Chapitre 36 : Père
Lisa est sous le choc. Elle regarde l'homme en face d'elle et aucun mot ne peut sortir de sa bouche. Ce dernier, qui avait posé ses mains sur ses épaules, se risque à la serrer dans ses bras. Puis, il l'écarte légèrement de lui pour mieux la contempler.
« Tu ressembles à ta mère. Les cheveux frisés et auburn en moins. Mais tu as les mêmes expressions sans toutes ses taches de rousseur. »
La jeune femme a souvent rêvé de cet instant lorsqu'elle était enfant. Rencontrer ses parents qu'elle pensait morts, ou qu'ils la retrouvent. Elle les imaginait la couvrant d'amour et de joie. Elle voyait une mère plutôt jolie, tendre et attentionnée, un père joyeux, aimant et fort, sur qui on peut compter. Mais la réalité la rattrapait toujours. Ses grands-parents étaient là, certes, et remplissaient le rôle des absents du mieux qu'ils pouvaient, malgré leur grand âge. Cela ne l'empêchait pas de les aimer de tout son cœur, mais elle avait toujours ce vide en elle : une mère inexistante parce qu'emportée par la faucheuse bien trop tôt et un géniteur de passage dont personne ne connaîtrait le nom. Et certainement pas sa mère !
Mais là, un inconnu qui prétend être son père, censé être un quidam bourré en boite qui aurait enfourché sa daronne dans des toilettes insalubres, lui donne des éléments que seul quelqu'un qui avait été vraiment intime avec elle pourrait savoir. Les certitudes de Lisa volent en éclat. Encore. Ou alors...
"Vous mentez."
Le sourire de l'homme et son regard attendri s'évaporent comme la rosée du matin. Une pointe de déception peut se lire dans ses yeux qui se fixent dans ceux de la captive.
- Je ne mens pas, Lisa. Je suis ton père.
- Impossible. Personne ne sait qui c'est. Même pas ma mère.
- Ça, c'est un mensonge !
- Comment pourrais-je vous croire, Démon !"
L'homme éclate de rire. Puis il lui répond le plus calmement du monde :
- Ça aussi, c'est un mensonge.
- Quoi ? Comment ça ?
- Les démons n'existent pas."
Sous le choc, Lisa recule. Tout ce qu'elle a vécu ces derniers jours, se télescope dans sa tête.
- Vous êtes quoi alors ? Des Dieux vivants ? Des extra-terrestres ? Une bande de super-héros complètement tordus ?
- Effectivement, nous ne sommes pas entièrement humains, ni terriens d'origine. Bien que cette planète, depuis le temps où nous y sommes, est devenue notre maison.
L'homme sourit, comprenant que les révélations ont bouleversé Lisa. Il s'assoit sur un coin du lit et invite la jeune femme à faire de même, en tapotant la place à côté de lui. Hésitante, elle finit par s'installer, gardant une distance prudente.
"Je sais que cela peut être difficile à accepter d'un coup, mais je vais essayer de t'expliquer autant que possible," dit-il d'une voix douce.
"Alors, qui êtes-vous vraiment ? Et que voulez-vous de moi ?" demande Lisa, mêlant la peur à la curiosité.
"Je m'appelle Jareth, et je fais partie d'une race extraterrestre appelée les Syldraïnes. Ta mère me connaissait sous le nom de François. Tu peux m'appeler comme ça si tu veux. Nous étions des voyageurs intergalactiques et une partie de nos ancêtres ont atterri sur Terre il y a bien longtemps. Mais après la Grande Guerre de la Confédération, nous avons cherché à les rejoindre, à la recherche d'une nouvelle planète viable, la nôtre ayant été détruite par nos ennemis jurés, les Ethériens. "
La jeune femme ne bouge plus. Elle contemple l'homme assis à côté d'elle avec un regard ahuri. Elle tente d'emmagasiner ces informations, quand soudain, alors qu'elle repasse intérieurement les paroles du prétendu démon, un petit rire la prend par surprise. Certainement, le trop-plein d'émotions, le stress, mais aussi l'absurdité de la situation font que très vite, elle rit de plus en plus fort, à s'en tordre l'estomac, s'étouffe presque, ne parvenant pas à calmer son hilarité.
Jareth, d'abord décontenancé, esquisse un rictus qui finalement se change en un rire sincère. Lisa finit par essuyer ses larmes, reprend son souffle et se lève brusquement faisant face à celui qu'elle peut appeler François. Elle ne rit plus du tout :
- C'est une blague, c'est ça ? Une caméra cachée ?
Le syldraïne ravale son sourire. Il avait cru un bref instant que sa fille l'aurait accepté. Malheureusement, tout cela semble être trop beau pour être vrai. Il tente de lui prendre les mains mais elle s'écarte de lui. Comme la porte est ouverte, elle se lève soudainement, court vers la sortie et se faufile dans le couloir. Jareth se précipite à l'extérieur et la rattrape rapidement. Il la tient par le bras, elle se défend à coup de pieds et de poings. Il la coince contre le mur, elle se met à crier. Il la somme de se taire en lui plaquant la main contre sa bouche : « Tais-toi ! Ne crie pas s'il te plait. Si tu es sage, il ne t'arrivera rien, je te jure ! ». Lisa a les yeux exorbités de terreur. Elle doit trouver un moyen de s'échapper, mais la force visiblement ne fonctionne pas. Elle doit utiliser la ruse et se plier à son ravisseur. Il prétend être son père ? Qu'à cela ne tienne ! Elle acceptera de jouer le rôle de sa progéniture. Elle se détend, ce qui permet à Jareth de faire de même et de relâcher petit à petit sa prise. Il la reconduit à sa chambre et l'assoie sur le lit. Mais cette fois, il prend soin de fermer la porte à clef derrière lui, empêchant la jeune femme de prendre à nouveau la poudre d'escampette. Il se tient debout devant elle, le regard suppliant.
- Lisa, je... je comprends tu sais ! Je me doute que tout cela est incroyable pour toi. Mais je t'assure que tout ce que je te dis est vrai. Je ne sais pas quoi faire pour te convaincre que je suis là pour te protéger. Mon peuple a peur de toi, de tes pouvoirs. Tu as été une très puissante magicienne dans tes anciennes vies, mais visiblement tu as développé, pour je ne sais quelle raison, une espèce de résistance mentale qui fait que tu ne te souviens de rien. Tous ceux qui ont des pouvoirs surnaturels, du point de vue des humains lambdas, ne peuvent rien faire contre toi, que ce soit nous, les enchanteresses ou les guerriers de la Lumière. »
Lorsque Lisa entend parler son père des guerriers, elle se permet de poser une question qu'elle sait idiote, mais c'est pour la bonne cause. Elle en apprendra peut-être un peu plus sur son amant et cette mystérieuse confrérie. C'est toujours intéressant d'entendre d'autres sons de cloche, surtout celui des ennemis.
- Tu connais les guerriers ?
- Oui, ce sont les bras armés des Ethériens. De simples humains, des guerriers de la horde hunnique à l'époque, qui ont subi une manipulation génétique, leur conférant une semi -immortalité et de grands pouvoirs. Je sais aussi qu'il y a d'autres groupes de ce genre sur d'autres continents. Mais ils sont persuadés qu'ils ont été touchés par la grâce du Dieu terrien et que nos ennemis sont ses anges. Ainsi, à cause de notre apparence et notre tempérament belliqueux, c'était facile de nous faire passer pour les vilains de l'histoire.
- Vous avez assassiné des tas de femmes, dont deux gamines il n'y a pas trois jours ! Bien sûr que vous êtes mauvais ! Vous êtes des criminels ! Vous êtes des monstres.
- Je ne cherche pas à excuser les abominations qu'ont commis certains d'entre nous. Mais nous ne sommes pas tous comme ça. Nous avons nos propres conflits internes. Il y a deux factions : ceux qui pensent que tu es celle qui sera la source de la destruction de notre race et qui cherchent ni plus ni moins à soumettre la race humaine sous leur coupe. Et puis il y a ma faction, qui cherchons à protéger les habitants de cette planète, qui par la force des choses est devenue la nôtre. Nous voulons vivre en bonne intelligence avec vous et vous aider.
- Ben alors, dans ce cas, associez-vous avec les guerriers ! Je ne sais pas moi, peut-être que ce pourrait mettre fin à votre guerre avec les... mercuriens ? Alcooliens ? Anges ? trucs là ! Et puis arrêter l'autre faction des Sulmachinchoses qui sont dangereux !
- C'est plus compliqué que tu ne le crois. Les guerriers ont été implantés et sont manipulés par les Ethériens. Cela dit, il y en a un avec qui j'ai combattu les humains fous qui se faisaient appelés «nazis », lors de votre dernière guerre mondiale. C'était en France. C'est pour cela que j'ai emprunté un nom de ce peuple. Peut-être ce guerrier est-il plus enclin à coopérer avec notre fratrie ?
- C'était lequel ?
- Il se faisait appeler Zoltán Wolfhart, à l'époque. Il avait infiltré l'armée des SS puis a rejoint mon groupe de résistants. Son animal totem, si on peut appeler ça ainsi, était le loup.
- EGON ??
- C'est ainsi qu'il se nomme maintenant ?
- Oui ! Egon Guidrish ! C'est... C'est mon ami." Lisa rougit en prononçant son nom.
- Ah. Je vois. Et ce n'est pas étonnant en fait. Vous vous êtes retrouvés. Encore une fois. »
Lisa soudainement devient très intéressée par ce que lui raconte son père.
- Comment ça, « encore » ?
- Certaines âmes sont intrinsèquement liées entre elles et se retrouvent vie après vie. Ce ne sont pas forcément des amants à chaque fois. Elles peuvent être parents, ou amis très proches puis redevenir amants, ou pas. Mais elles se retrouvent. Egon, comme il se nomme à présent, et toi êtes ce genre d'âmes. Mais lui, il n'a qu'une seule vie qui dure depuis maintenant plus de mille cinq cents ans. Il sait qui tu as été et qui tu es. Il te connait bien plus que toi. À moins que tu parviennes à retrouver la mémoire ! Mais dans ce cas, tu récupéreras certainement tes pouvoirs. Et là, ma chère, je te demanderai de faire preuve de jugement et d'équité.
- Pourquoi ?
- Parce que la puissante magicienne dont je me souviens n'était pas très... comment dire « fair-play » avec nous. Elle était impitoyable. C'était une descendante des Ethériens. Ou peut-être même une des leurs. Tout comme le sont toutes les enchanteresses.
- Donc si je comprends bien, je suis à la fois humaine, angélique et démoniaque ?
- Mmmh oui ! C'est une bonne déduction. Et c'est une des raisons pour laquelle je t'ai recherché, Ahona. Pour retrouver ta lignée et que tu puisses aussi embrasser notre cause en faisant parti de notre grande famille. Tu as chacun des différents gènes en toi et tu nous représentes tous. Je crois sincèrement qu'ainsi tu es la clef pour mettre fin à ce conflit qui dure depuis bien trop longtemps. »
Lorsque Lisa entend le nom d'Ahona, une floppée d'images incohérentes la submerge. Un malaise la force à se tenir la tête et reprendre sa respiration. Cependant, ces images passent tellement rapidement qu'elle est incapable de les décrire. Mais une fois la vague passée, il ne lui reste qu'un vague sentiment de surpuissance, mais aussi de colère et de tristesse. Jareth relève cette brève absence.
- Lisa ? Ça va ?
Elle lève les yeux vers son père et lui demande :
- Ahona ?
- C'était ton nom. C'est la Reine des enchanteresses. Et c'est toi.
Soudain, on toque à la porte. Une voix inconnue se fait entendre :
« Jareth ? Vous devez partir ta fille et toi. Ils sont là pour la prendre. Ils vont commencer le rituel. »
Lisa ne veut plus poser de questions. Elle ne sait pas pourquoi mais, instinctivement, elle commence à saisir la situation. Elle prend le sac que lui a posé le Syldraïne sur le lit, et fouille à l'intérieur. Elle retrouve les vêtements qu'elle portait sur elle au moment de l'enlèvement. Elle s'habille tranquillement, se place devant la porte et attend. Jareth la regarde faire, inquiet. Il se lève et se dirige vers elle pour la prendre par les épaules.
- Lisa ? Qu'est-ce-que tu fais bon sang !
- Ne me pose pas de questions. Fais moi confiance. C'est tout.
- Mais ? Mais de quoi tu parles ?
- Si on cherche à leur résister, ce sera une véritable tuerie. Ma tête me dit que je suis en train de faire quelque-chose de vraiment stupide. Mais mon cœur me suggère tout autre chose.
- Que veux-tu dire ? Que tu te livres à eux ? Mais ils cherchent à te détruire Lisa ! Tu... Tu es une menace pour eux ! Tu es celle qui va les exterminer ! Ils vont chercher à t'annihiler pour de bon !
- Non. Quelque-chose me dit que je ne risque rien.
Elle se tourne vers Jareth. Son regard a complètement changé. Il est rempli de certitude et de sérénité.
« Des souvenirs me reviennent. Petit à petit. Ce ne sont que des impressions, mais quelque-chose est en train de se réveiller, grâce à toi. Fais-moi confiance. »
Jareth est désespéré. Il tente de raisonner sa fille, la secouant par les épaules.
« NON ! LISA, NON ! IL FAUT PARTIR MAINTENANT ! »
Mais Lisa ne bronche pas. Elle contemple la porte en bois, puis se tourne vers le syldraïne.
« Ouvre la porte, Papa. »
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