourne à son bureau. Cependant, intérieurement, elle jubile grâce aux maigres informations qu’elle a pu obtenir sur le mystérieux étranger. Je vous tiens, Monsieur Egon Farkas Gidrìs de Budapest !

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