Chapitre 7: Autopsie

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Vendredi 7 décembre, en fin de matinée.

Garcia et Mandrin sont les deux dans la Peugeot de fonction si grâcieusement confiée par le ministère de l’Intérieur, Garcia est au volant, Mandrin à la place du mort. Ils roulent sur le périphérique au milieu d’un trafic qui se fluidifie. Les heures d’arrivée au bureau sont passées pour la plupart des Parisiens. Les deux policiers, eux, doivent s’y rendre pour y faire leur premier rapport. Le fameux commissariat a récemment été réaménagé au quartier des Batignolles depuis le 36 Quais des Orfèvres.

- « Bon. Mandrin. Que penses-tu de ce premier contact ?

- Ben… Je ne vois pas l’intérêt qu’auraient ces gens à éviscérer et carboniser deux femmes sur un lieu où ils ont des projets de construction… C’est idiot.

- Oui, tout à fait d’accord avec toi. C’est d’ailleurs un sacré contretemps pour un projet de plusieurs millions… ça peut même mettre toute l’affaire à l’eau. Tu t’imagines le montant de pognon qu’ils perdent...

- Euh… oui ?

- Surtout ce Guilach…

- Guidrish.

- Oui, le principal investisseur. Si j’étais lui, j’aurais été au bord de l’infarctus !

- Oui, c’est vrai Chef… Il n’avait pas l’air très traumatisé le bougre ! Mais bon c’est un mec de l’Est. J’ai entendu dire qu’ils sont entrainés à cacher leurs émotions là-bas, surtout avec la guerre froide et tout ça !

- Et ben mon vieux ! Il a eu un sacré entrainement ce gaillard ! C’est quoi son nom déjà ?

Mandrin consulte les cartes de visites remises au bureau de Lemaitre :

« Euh… alors lui…il s’agit de.. Mr Gui... Ji… Drisse?

Garcia prend rapidement la carte des mains de Mandrin, et tout en scrutant la route du coin de l’œil, balaye la carte du regard pour ensuite la rendre à son subalterne.

- Non. Ça se prononce « Guidrish ». Pas « jidrice ».

- Oui, Guidrish Egon, Farkace… C’est quoi comme origine ça ?

- « Farkache » Le « s » se prononce « ch ». C’est du Hongrois. Ça veut dire « loup ». C’est l’équivalent de Wolfgang en Allemand.

- Oh ! Mais comment vous savez tout ça chef ? Vous avez des origines de là-bas ?

- Non. Ma première femme était d’origine hongroise. On s’est connu à la fac. A la Sorbonne. Ses grands-parents maternels avaient fui le pays après la révolution d’Octobre 56 à Budapest et s’étaient réfugiés à Bruxelles. Elle y est née et a grandi à Bruges. Quand elle était en âge de faire ses études, elle a voulu aller à Paris, à la Sorbonne. Elle était en histoire de l’art, moi en criminologie… bref. On s’en fout. C’est pour dire que ce mec vient certainement de Hongrie et que je vais contacter la Police de Budapest pour savoir s’ils ont plus d’informations sur lui. Je vais voir avec Interpol aussi, tiens ! Juste au cas où. Ce gars… il était trop sûr de lui. Trop calme. Il n’a pas bronché quand on a parlé des meurtres. Je n’aime pas ça. Et tu as remarqué ses yeux ?

- Euh… non. Pourquoi ?

- Ils étaient jaune doré. Ce n’est pas commun ça comme couleur d’iris, ça !

- Vous êtes sûr qu’ils n’étaient pas verts ou noisette ? Parfois la lumière ça change la couleur des yeux, vous savez, Capitaine. Moi, c’est le vieux que je ne sens pas » remarqua Mandrin. « Il est devenu blanc quand on a parlé des corps… »

- Ben tu m’étonnes ! Il a dû en investir du fric ! Il a vu sa future fortune s’évaporer comme neige au soleil ! Non, non. C’est probablement un vieux pervers, vu la jolie petite secrétaire qu’il a embauché, et certainement un vieux con, mais pas un meurtrier sataniste. Quoique… avec ce métier, plus rien ne m’étonne ! »

Sur ces belles paroles, Garcia se concentre sur la route, se dirigeant vers le commissariat, et déjà à l’affut pour trouver une place de parc… improvisée. C’est la maison qui paye. Pas grave. Mandrin et Garcia arrivent à leur bureau, s’y installent, prêts à taper sur leur clavier les premières conclusions de la maigre enquête qui ne fait que démarrer, lorsque Fouchon arrive à toute bombe dans leur bureau :

- « Hey les gars ! Le docteur Sven veut vous voir. Surtout toi Garcia…

- « Quoi !? Déjà ? Mais… les rapports d’autopsie ça prend plus d’une semaine norm…

- Ouais, je sais ça. Mais elle veut te voir. Elle vient de recevoir les corps et il y a un truc qu’elle veut te montrer. Ça va te plaire, paraît-il. »

Garcia, circonspect, se lève de son bureau, après y avoir été assis depuis à peine 30 secondes, et se dirige vers la salle mortuaire, au sous-sol.

Arrivé là-bas, dans ce grand espace blanc et aseptisé, il regarde autour de lui, voit les deux corps carbonisés sur les tables d’autopsie et le Dr Sven, équipée de sa blouse blanche et d’une large protection transparente lui couvrant tout le visage, concentrée sur la dissection du torse d’un des cadavres. Continuant son opération, et sans quitter des yeux son patient, elle dit alors d’une voix claire mais concentrée :

- « Ah. Capitaine Garcia. Venez près de moi, j’ai quelque-chose à vous montrer.

Garcia s’avance, intrigué par ce qu’elle veut dire. C’est bien la première fois qu’elle l’invite à son « bureau » avant même d’avoir eu tous les résultats de l’examen des victimes.

- « Que se passe-t-il, Docteur Sven ? Que voulez-vous me montrer de si palpitant ?

- Là ! » Elle montre du doigt le haut de la cuisse droite du corps.

- « Et qu’est-ce que je suis censé voir ? Un code en morse ? Le visage de la Vierge ou du Père Noël ? C’est tout cramé, on n’y voit rien. »

Le docteur Sven lève la tête exaspérée, et son regard bleu perçant fixe alternativement le haut de la cuisse droite du corps et la tête de Garcia.

- « Là ! Inspecteur ! Sur la hanche… regardez bien. On voit encore la marque. Le feu n’a pas tout détruit. »

Garcia se rapproche. L’odeur de chair brûlée et de mort lui monte à la gorge. Les tissus ne sont plus qu’un amas noir et collant. C’est du charbon prêt à tomber en poussière. Mais à travers la noirceur des chairs, on peut entrevoir une forme blanche, une spirale aux veloutes délicates et parfaites… Un tatouage raffiné et rare : Une spirale nacrée aux symboles celtiques. Le symbole d’un autre temps, gravé sur une gamine brulée et mutilée à mort.

Garcia se redresse brusquement, fixe le docteur.

- « Ce n’est pas possible… » dit-il dans un souffle, le regard perdu dans des souvenirs douloureux qui refond soudainement surface.

- « Certes, mais c’est sous nos yeux. Il semblerait qu’il soit monté d’un cran. Il n’y avait que les seins qui étaient amputés avant. Et les viscères. Et il ne brulait pas les corps.

- « Cause de la mort ? » Dit Garcia d’un ton abrupt.

- « Oh ! Doucement papillon ! Je viens à peine de commencer. Mais à première vue, pas de marque d’objet contendant, pas de trace de balles ou d’autres objets perforants. Aucun signe d’asphyxie ou d’étranglement. Les poumons sont nickels. Ce qui veut dire que les corps ont été brulés post-mortem. Et puis vu qu’il n’a pas eu d’hémorragie externe, ils ont été mutilés après le décès. Je vais devoir faire analyser les fluides au département toxicologique pour voir s’il n’y a pas de traces de drogues ou poisons, mais je mettrais ma main à couper que… »

Elle se tait brusquement et se dirige vers le haut de la tête, le scalpel sur le front de la jeune morte. Elle trace une ligne parallèle au front, relève la peau pour y dégager le crane directement. Prend une scie ronde électrique et entreprend l’ouverture du crâne. Garcia est au bord de l’évanouissement. Mais il veut voir. Il veut en avoir le cœur net.

Le Dr Sven soulève la moitié de la boite crânienne ainsi découpée, afin de faire apparaître ce qu’il reste du cerveau, mais ne l’enlève pas complètement.

- « Oui… C’est bien ce que je craignais… » Chuchote-elle, la voix tremblotante. « La cause de la mort : un anévrisme général sur tout le cerveau : Le cerveau a littéralement fondu. Comme les autres… »

Garcia ne bouge pas. Ne dit plus rien. Il digère l’information. Il ne sait pas s’il doit crier, péter le premier objet qui lui passe sous la main ou fondre en larme. Et tout remonte à la surface : cette vieille affaire d’il y a 3 ans. Une série de meurtres ignobles sur plus d’une dizaine de femmes et filles, entre 11 et 53 ans, toutes mutilées, éviscérées et le cerveau à moitié fondu dans la boite crânienne. Et toutes avec cette maudite spirale blanc nacré sur la cuisse droite… Les morts se suivaient presque chaque mois. C’était en 2015. Puis, après le Noël de cette année-là, après avoir trouvé une femme de 23 ans à un arrêt de bus, en face de chez elle, le corps dans un état indescriptible, qui faisait concurrence à n’importe quel film gore des années 70, plus rien. Disparu. C’était son premier tueur en série. Jamais attrapé. Jamais identifié. Rien. Aucune trace. Cette histoire l’avait rendu malade et dépressif. En parallèle, cependant, il avait réussi à démanteler un réseau pédophile et de prostitution vers les pays de l’Est, et avait sauver quelques dizaines d’enfants des griffes d’un pervers sadique, qui faisait son beurre dans la pédopornographie, mais qui, malheureusement pour lui, s’était retrouvé avec un mort sur les bras : le petit était allergique aux barbituriques. Le cœur avait lâché.

Le trafiquant n’avait pas su faire disparaître les preuves… Dommage ! Mais la mort de l’enfant n’aura pas été vaine : elle aura permis le sauvetage de tous les autres.

Garcia reprend chaque bribe d’information dans sa tête, repasse tout en revue : les corps de ces femmes, les tatouages, les anévrismes, les mutilations… et en parallèle ce crétin de pédo. Intéressant que ces histoires se soient déroulées en même temps. Les souvenirs reviennent doucement, puis de plus en plus rapidement. Oui, ce type était fou, il était suivi par un psy d’ailleurs. C’était quoi son nom déjà ? Un truc du Maghreb… Hasser… Dr Hasser.

Puis le souvenir de l’arrestation du gars. Une image d’un démon… Pourquoi ? Qu’est-ce que les démons viennent foutre là-dedans ? Ah oui. Le gars se disait manipulé par le Diable et les démons… Les démons…

Garcia revient subitement à lui, comme sorti d’une terrible transe. Il a le regard vif et à moitié fou. Il est pris d’un violent enthousiasme comme s’il venait de gagner à la loterie.

Sven le regarde, perplexe :

- « Garcia ? ça va ? C’est lui, n’est-ce pas ? »

- « Oh oui ! Ça va très bien ! »

Garcia est extatique. Il va peut-être pouvoir mettre un terme à cette histoire. Il part brusquement, en courant presque, manquant de s’assommer avec la porte battante de la salle d’autopsie qui mène au couloir.

Le Dr Sven s’inquiète. Qu’est-ce qui se passe dans sa tête à cet inspecteur ?

- « Garcia ?? Il se passe quoi ? »

Puis comme un écho qui vient du fond du couloir :

- « Oui, il est de retour ! Mais il a merdé et on va le chopper !

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