Vendredi 7 décembre, 22h

Il est dix heures du soir en ce vendredi 7 décembre 2018. Et le week-end est là, normalement synonyme de repos et présage de toutes les réjouissances de fin de semaine. Mais pas pour Garcia. Il est de service demain. Son week-end n’est pas pour tout de suite. D’autant plus que l’affaire du ravisseur de traites humaines, du nom de Jean-Claude Morant, qui est en ce moment derrière les barreaux en attente de son jugement pour détention de films à caractère très condamnable ainsi que kidnapping, agression et séquestration d’enfants et de jeunes femmes en vue de trafic humain et abus en tout genre, est aussi le suspect n°1 d’une série de meurtres abominables perpétués il y a 3 ans de cela dans la capitale. Mais, apparemment, sur ce coup-là, ce n’est pas lui. Ou alors un copy cat ? Si c’est le cas, ce dernier est bien plus cruel que Morant. Mais moins prudent.

Garcia, qui a réussi à sortir de son bureau, après les appels incessants de son épouse, pour le sommer de rentrer à la maison, alors qu’il était le nez plongé dans de vieux dossiers de l’affaire ou l’oreille collée au combiné du téléphone en train d’essayer de joindre et obtenir un contact à la PJ de Budapest. Il espérait obtenir de nouveaux indices, témoignages ou preuves de son nouveau suspect. Et, maintenant il est confortablement installé dans son fauteuil, devant la télévision.

Un film, dont il ne connait pas le titre, se déroule devant ses yeux. Mais, même si ces derniers sont rivés devant l’écran, il ne regarde pas les images. Il réfléchit. Il assemble les différents éléments de la journée ainsi que ceux des dossiers de la rue Lecoq. La rue Lecoq… il est persuadé d’avoir vu ce nom quelque part aujourd’hui. Mais où ? Impossible de se rappeler. Une bonne nuit de sommeil ne peut qu’être salvatrice et lui fera retrouver la mémoire, surtout après une telle journée.

" Chéri ? Ton téléphone… il n’arrête pas de vibrer. Tu le prends ? "

La voix de sa femme le sort de ses réflexions. Effectivement, là, sur la table basse, son téléphone effectue une danse frénétique et fait vibrer le meuble sur lequel il a été posé.

" Ah merde… je l’avais mis sous silencieux. "

Garcia se lève pour le prendre. Un numéro qu’il ne connait pas s’affiche sur l’écran du smartphone.

- Capitaine Garcia. A qui ai-je l’honneur ?

- Oui ! Bonsoir Capitaine. Ici le lieutenant Kairouan du commissariat du 4eme. Nous avons eu une plainte ce soir pour une agression. La victime voulait absolument vous parler car elle pense que son agression a un lien avec votre affaire.

- Ah bon ? Comment ça ? Quelle affaire ?

- Celle de la rue Demarquay, Elle dit que vous avez interrogé ses collègues ce matin, là où elle travaille.

- Quoi ? Qui est-ce ?

- Mademoiselle… Mauragnier. Lisa Mauragnier. Elle est secrétaire à l’étude de Lemaitre et…

- QUOI ? Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ? Ou est-elle maintenant ?

- Écoutez, elle vient de partir. Mais elle revient demain matin pour faire le portrait-robot de son agresseur. C’est juste pour vous informer. Vous pouvez venir demain matin au poste si vous voulez…

- Non. J’arrive tout de suite ! "

Au même moment, au poste de police du 4ème arrondissement de Paris, la concierge du bâtiment 3 rue du Pressoir, Madame Martin, est à la réception, à crier devant le verre en plexiglass, derrière lequel se trouve un agent qui essaie de la calmer.

- Mais je vous dis, Monsieur l’agent ! Il y a un tueur dans mon immeuble ! Un pervers je vous dis ! Il a fait du mal à la petite Lisa !

- Ok. Calmez-vous, s’il-vous-plait, Madame. " Le policier essaie tant bien que mal de placer un mot. Mais Madame Martin n’arrête pas de parler.

" Vous vous rendez compte ! Dans MON IMMEUBLE ! Un pervers sadique ! Et il était nu en plus ! Il tenait la couverture de Mademoiselle Lisa ! Et puis ses yeux ! Oh mon Dieu… Il aurait pu me tuer ! "

Le lieutenant Kairouan, qui vient juste de terminer sa conversation avec le capitaine Garcia, a comme une impression de déjà entendu : Lisa, tueur, rue du Pressoir… Elle interpelle Madame Martin.

" Madame ? "

Cela coupe net les diatribes de la concierge. Elle se retourne vers la policière.

- Oui ?

- Suivez-moi s’il-vous-plait. On va discuter dans un endroit plus tranquille. Et comme ça, je pourrais prendre votre déposition. Vous voulez bien ?

- Ou..Oui..

- Parfait. "

Le lieutenant Annick Kairouan a le don de calmer n’importe qui, grâce à un talent que personne n’est capable de nommer exactement. Peut-être est-ce sa voix calme ou son empathie légendaire ? Toujours est-il que grâce à ce don, Madame Martin suit sans discuter la policière jusqu’à son bureau, là où elle venait d’interroger Lisa quelques minutes auparavant.

- Alors, dites-moi. Madame ?

- Martin. Sybille Martin.

- Bien. Madame Martin. Que se passe-t-il ?

- Il y a un tueur dans mon immeuble ! Je l’ai vu ! Il était dans l’appartement de Mademoiselle Mauragnier. Et il était tout nu ! "

Annick Kairouan essaie de ressembler ses pensées en se frottant les yeux d’une main. Visiblement, Madame Martin parle de la même affaire que Mademoiselle Mauragnier. Cependant, le lieutenant ne se souvient pas que Lisa lui ait parlé d’un homme nu. Ensuite, le fait d’être en tenu d’Adam ne fait pas d’un homme un meurtrier potentiel.

Après une grande expiration, elle demande :

- Et… il ressemblait à quoi cet homme ?

- Ben, il était nu comme un ver ! C’était un bel homme musclé… milieu de la quarantaine… " Madame Martin rougit un peu en évoquant l’image de l’homme qu’elle avait surpris. " Mais il avait plein de cicatrices dans son dos. Et un regard ! Ses yeux brillaient d’une lueur… bizarre. Comme s’il avait les yeux jaunes. Mais pas jaune canari ou quoi. Non. Comme si ces yeux étaient en or. "

Annick cligne des yeux et regarde, incrédule, Madame Martin.

- Et… vous l’avez vu où cet homme ?

- Et bien dans l’appartement de la jeune Lisa ! Il regardait l’écran de l’ordinateur sur le bureau qui est dans le salon. Et il tenait un plaid dans ses mains. Le plaid que Mademoiselle Lisa porte lorsqu’elle est chez elle. Faut dire que nous avons des problèmes avec le chauffage ces temps-ci. Vous savez, le prix du gaz et tout ça… En fait, je regardais le télé journal sur la Une. Et il y avait un reportage sur un chanteur… je ne sais plus son nom. Ils passaient un extrait de son concert. Oh la musique n’était pas terrible, vous savez… Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus de gout pour la musique. Vraiment ! "

La policière s’enfonce de plus en plus dans son siège en se demandant combien de temps tout ce flot de parole va encore durer, tout en tapant sur son clavier.

" Et puis lorsque Anne-Claire Coudray, la présentatrice, est à nouveau en train de parler, j’entends un de ces boucans à l’étage ! Comme si on déplaçait des meubles et qu’on enfonçait un clou dans un mur ! Je crois même que j’ai entendu crier à l’aide. "

Bon. Ce qui veut dire que l’altercation a dû avoir lieu entre 20h et 20h30, au milieu du JT, si on en croit les dires de Madame Martin, se dit le lieutenant de police. Au moins quelque chose qui corrobore le témoignage de Mademoiselle Mauragnier.

- J’étais terrifiée vous savez ! Je ne pouvais plus bouger de mon fauteuil pendant cinq bonnes minutes. Puis, comme je n’entendais plus rien, je me suis levée et je suis sorti de chez moi pour monter à l’étage. D’abord j’ai cru que c’étaient ceux du premier. Ils n’arrêtent pas de se chamailler. Vous savez, les Italiens… Bref. Mais comme il y avait leurs pantoufles sur leur paillasson – ils laissent toujours leurs pantoufles sur leur paillasson quand ils partent – eh bien je suis montée encore d’un étage. Et là, j’ai vu la porte de l’appartement de Lisa grande ouverte ! Alors j’ai jeté un coup d’œil… et… oh mon dieu ! Quel chambardement là-bas d’dans ! J’vous jure ! On aurait cru qu’un troupeau d’éléphants était passé par là. Alors, je me suis rapprochée, et là, j’ai vu l’homme ! Tout n…

- Oui. Merci Madame Martin. Il était tout nu. Et avait les yeux jaune or… mais encore ? Avait-il les cheveux noirs ? Avec la peau plutôt mate ? Genre hispanique ou du genre ?

- Oh non pas du tout ! Il était blanc ! Pas comme un cul de laitier mais pas loin. Et il avait les cheveux poivre et sel. On aurait dit un homme de l’Est vous savez ? Peut-être un mafieux Russe ou quelque-chose comme ça ? Comme je vous disais, il était bardé de cicatrices dans le dos. Et sur le torse aussi ! Il ne manquait plus que les tatouages ! "

Annick regarde fixement Madame Martin, le visage appuyé dans sa main, perplexe. Ça ne colle pas du tout. Qui est ce type ? Soit Madame Martin était prise d’hallucinations à ce moment-là pour quelques raisons obscures, soit… il y avait un deuxième homme. Mais d’où sortait-il celui-là ? Lisa n’a jamais parlé d’un quadragénaire musclé et à poil dans son salon ! Un amant peut-être ? Qui se serait caché pour lui faire une surprise ? Et surpris par l’agression, n’a pas eu le temps de réagir… ou peut-être par lâcheté…

- Madame Martin… Veuillez m’excuser de vous poser cette question, mais c’est pour les besoins de l’enquête : est-ce que vous prenez des médicaments ?

- Ah ben en voilà une question ! Euh non. J’eu pris des antidépresseurs un temps, après mon divorce, mais j’ai arrêté depuis des années. Sinon, un doliprane de temps en temps…

- Merci. Et est-ce... "

A ce moment-là, on toque à la porte. La lieutenante invite la personne à entrer, soulagée d’avoir une petite pause après ce déluge de paroles. Apparait alors, à l’ouverture de la porte la tête du jeune policier qui fait office de réceptionniste :

- Lieutenant ? Le capitaine Garcia de la criminelle est là. Il veut vous voir.

- Formidable ! Dites-lui de venir dans mon bureau. Le témoignage de Madame va certainement l’intéresser " Dit-elle en regardant Madame Martin, avec un grand sourire.