Chapitre 47 : Prémonitions
Le monastère, samedi 15 décembre, 8h du matin.
Il est dans une grande salle sombre, dont la seule source de lumière sont des flammes rougeoyantes dansant sur les torches murales. Il est au milieu des siens mais personne ne semble remarquer sa présence. Ils sont tous encapuchonnés dans de larges toges écarlates. Soudain, l’assemblée se prosterne, à genoux et tête baissée, dévoilant le grand autel qui surplombe le fond de la pièce depuis une large estrade en pierre grise.
Sur l’autel de marbre blanc, git Lisa, endormie telle la princesse ensorcelée par quelques étranges sortilèges. Deux grands prêtres font leur entrée, depuis les coulisses de la scène, sur les côtés. Ils tournent le dos à leurs adorateurs et brandissent chacun un long poignard à la lame brillante qu’ils abattent frénétiquement sur le corps de la jeune femme. Pourtant aucun son de coup ou autre giclée rouge ne sont perceptibles. Ils semblent taper dans le vide. Puis ils s’écartent.
Six corps crucifiés contre le mur de pierre apparaissent au-dessus de l’autel, sur lequel se dresse Lisa, telle une reine sur son trône. Il reconnait chaque supplicié : Son nouveau médecin, la jeune femme asiatique qui lui sert d’infirmière, un homme grand et fort comme un Turc, le guerrier hun reconverti en policier, le jeune homme asiatique à la lignée royale et, son ami, Egon. Ils sont les guerriers qui le protégeaient, mais dont les abdomens, fendus par une plaie béante, laissent glisser leurs viscères dégoulinants sur le sol. La jeune femme se dresse devant ses spectateurs, fière et nue. Elle tient dans ses bras un nouveau-né, qui se tient droit, les yeux grands ouverts et contemple son public en adoration devant lui.
Les orbites rouge sang et ébènes de l’enfant lancent des faisceaux brûlants qui traversent les crânes de chaque syldraïnes présents. Une explosion de chair tapisse les murs. Les gémissements des pauvres bougres remplacent le silence pesant. Puis ce dernier reprend ses droits. Le massacre accompli, la mère se retourne pour arracher les cœurs des crucifiés et les donner à son enfant, qui les dévore goulument.
Se redressant brutalement dans son lit, le front en sueur, les yeux exorbités et le souffle court, Jareth prend une profonde inspiration. Il reprend petit à petit le contrôle des battements de son cœur qui martèlent douloureusement ses côtes. Ce n’est pas la première fois que ce cauchemar hante ses nuits. Mais cette fois, le songe s’est prolongé dans un réalisme terrifiant. Il sait ce que cela veut dire. Il doit les prévenir. Immédiatement.
Il sort de son lit, non sans peine, son ventre lui faisant encore souffrir, même si sa blessure s’est remise avec une rapidité déconcertante. Il se dirige vers la porte et tente de l’ouvrir. Elle est fermée à clef. Il se met à la frapper avec toute la force dont il est capable et hurle à qui veut bien l’entendre son besoin d’aide immédiat. Très vite, la porte s’ouvre. C’est la jeune femme asiatique qui lui lance un regard furibond.
- Mademoiselle…. S’il-vous-plait ? Je… je dois téléphoner.
- Madame. Lui répond-elle d’un ton sec.
- Ah. Madame, je vous en prie ! Aidez-moi. Je dois appeler…
- Quoi ? Votre avocat ?
- Hein ?
La jeune femme éclate de rire devant un Jareth déconfit. Puis, reprenant ses esprits et son sérieux, elle dit :
- Pardon. C’était plus fort que moi. Que se passe-t-il Monsieur le démon ?
- Je ne suis pas… Oh merde ! Je dois contacter Egon au plus vite. Ils… Vous courrez tous un grand danger.
Aiday contemple son patient, la tête penchée légèrement de côté, les yeux mi-clos, perplexe. Elle tente de deviner quel coup fourré ce fichu diable va encore inventer.
- De quel danger voulez-vous parler ? Interroge-t-elle.
- Les grands prêtres. Ils sont là-bas. Ils sont deux et vont bientôt procéder au sacrifice. Il faut les arrêter avant qu’ils commencent le rituel. Mais je dois contacter Egon au plus vite. C’est à lui que je dois donner les détails. Il comprendra.
- Hum ! Ok… Je vois qu’Egon a ses petits secrets et nous a caché des relations pas très catholiques !
- Madame ! Encore une fois, je ne suis pas votre ennemi. Nous sommes dans le même camp ! Je veux moi aussi sauver ma fi… Lisa et empêcher une catastrophe.
- Vous alliez dire quoi là ?
Aiday est sur le point de se rendre à Budapest et faire ravaler les bijoux de famille à son frère de cœur, tellement la colère commence à lui monter au nez. Jareth, voyant son interlocutrice fulminer dangereusement, s’interpose :
- Écoutez-moi, s’il-vous-plait. Oui, Lisa est ma fille. Mais je ne suis pas un démon. Je suis un Syldraïne.
- C’est quoi la différence ?
- Nous ne sommes pas des démons, même si on leur ressemble. Certains d’entre nous ne sont pas vos ennemis. Au contraire, nous vous aidons, vous soutenons et vous protégeons par l’intermédiaire des enchanteresses. Et Lisa est… Elle est très importante. »
Aiday écoute son patient attentivement. Elle emmagasine les informations et tente de rassembler les nouvelles pièces du puzzle. Les yeux écarquillés, elle attend la suite des révélations que veut bien lui donner Jareth. Mais ce dernier n’en aura pas l’occasion, interrompu par l’arrivée d’Octavius et d’un homme grand et musculeux à l’extrême. Jareth le reconnait. Il était dans son rêve : le grand Turc. Ce dernier tient un téléphone portable dans sa main qu’il lui tend.
« Bonjour Monsieur. C’est Egon. Il veut vous parler. »
Jareth tente de prendre l’appareil mais Aiday est plus rapide que lui et l’arrache des mains de son mari. Elle hurle sur le combiné :
« EGON GUIDRISH ! ESPECE DE SALOPARD ! TRAITRE ! Tu conspires et tu couches avec l’ennemi ? JE VAIS TE RETROUVER ET T’ETRIPER EN TE FAISANT ROTIR PAR TON FION ET TE FAIRE BOUFFER TES PARTIES PAR LA MEME OCCASION !»
On peut entendre une voix enjouée depuis le portable :
« Aiday ! Content d’entendre que tu vas bien ! Peux-tu me passer Jareth s’il-te-plait ? »
La jeune femme jette le téléphone sur Jareth qui le rattrape in extremis. Il le porte à son oreille et sans attendre que son interlocuteur le salut, il lui dit précipitamment :
- Egon, j’ai… j’ai rêvé de vous.
- Oh ! J’en suis flatté mon cher ami. J’espère que ce songe était agréable et vous a plongé dans la béatitude ! Je vous appelais juste pour prendre des nouvelles et vous inviter, accessoirement, chez moi, à Budapest.
- Arrêtez de plaisanter ! Ce n’est pas drôle.
- Ah. Ce n’était pas un beau rêve apparemment, n’est-ce-pas ?
- Non…
- Une prémonition peut-être ? Dans ce cas, gardez-la pour vous. Les prophéties n’ont jamais apporté que des problèmes. Je préfère m’en passer.
- EGON !! ECOUTEZ MOI, MERDE ! JE SUIS SERIEUX !
Le pannonien se tait, laissant la parole à son interlocuteur :
« J’ai vu votre mort prochaine. Votre mort à tous… »
Annotations