Chapitre 19 : The Highlander
cDimanche 9 décembre, huit heures du matin.
Le lendemain de l'altercation, le capitaine Garcia est dans sa cuisine. C'est le matin, et le soleil brille sur Paris. Mélanie Garcia s'occupe du petit déjeuner et l'odeur de café envahit délicieusement la pièce. Cependant, ni ce beau temps ni le doux parfum du café ne réjouissent le capitaine, encore perdu dans ses pensées. Il s'est trompé, une nouvelle fois. Il n'a toujours pas trouvé le fou furieux qui recommence à terroriser la capitale avec ses crimes abjectes. Il ne peut pas se permettre qu'il y ait de nouvelles victimes. Au moins, la bonne nouvelle est que la dernière en date a miraculeusement survécu et un portrait-robot a pu être établi grâce à son témoignage. Pourtant ce nouvel indice contribue à lui miner le moral encore plus. Après l'interrogatoire et le départ de Lisa, Garcia s'est escrimé à chercher dans toutes les bases de données n'importe quel visage, qui pourrait ressembler à notre nouveau suspect. Mais rien de concluant n'en ait ressorti. C'est alors qu'après ses recherches infructueuses, un coup de fil de la PJ de Budapest lui a donné un semblant d'espoir. C'était un certain Viktòr Szekéres qui, avec un français approximatif, lui avait expliqué qu'il avait bien reçu sa demande de renseignement sur un certain Egon Guidrish mais n'avait rien à son sujet. En revanche, une dizaine d'années auparavant, une série de meurtres similaires avaient sévit dans leur région et ils avaient des suspects qui ressemblaient à la description de Lisa. Cependant, ces derniers avaient réussi à s'échapper des filets de la police et avaient disparus comme par enchantement. Ils n'avaient jamais été retrouvés. Et les féminicides avaient brusquement cessés. Donc Garcia a peut-être une piste solide, grâce au témoignage de Lisa. Mais un détail le turlupine : l'inspecteur hongrois ne disait pas « LE suspect », mais « LES suspects ». Cela ferait du sens et expliquerait pourquoi le meurtrier est si difficile à appréhender. Et s'il n'était pas seul ? Et si c'était un groupe ? Une espèce de culte satanique, comme en témoigne la représentation bien trop réaliste du Diable sur un des murs de la scène de crime, qui s'attaque à un autre groupe : les femmes et les filles à la marque étrange sur la cuisse droite, ce cercle blanc nacré entrelacé de volutes et motifs tribaux. D'où vient ce symbole d'ailleurs ? Qu'est-ce qu'il veut bien vouloir dire ? A l'époque de la série de crimes, les légistes et la scientifique avaient effectué des recherches sur ce symbole mais n'avaient rien trouvés de concluant. Juste des motifs tribaux similaires chez les tatoueurs parisiens. En outre, aucune des victimes n'étaient l'une de leur cliente. Pendant qu'il sirote doucement son café que Madame a posé discrètement devant lui, sur la table de la cuisine pour ne pas le sortir de ses réflexions, il relève la tête et demande à son épouse :
- Tu pourrais, s'il-te-plait, m'amener du papier et un crayon ? J'ai besoin de gribouiller quelque-chose.
- C'est encore cette affaire qui te travaille ?
- Oui. J'ai besoin de voir un truc. »
Sa femme lui place devant lui plusieurs feuilles A4 vierges et un crayon muni d'une gomme au bout. « Merci, ma puce. » Il se met alors à dessiner de mémoire le symbole qui l'avait hanté pendant tant d'années. Au-dessus de son épaule, Mélanie Garcia regarde ce que son mari dessine et cela à l'air de beaucoup l'intéresser. « C'est marrant ! » Dit-elle
- Quoi... je sais, je dessine comme un plouc...
- Non, non. Ça n'a rien à voir avec tes talents de dessinateur qui ne sont pas aussi mauvais que tu ne le crois. Mais ce symbole, ce ne serait pas une espèce de tatouage ?
- Oui... Comment tu sais ça toi ?
- J'avais une copine au club de fitness. Elle avait ce tatouage sur la cuisse droite. Il était tout blanc. Je trouvais ça super joli et sexy et je voulais le même. Je lui ai demandé l'adresse de son tatoueur et elle a éclaté de rire quand je lui ai demandé ça. Elle m'a répondu que ce n'était pas du tout un tatouage mais une marque de naissance. Les femmes de sa famille l'avaient toutes. Apparemment, c'était pour eux comme une espèce de marque magique. C'est vrai qu'elle était férue d'astrologie, numérologie et tous ces trucs bizarres. Je crois qu'elle faisait partie d'un mouvement New Age ou d'un groupe de sorcières Wika. Elle m'avait même tiré les cartes une fois, pour rigoler. Je ne crois pas en ça mais je dois avouer qu'elle avait tapé étrangement dans le mille : elle m'a décrit la mort de mon grand-père comme si elle y était et, attend ! Elle m'a même dit que je vivrais avec un homme de loi ou un justicier. Je n'ai pas voulu continuer car elle m'avait fait peur à ce moment-là. Va savoir ce qu'elle aurait pu voir sur moi que je ne voulais pas qu'on sache ! Mais bon... elle était très sympa malgré tout. Et très marrante ! » Garcia regarde sa femme les yeux complètement hallucinés. La réponse était sous son toit. C'est vrai qu'il évite d'apporter le travail à la maison et ne veut pas impliquer sa chère et tendre dans toutes les horreurs dont il est confronté régulièrement. Les idées se bousculent dans sa tête. Par où commencé...
- Et... elle s'appelait comment ta copine ?
- Oh, je ne sais plus ! C'était il y a une quinzaine d'années, tu sais, après ton divorce. On venait de se rencontrer et on était encore jeune et beau.
- Mais tu es comme le bon vin, ma chérie. Tu embellis en vieillissant.
- Tu es un amour... je t'aime, tu sais ! » Et elle ponctue ces doux mots par un baiser sur le front de son policier de mari, puis part dans la salle de bain en riant.
- Bon, je vais finir de me préparer. Je vais aller voir ma bande de copines aujourd'hui, puisque tu es pris au boulot un dimanche ! On va squatter notre Tea room préféré à partager les derniers ragots et, peut-être, qu'on va se faire un ciné juste après.
- Ok... Moi aussi, je vais y aller, ma puce. »
Garcia vide sa tasse précipitamment, et fonce dans la chambre pour s'habiller. Il passera au bureau d'abord puis à la prison : il a quelques questions à poser au seul suspect qui lui reste et qui a été arrêté il y a trois ans de cela, Jean-Claude Morant. Cinq minutes plus tard, le voici à la porte de son appartement, embrassant sa femme et lui souhaitant une bonne journée avec ses copines.
Le capitaine arrive à la PJ parisienne, ne tenant plus en place. Son associé, Mandrin est déjà là, à son bureau, les yeux mi-clos, hypnotisé devant son écran d'ordinateur. Il est certainement en train de se taper un solitaire et fait semblant de bosser le saligaud ! Se dit Garcia avec une pointe d'exaspération.
« Mandrin ! » S'exclame Garcia dès qu'il passe derrière lui. Ce dernier sort brusquement de sa torpeur et clique compulsivement sur son clavier pour changer la page montrant une série de tas de cartes à jouer vers la page de garde arborant le symbole de la police.
- Heureusement que tu ne matais pas un porno. Je t'aurais suspendu d'office... Je veux la liste de tous les groupes New Age, sorcières, voyante et marabout de la ville... et leurs noms.
- Mais... mais il y en a pour des jours, voir des semaines, patron !
- Oui, je sais. Tu vas les comparer avec les noms des victimes de l'éventreur de Paris d'il y a trois ans. T'as de la chance, ce sont toutes des femmes.
- Ah ok... Bon ben ça prendra un peu moins alors. » Soupire de soulagement Mandrin. Le capitaine ne relève pas le non-sens de la remarque.
- Est-ce qu'on a identifié nos deux victimes qui sont sur la table du légiste en ce moment ?
- Non... on attend les dossiers dentaires de filles de leur tranche d'âge qui auraient été portées disparues ces dernières semaines. Mais on n'a rien. Aucune correspondance.
- Ok. Je te parie qu'on les trouvera dans ce vivier de gogos de sorcières.
- Ah bon ?
- Oui. Allez ! AU BOULOT ! JE VEUX DES REPONSES !
- Oui patron ! » Pendant que Mandrin, soudainement plus alerte, se met à pianoter joyeusement sur son ordinateur, Antoine Guyot, un préposé à la scientifique arrive dans le bureau.
- Patron !
- Oui Antoine ?
- J'ai effectué quelques recherches sur Monsieur Gidrisse
- Guidrish, Antoine. Ça s'écrit « gidris », mais ça se prononce « guidriche ». Il a été innocenté de toute façon. Et la PJ Hongroise n'a rien sur lui. J'ai eu un de leur enquêteur hier...
- Oui, je sais patron mais... j'ai trouvé un truc bizarre.
- Quoi ?
- Regardez ces photos. Je me les suis procurés depuis les archives et l'internet. Celle-ci par exemple. Elle date de 1966. La jeune femme est une certaine Salomé Fournier et à côté d'elle, il y a un homme plus âgé. Il doit avoir entre quarante et cinquante ans. Il ne vous fait pas penser à quelqu'un ? »
Garcia regarde attentivement la photo. La jeune femme souriante est plutôt jolie, des cheveux longs et bouclés lui encadrent le visage. La couleur des cheveux est difficilement déterminable car la photo est en noir et blanc, mais Garcia pencherait pour un châtain ou auburn, et à côté d'elle, la tenant par les épaules, un homme d'âge plutôt mur mais très bien conservé qu'on pourrait qualifier de beau, voir charismatique, le visage agrémenté d'un grand sourire, les cheveux poivre et sel, pratiquement blancs sur les tempes. Il porte une de ces chemises à col pointu, caractéristique de la mode des sixties. Son visage est pourtant très familier pour Garcia. On dirait...
- Guidrish ?? Ou alors tu lui as trouvé son sosie parfait !
- Oui ! Surprenant n'est-ce-pas ? Maintenant regardez ça. »
Antoine présente alors à Garcia une autre image imprimée, un vieux portrait du début du vingtième siècle d'un quadragénaire, très élégant, portant un uniforme d'officier.
- J'ai dû effectuer des recherches sur l'histoire hongroise, avant l'occupation communiste. On a très peu de données de cette époque, beaucoup d'informations ont été détruites. C'est pour cela que j'ai dû remonter plus loin dans le temps. Je suis tombé sur cette photo. C'était un capitaine de l'armée austro-hongroise pendant la première guerre mondiale, un hussard. Un certain Gusztav Farkas...
- Tu te fous de ma gueule !
- Nan, je vous assure ! On dirait le même homme. »
Effectivement, sur cette vieille photo du début du siècle, Garcia reconnait parfaitement l'homme qu'il avait interrogé la veille, mais avec un costume et une allure d'un autre temps.
- T'es sûr que ce n'était pas son grand-père ou arrière-grand-père ?
- Ben justement... c'est ce que je me suis demandé. Les mystères de la génétique font que l'on peut avoir de fortes ressemblances avec ses aïeuls. Mais une ressemblance aussi frappante est très rare. On trouve toujours des petites différences. Aussi, trouver un sosie quasi-parfait, ça existe. Tout le monde en a quelque part dans le monde et même dans l'histoire. Mais là, ça en fait deux, à des époques pas trop éloignées. Donc je me suis penché sur la famille de M. Guidrish.
- Et ?
- Ben, je n'ai rien trouvé. Ni même sur lui ou sur son enfance. Rien. C'est comme s'il était apparu de nulle part. La même chose pour cet homme sur la photo avec la jeune fille. Un certain Egon Kovàcs. Mais aucun lien avec notre homme de maintenant. Quant à Gusztav Farkas, il n'a pas d'acte de naissance ni de décès. Il a disparu lors de la guerre des tranchées en France, en 1918. Apparemment, ce capitaine était enrôlé dans l'armée Austro-Hongroise et a combattu à Verdun.
- Antoine... je sais que tu es bon dans les recherches des archives, mais peux-tu admettre que tu as loupé quelque-chose ? Ces gars ont forcément un lien de parenté. Ou alors c'est du pur hasard et ce mec devrait jouer au loto !
- Oui... peut-être. Regardez les joues de ces deux hommes. »
Garcia s'exécute et regarde de plus près les deux visages. On peut voir des cicatrices parallèles sur chaque côté du visage. Elles peuvent faire penser à des rides ou une légère barbe de trois jours. Puis Antoine présente à Garcia la photo prise la veille lors de la détention de Guidrish. « Merde ! Ce sont exactement les mêmes marques ! » S'exclame le capitaine.
- « Surprenant n'est-ce pas ? Et maintenant, le clou du spectacle de la bizarrerie, tadaaa ! »
Antoine Guyot présente au capitaine un dessin de profil d'un homme, aux traits asiatiques, au front immense et au crane allongé. Il porte une queue de cheval nouée grâce à une cordelette en cuir. Il a une barbichette au menton. On dirait un barbare venu d'un autre temps.
- « Vous avez déjà entendu parler des Huns, n'est-ce pas ? » S'inquiète Guyot.
- Oui, à l'école, quand j'étais gamin. Là où ils passent l'herbe ne repousse pas et tout ça. Ils auraient fait un super désherbant dans mon jardin. Et Attila, le marteau de Dieu un truc comme ça ?
- Euh presque. Vous devez confondre avec Thor et son marteau. C'est le Fléau de Dieu. Attila était le roi des Huns, dit le Grand Roi. Et il a contribué à terroriser l'Europe occidentale et à la chute de l'Empire Romain, même s'il en est responsable que d'une toute petite part, les romains organisant leur déclin tous seuls comme des grands. Ce sont aussi les ancêtres de certains peuples d'Europe centrale, dont les Hongrois. Ce dessin est une représentation de ce à quoi devait ressembler l'Attila de l'époque.
- Génial ! Et c'est quoi le rapport ?
- Eh bien, regardez les cicatrices sur le dessin... »
Garcia regarde de plus près l'illustration. Il voit effectivement de nombreux traits parallèles sur les joues. Sur le coup, il avait cru que c'était une barbe naissante. Mais il s'agit bien de cicatrices, certes bien plus nombreuses que celles sur le coté des joues de Guidrish et bien plus marquées, mais très similaires.
- « Ce sont des scarifications que les Huns se faisaient eux-mêmes. » Rajoute doctement Antoine. « Lorsqu'un des leurs mourrait lors de bataille, surtout quand c'était quelqu'un d'important, ils se tailladaient le visage en signe de deuil, pour pleurer des larmes de sang, lors des funérailles. Et les marques sur le visage de Guidrish correspondent parfaitement à ces scarifications auto-infligées.
- Tu veux me dire quoi, Guyot ? Que Guidrish est un Highlander et qu'il ne doit en rester qu'un ? C'est quoi ce délire ?
- Non Capitaine. Je ne sais pas s'il est vraiment immortel, mais je serais curieux de voir le résultat de son test ADN et surtout la tête de ceux qui planchent sur ses analyses. En tout cas, il est excessivement vieux et scandaleusement bien conservé pour son âge. Et si ma théorie, même si elle est complètement folle et absurde, est correcte, ce serait un Hun encore vivant, de l'armée d'Attila d'il y a plus de 1500 ans. »
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