Chapitre 22 : À la case prison

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Dimanche 9 décembre, vers 13h.

Fleury-Mérogis, la plus grande prison de France et d’Europe, qui héberge des stars du hip-hop qui ont dérapés, des hommes politiques véreux, des terroristes et autres divers tueurs qui se sont rendu tristement célèbres à cause de l’ignominie de leurs crimes. C’est là que séjourne, depuis trois ans maintenant Jean-Claude Morant, principal suspect, à l’époque, des féminicides en série qui avait sévit dans la capitale. Garcia est dans une salle de visite de la prison. Il est assis, sur une chaise en métal, pas très confortable, les mains jointes sur une table en face de lui, il attend Jean-Claude Morant. Il a quelques questions à lui poser. Après une dizaine de minutes, une sonnerie sourde annonce l’arrivée du prévenu, encadré par deux gardes. Il est menotté aux mains et aux pieds, séparés par des entraves. Il est petit, pas très gros mais son ventre trahit un manque d’exercices certains à cause de sa proéminence. Il s’est rasé de près et sa chevelure noire est gominée à l’extrême, ce qui lui donne un faux air d’un Al Capone décrépi. Son attitude craintive et suppliante le rend pitoyable. Les deux gardes qui l’encadrent l’assoient sur la chaise en face de Garcia, séparée par la table. D’un signe de tête, le Capitaine Garcia invite les gardes à les laisser, ce qu’ils font sans discuter. Ils ferment derrière eux la porte de la cellule, laissant Garcia et Morant seuls mais se tiennent de l’autre côté de la porte, au cas où ils devraient intervenir rapidement.

- « Bon. Morant, on a du nouveau dans l’affaire.

- Ah oui ! » Morant a une lueur d’espoir qui brille dans ses yeux. « Vous avez prouvé mon innocence ? »

- « Ton innocence de quoi ? D’être en possession de vidéos à caractère pédopornographique ? De kidnapping, torture et séquestration de mineurs et traite humaine ? Non. Ça, mon pote, on a suffisamment de preuve pour avoir un doute et c’est pour ça que t’es là. Pour les meurtres, on sait que tu as un lien avec eux. T’as pas de chance, tu es notre seul suspect pour l’instant.

- Mais ce n’est pas moi ! Je suis innocent ! Je n’ai jamais tué personne, moi. Je ne ferais pas de mal à une mouche, Capitaine, je vous jure !

- Oh, ta gueule Morant. Faire des attouchements à un gamin de 10 ans, tu crois quoi ? Que c’est un acte de charité ? Alors NON ! Tu n’es pas innocent. Tu es une saloperie de pervers et je vais m’assurer que tu restes ici pour un bout de temps. T’as compris ? »

Jean-Claude Morant baisse la tête, et commence à pleurer. Il joint ses mains en signe de prière.

- « Capitaine… je vous en prie. Mais je les aime trop, vous comprenez ? Ce n’est pas ma faute…

Garcia tape du poing sur la table, exaspéré par ces geigneries saupoudrées de mauvaise foi à faire retourner un mort dans sa tombe.

- « NON MORANT, NON ! TU NE LES AIMES PAS ! »

Garcia est hors de lui. Il tente de se calmer pour ne pas déformer la table avec la tête du prévenu.

- « Tu veux te racheter ? Tu veux qu’on écourte ta peine c’est ça ? T’en as marre de te faire agresser quotidiennement par les autres prisonniers ?

- Ouuiiiii…. Je vous en priiiee… C’est horrible, ici. Vous ne savez pas ce qu’ils me font subir… » supplie lamentablement Morant, entre deux sanglots.

- « Qu’est-ce que tu es pitoyable… T’es vraiment qu’une merde. Mais, tu sais quoi Morant ? J’ai peut-être une solution pour toi. Une solution qui fera de toi quelqu’un d’un peu moins merdique. Et si tu fais ce que je te demande, je te promets de faire en sorte que tu sois dans une cellule isolée.

- Tout ce que vous voulez.

- Alors, donne-moi des noms. »

Morant blêmit. La terreur peut se lire dans ses yeux rougis. Il se penche alors vers Garcia et parle à voix basse :

- « Vous ne comprenez pas ! Ils… ils sont partout… ils vont me tuer si je parle ! »

Garcia se penche à son tour, afin de mettre son suspect en confiance et espère ainsi qu’il sera plus à l’aise pour parler. Tout en chuchotant, Garcia lui demande :

- « C’est qui « ils » ?

- Les démons… ils ont infiltrés la prison. Je suis sûr qu’ils sont aussi dans la police. Ce sont eux qui ont tués ces femmes… Eux ! Ils vous tuent d’un simple regard ! Ils ont des flammes qui sortent de leurs yeux et vous font fondre la cervelle… »

Morant a le regard fou, les yeux sortant des orbites. Garcia en a des frissons dans le dos. Encore « eux ». Mais de quoi il parle ? Comment ça, des démons ? Le capitaine ne sait plus quoi penser. Entre les sorcières Wika, le Hun highlander et maintenant, une armada de démons infiltrés dans toutes les institutions, il a l’impression d’être dans une réalité parallèle ou une théorie stupide du complot absolument inédite.

Garcia va adopter une différente stratégie, celle du repli. Il se lève, reprend sa veste qu’il avait posé sur le dossier de sa chaise et l’enfile. Faisant mine de partir, il déclare à Morant :

- « Bon, là, j’en ai marre de toutes ces conneries. En fait je crois que tu es maso et que tu aimes faire des gâteries à tes collocs. Donc, comme je n’ai pas de temps à perdre, je me casse.

- Non ! Non ! S’il-vous-plait… ne me laissez pas. Je… je vais vous donner… quelque-chose. »

Garcia se rassoit mais sans retirer sa veste cette fois.

- « Je t’écoute. »

Morant se penche et chuchote :

- « Il y avait un homme, d’un certain âge. Je ne connais pas son nom mais je sais qu’il avait un lien avec l’orphelinat de la rue Lecoq. Il avait aidé à l’élaboration du projet. Et… il me donnait des noms de femmes. Je ne sais pas d’où il les sortait mais c’étaient des femmes que je devais emmener à l’orphelinat… et après, il venait les chercher. Je ne sais pas où. Mais elles disparaissaient ou elles faisaient les titres des faits divers. Il venait aussi chercher des petits garçons. Il aimait bien les petits garçons. »

La rue Lecoq. Garcia se souvient très bien de cette adresse et, est persuadé que ce nom est apparu devant lui très récemment. Mais où ? Cela lui fait penser à la petite Mauragnier qui travaille à l’étude de Lemaitre.

- « Ton gars, il ressemblait à quoi ?

- Un homme d’un certain âge. Les cheveux gris, des lunettes en métal. Toujours avec des costumes à la vieille mode mais chers. Il devait avoir les moyens. »

Là, tout d’un coup, cela fait tilt dans la tête de Garcia. Un seul nom lui vient en tête : Lemaitre. Le dossier de la rue Lecoq, il l’avait vu lorsqu’il était allé à l’étude avec Mandrin. La jeune Lisa l’avait posé sur le bureau de son patron qui n’avait pas l’air très content. Sur le coup, le capitaine n’avait pas relevé ce détail, mais maintenant, cela prenait tout son sens. En outre, Lemaitre correspond à la description que lui donne Morant. Le capitaine de police se lève, toque à la porte qui s’ouvre après quelques secondes. Il fait signe aux gardes de ramener le suspect dans sa cellule. Les gardes prennent à bout de bras Morant qui hurle auprès de Garcia, ce dernier étant déjà dans le couloir, se dirigeant vers la sortie :

- « NE M’OUBLIEZ PAS CAPITAINE ! VOUS M’AVIEZ PROMIS !! »

Garcia, tout en continuant de marcher, sans se retourner, fait un signe de la main à Morant, soit pour lui dire qu’il a bien reçu sa communication ou lui dire adieu.

Sur le périphérique parisien, la circulation est agréablement fluide. En ce début d’après-midi, les vacanciers du week-end ne sont pas encore rentrés. Garcia peut se permettre un léger excès de vitesse. Derrière lui, une Hammer noire accélère et passe devant lui. Il jette un coup d’œil dans le rétroviseur central, extérieur et tourne la tête rapidement pour s’assurer qu’aucun véhicule ne se trouve dans son angle mort, puis passe sur la voie de gauche pour doubler la Hammer noire qui se trouve maintenant devant lui et n’est plus très rapide. Lorsqu’il la dépasse, il jette un coup d’œil sur le côté, par reflexe, pour voir le conducteur qu’il est en train de dépasser. Les vitres sont toutes teintées. « Ah… ce n’est pas très réglementaire tout ça, dites-moi… » se parlant à lui-même. Une fois devant la Hammer, il regarde dans le rétroviseur central à nouveau et voit le véhicule qu’il vient de dépasser un peu trop proche de lui. Il crie face à son rétroviseur à l’attention de cette voiture un peu trop collante :

« Hey la distance de sécurité, batard ! T’as eu ton permis à Noël, ou quoi ? »

Il tente de voir la plaque sur le devant, mais c’est impossible. Le véhicule est bien trop proche. Il tente de mémoriser le conducteur, et voit distinctement deux hommes avec des lunettes noires. Il les voit bien trop bien d’ailleurs. La Hammer est si proche qu’il peut même voir les lettres à l’envers de la marque du véhicule. Soudain, un coup violent à l’arrière de sa voiture le fait rebondir sur son volant.

- « Oh putain ! Les fils de p… »

Un autre coup, qui le force à faire une manœuvre d’urgence et se placer sur la voie de gauche. La Hammer se place alors presque immédiatement sur la même voie et accélère soudainement lui rentrant avec une violence extrême dans l’arrière-train. Le véhicule fait une embardée et, à cause d’une manœuvre trop hasardeuse du volant, se met à voler en faisant plusieurs tonneaux sur la voie rapide. La voiture de Garcia atterrit sur les roues, mais est en piteux état. Le capitaine est coincé derrière les airs-bags qui se sont déclenchés. Plusieurs véhicules s’arrêtent alors, créant un périmètre de sécurité de fortune et provoquant un embouteillage, malgré la fluidité de la circulation un dimanche après-midi. Un jeune homme accourt vers Garcia, lui ouvre la portière.

- « Vous allez bien Monsieur ? Ne vous inquiétez pas. Ma femme est en train d’appeler des secours et la police. On a tout vu ! On pourra témoigner si vous voulez. »

Il réussit à désamorcer les airs bag, lui désenclenche sa ceinture de sécurité, et l’aide à s’extirper du véhicule. Le capitaine est complètement sonné, mais arrive à marcher. Il cherche du regard la Hammer qui a failli lui couter la vie, mais elle a pris la fuite.

- « Merci. » Répond Garcia, ne réalisant pas très bien ce qui est en train de se passer. Il est obnubilé par le gros véhicule noir. Soudain, une idée lui traverse l’esprit. Il demande à son sauveur :

- « Est-ce que vous avez pu voir la plaque ?

- Moi non, mais je crois que ma femme l’a relevé, ou elle a pris une photo.

- Je pourrais la voir s’il vous plait ?

- Bien sûr ! Suivez-moi. » Ils courent vers la Honda grise. Madame sort du véhicule, le téléphone cellulaire à la main.

- « C’est bon ! La police et les secours vont arriver. » S’exclame-t-elle, l’air victorieux.

- « Vous avez pris une photo des plaques ?

- Oui ! Mais je ne sais pas si elle est lisible. Dans la panique, je n’ai pas très bien cadré.

- Montrez-moi ? »

Elle manipule son téléphone afin d’ouvrir la page avec la photographie et le tend à Garcia. Il le prend et regarde l’image. La photo est effectivement trouble, mais elle reste exploitable. Garcia prend alors son cellulaire de l’autre main, pianote du pousse un numéro et porte l’appareil à son oreille. On entend une voix d’homme depuis le micro.

- « Oui, Capitaine ?

- Mandrin ! Je te fais parvenir une photo de plaque d’une Hammer noire. Je veux aussi que tu envoies immédiatement une patrouille au domicile de Lemaitre.

- L’architecte ?

- Oui. J’ai un mauvais pressentiment. On vient d’essayer de me tuer. Je pense qu’il est aussi en danger.

- QUOI ? »

Bientôt, on entend les sirènes de la police et d’une ambulance.

- « Vous êtes où Capitaine ?

- Sur le périph. Ne t’occupe pas de moi. Les collègues et les secours sont là. Je veux que tu te rendes IMMEDIATEMENT au domicile de Lemaitre ! Compris ?

- Oui patron. On y va tout de suite.

- Ok. Dès que tout ça sera sous contrôle, je vous y rejoins. »

Une ambulance s’arrête proche du lieu de l’accident. Deux infirmiers en sortent, se précipitant vers Garcia. Une voiture de police, les gyrophares allumés, se gare tout de suite derrière. Après avoir emmené l’homme accidenté dans l’ambulance et constaté qu’il avait une chance insolente, un policier se dirige vers Garcia. Automatiquement ce dernier lui présente sa carte de police.

- « C’est bon. Je suis de la maison.

- Ah ! » Le policier regarde la carte.

- « Je comprends Capitaine Garcia. Mais on va devoir faire un constat.

- Allez voir le couple à la Honda grise. Ils ont tout vu. Je vous ferais un rapport dès que je reviens au bureau. Là, j’ai besoin d’urgence d’un véhicule. J’ai un suspect à appréhender. » Ou à sauver. En espérant qu’il ne soit pas trop tard…

- « Bien mon capitaine. Mon collègue va prendre les dépositions des témoins. Je vous emmène.

- Génial ! »

Les deux hommes se dirigent vers le véhicule de police, et partent, les sirènes allumées, vers la banlieue ouest huppée de Paris.

Au bout d’une quinzaine de minutes, les voici sur place. Mandrin et un autre véhicule arrivent quasiment en même temps. Garcia sort précipitamment de la voiture de police, arme au poing et court vers la porte d’entrée d’une belle et grande villa aux murs de pierre et trônant au milieu d’un immense terrain verdoyant et boisé. La porte est grande ouverte. L’homme de loi rentre dans la maison, suivi de Mandrin qui a aussi sorti son arme. « M. Lemaitre ? C’est la police ! » Mais rien. Aucune réponse ni bruit ne sont perçus par les policiers. Pendant que Mandrin va s’assurer que la cuisine et les pièces à l’étage sont sécurisées, Garcia continue d’explorer le rez-de-chaussée. La maison est très propre. Chaque chose est à sa place. On peut voir des tableaux de maitres au mur. Cet homme doit avoir une petite fortune. Le capitaine se dirige vers la porte d’entrée qui était ouverte et observe le verrou et la serrure. Tout est intacte. Soudain, il entend une voix depuis le premier étage. C’est Mandrin qui l’appelle :

- « Capitaine ! Venez-voir s’il-vous-plait. »

Le capitaine court alors dans l’escalier qui le mène à l’étage. Non, non, non, non… Pas ça…

Mandrin est devant une porte ouverte, au fond du couloir. Elle ouvre sur une grande bibliothèque garnie de beaux livres reliés en cuir sur tout un mur. Dès qu’il rentre dans la pièce, sur sa gauche, il voit un grand bureau de style Louis XV placé devant une grande fenêtre agrémentée de voilures blanches laissant passer la lumière du jour. Un grand siège de bureau en bois, du même style cossu, avec un immense dossier, se trouve derrière le bureau et est placé face à la fenêtre. Un agent de police est à côté du siège, le regard grave. Garcia se précipite alors vers la fenêtre pour découvrir M Lemaitre, sur son siège Louis XV, immobile, pâle comme un linge, les yeux grands ouverts et vitreux, du sang a coulé en abondance depuis son nez et ses yeux et a imbibé son torse et son pardessus. Il ne pourra plus faire de mal à qui que ce soit mais ne pourra plus jamais parler, au grand damne du capitaine de la Criminelle de Paris. Quelques heures plus tard, on apprendra que Morant s’est pendu dans sa cellule à l’aide de draps qui n’auraient jamais dû s’y trouver, par mesure de prévention au suicide.

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