Les nouvelles aventures !
Une masse s’abat sur son épaule et la jeune femme se redresse d’un coup malgré elle en poussant son dernier hurlement. Ça y’est, elle a perdu trop de temps à réfléchir, il vient pour elle !
Mais le cri de la jeune femme meurt dans sa gorge quand elle réalise que ce n’est pas le cauchemar difforme qui se trouve face à elle, mais le survivant, le jeune-homme qu’elle croyait mort il y a seulement quelques secondes. Tandis que Moïra reste bêtement la bouche ouverte dans la plus surprise des expressions de surprise, il lui tend un long bâton en fer.
_ C’est bon, dit-il d’une voix grave. C’est mort.
_ De..Quoi ? Hein ? Qui est mort ?
_ Ce qui te poursuivait.
L’esprit occupé par la question « comment a-t-il bien pu TUER une abomination pareille ? », les yeux de la demoiselle dévient sur ce qu’il tient en main : son tisonnier ! Elle l’a sans doute perdu en courant pour échapper à ce cauchemar. Mais elle ne prend pas son arme immédiatement.
_ Tu… Tu es… Humain ?
La question semble surprendre son interlocuteur qui ne trouve rien à répondre. Mais Moïra ne lui laisse pas le temps, de toute façon. Submergée par les émotions, elle le prévient :
_ Désolée d’avance !
_ Pourquoi ?
Sans attendre davantage, elle fond sur ce pauvre type qui n’a rien demandé à personne et l’attrape à la taille avant de serrer aussi fort qu’elle le peut.
_ Merci, lance-t-elle les larmes aux yeux et sans le lâcher. Merci, merci, merci ! J’étais persuadée de mourir seule mais t’as réussi à t’en sortir ! Tu m’as même sauvé la vie, j’ai cru.. T’es incroyable ! Comment t’as fait ? C’est quoi ton secret ? Cette chose avait l’air indestructible !
Pendant tout ce temps, le type ne fait rien, peut-être est-il mal à l’aise face à un geste aussi personnel. Alors Moïra se recule vivement et s’essuie les yeux.
_ On a tous des failles, répond l’homme sans bouger.
_ Tu veux dire que tu connais les failles de cette bestiole ignoble ?
_ Oui.
A première vue il a l’air un peu plus jeune que Moïra, disons presque la trentaine. Mais son attitude et son regard composé lui donnent au moins le double. C’est assez perturbant mais Moïra balaye cette idée de son esprit.
En tout cas, le calme de ce type l’incite à se détendre à son tour et elle finit par juste sourire avant de lui tendre la main.
_ Moi c’est Moïra. Je suis une mine !
_ Une mine ?
Oh la boulette. Sortir cette blague nulle maintenant, c’était pas franchement la meilleure première impression que la jeune femme pouvait donner. A chaque fois qu’elle doit se présenter, c’est la même chose : elle répète cette blague qui n’a jamais fait rire qu’elle puisqu’elle est toujours la seule à avoir le contexte. L’humour est une arme à double tranchant, surtout quand on a tendance à être mal à l’aise à l’idée même de se présenter. Devant le silence du type, elle reprend très vite :
_ Et toi ?
_ Faust, répond l’autre en lui serrant la main. Je ne suis pas une mine.
Cette réponse fait sourire Moïra. Sa poigne est plutôt ferme mais il sait la contenir. C’est très léger mais il y a comme un petit accent dans la voix de Faust et elle n’arrive pas à savoir où elle a déjà entendu ces sonorités. Mais qu’importe ! Moïra est tellement heureuse de pouvoir enfin parler avec quelqu’un !
_ T’es le premier humain vivant à qui je parle depuis des jours ! Tu es perdu ici depuis longtemps ?
_ Des siècles, répond Faust.
Cette réponse ne manque pas de faire rire la jeune femme. Peut-être que lui aussi a un certain sens de l’humour, finalement.
_ C’était pas trop difficile ?
_ On fait aller.
Humour ou pas, les réponses sont claires et pour le moins succinctes. Moïra se demande un instant si elle ne le dérange pas avec toutes ses questions.
_ Te sens surtout pas obligé de répondre, si ça te gêne.
_ Ca ne me dérange pas.
Quel ton neutre, il ferait presque frissonner Moïra si elle n’était pas aussi heureuse de trouver enfin quelqu’un avec qui parler. Et puis, on ne gère pas tous le stress et les épreuves de la même manière. Mais comme elle ne voit pas de signe de mensonge dans le ton calme de Faust et après avoir bafouillé un bref « d’accord », Moïra n’hésite plus à lui poser d’autres questions.
_ Tu as déjà croisé d’autres personnes ?
_ Oui.
_ C’est super ! Ils sont où ?
_ Tous morts.
Ouch. Elle ne s’attendait pas vraiment à ça et en même temps, elle aurait dû s’en douter : après tout, ce type est tout seul. C’est forcément que ses compagnons l’ont laissé ou sont morts. Ça a le mérite de la ramener à la réalité. S’il est ici depuis longtemps et s’il a survécu à tous les gens dont il a croisé la route, il s’est peut-être endurci et a peut-être enfoui ses sentiments et ses émotions très profondément pour survivre. Sa maigreur est significative de son état : il en a vécu des vertes et des pas mûres.
_ Je suis désolée, répond Moïra.
_ Il ne faut pas.
Moïra se redresse et son regard s’illumine tandis qu’elle fouille dans son sac pour en sortir la bouteille d’eau qu’elle n’a pas totalement bu.
_ Tu as soif ? Demande-t-elle en lui tendant la bouteille.
Faust regarde le contenant, la jeune femme, puis demande :
_ Je peux ?
_ Non, c’est juste pour te montrer, répond Moïra sur un ton amusé avant d’éclater de rire. Bien sûr que tu peux, j’ai évité d’en boire trop pour être sûre de pouvoir en proposer si je croise des gens. J’ai cru comprendre que c’était une denrée assez rare par ici…
Faust hoche la tête avant de boire deux longues gorgées.
_ Je connais deux ou trois endroits où l’on peut trouver de l’eau pure et ingérable.
_ Moi aussi ! Enfin j’en connais deux, mais je n’ai eu accès qu’au premier pour l’instant.
_ Tu as eu de la chance, beaucoup de voyageurs meurent dans ce monde sans avoir pu boire une seule goute.
_ C’est peut-être que mon destin n’est pas de mourir ici ! Répond la jeune femme. Et le tien non plus.
Faust fixe Moïra, la main sur la bouteille qu’il était en train de reboucher, son geste stoppé par la surprise.
_ Ouais, c’était peut-être un peu nunuche, ce que je viens de dire.
_ Je dirais surprenant.
L’homme se tourne vers la sortie, il a l’air de vouloir reprendre la route. Il serait normal pour quelqu’un comme lui qui a connu tant de monde et s’est retrouvé seul tant de vois, de se contenter de faire sa route sans demander son reste, mais ce n’est pas le cas de Moïra.
_ Attends ! Lance-t-elle d’une voix désespérée.
Faust se retourne et la dévisage. Son regard impassible la stresse et Moïra détourne les yeux.
_ Tu veux venir avec moi ?
La surprise de Faust détonne sur son visage neutre comme une touche de couleur dans un paysage grisâtre. Moïra profite qu’il n’ait pas encore répondu pour argumenter :
_ Je cherche d’autres rescapés. Je suis certaine qu’il y a un moyen de quitter ce monde et de rentrer chez nous ! Ça te dit qu’on fasse un bout de chemin ensemble ? A deux, on est déjà plus forts que tous seuls.
Faust hausse les épaules. Il s’en fiche ou il est d’accord ? Craignant d’avoir encore fait une bourde, Moïra lève les mains.
_ C’est pas une obligation, hein ! Je veux pas que tu te sentes forcé de venir, ni être un boulet pour toi.
_ Tu ne seras pas un boulet, répond simplement Faust.
Deuxième fois que l’homme la surprend avec une réponse aussi simple qu’efficace.
_ Oh, ça c’est parce que tu me connais pas encore, dit Moïra avec un rire chargé d’autodérision. Tu verras qu’au bout d’une heure, t’en auras marre de moi.
Elle lui tend la main, tout sourire.
_ Alors c’est le début des grandes aventures de Faust et Moïra !
Après une seconde interminable pour la jeune femme, Faust la serre enfin. Après s’être préparée mentalement à ce qu’elle risque de voir, Moïra passe devant, son tisonnier vulgairement appuyé sur son épaule. Elle passe dans la grande salle et s’y arrête, s’efforçant de regarder la créature pour s’assurer de ce qu’elle devra éviter la prochaine fois qu’elle passera dans le coin. Au milieu du carnage qui a eu lieu se trouve un humanoïde difforme dont le torse très allongé, les jambes bien trop courtes et les bras exagérément longs sont d’une maigreur extrême. Sa tête, cependant, est en charpies. Faust n’y a pas été de main morte, il est strictement impossible de savoir à quoi ressemblait la face et le crâne de cette bestiole.
Après avoir gravé cette scène atroce dans son esprit, Moïra sort de la maison en quelques instants, suivie de Faust. Une fois dehors, Moïra prend une grande inspiration et remarque que son nouvel allié est vraiment grand et fin, ses longs cheveux noirs qui s’étirent jusqu’à ses coudes lui donnent des airs de saule pleureur. A côté de cette asperge, Moïra doit ressembler à une petite noisette ! Au bout d’un moment, elle décide de regarder de nouveau les boites aux lettres pour trouver le nombre 275. Elle n’a pas perdu espoir de trouver des gens là bas, et s’ils n’y sont plus, peut-être auront-ils laissé quelques vivres.
_ Où vas-tu ? Demande Faust qui la suit.
_ Là où je ne suis pas encore allée. D‘où je viens, i n’y a pas de survivants, que des monstres. Alors je me dis que je ne perds rien à chercher quand même.
Il ne répond pas et se contente de la suivre en silence. Leur marche tranquille entre les domaines va durer un long moment, avant que Moïra ne reprenne :
_ D’où est-ce que tu viens ? Demande-t-elle.
_ Pays de l’est, répond Faust sans en dire plus.
_ T’es pas un grand bavard, murmure la jeune femme. Quand je suis stressée, j’ai du mal à rester silencieuse, j’ai souvent besoin de parler pour me rassurer. Si jamais c’est trop ou si ça t’ennuie, n’hésites pas à le dire.
Faust hausse les épaules.
_ Ca va.
_ C’est que…. Passer de siècles de solitude à une folle qui parle tout le temps, ça doit faire bizarre.
Alors qu’elle rit encore, Faust lui lance un regard dubitatif qui la perturbe un peu.
_ Quoi, relance-t-elle en perdant un peu son sourire. Ça fait vraiment des siècles que tu es coincé ici ?
_ J’ai perdu le fil du temps. Pour moi, ça fait des siècles.
_ Je vois, répond la jeune femme. Bah au moins t’es plus seul, et ça nous fait une raison de plus de vouloir chercher ensemble.
_ Hmm.
En remarquant son air un peu absent, Moïra va gentiment tapoter dans le dos de Faust pour lui donner un peu de force. Quand il tourne son regard surpris vers elle, elle sourit.
_ Allez, ça ira. Maintenant on a deux fois plus de chances pour trouver une fin à toute cette histoire.
Puis elle reprend la route, fredonnant cette vieille chanson de John Denver, souriant pour elle-même. Les voilà qui arpentent la route, à vérifier chaque numéro de boite aux lettres, se rapprochant lentement mais sûrement de celui qu’elle cherche depuis qu’elle est ici. Le silence est alors si profond que lorsque l’estomac de Moïra se met à gronder, elle peut même en entendre le faible écho dans le voisinage. La demoiselle se met à rougir et presse le pas, n’osant pas regarder Faust. Ce dernier ne dit rien, occupé à fouiner. C’est comme s’il n’avait rien entendu.
Puisqu’elle n’a pas fait attention à lui la première fois, l’estomac de Moïra se fait à nouveau remarquer en grondant plus fort et plus longtemps, la forçant à se plaquer les mains dessus comme si ça allait l’arrêter.
_ Désolée, se justifie-t-elle. Il va se calmer, fais comme si t’avais rien entendu !
_ Tu as faim ?
_ Non, c’est juste un caprice, ça va s’arrêter !
Encore une boulette, pour un début c’est pas génial ! Maintenant, il sait qu’elle parle beaucoup, qu’elle fredonne quand elle est contente et qu’elle a FAIM ! Il va finir par se dire qu’elle aura toujours faim, et peut-être même qu’elle va lui piquer ses rations de survie !
Marchant plus vite vers le groupement de maisonnettes où se trouve probablement le numéro 275, Moïra appuie sur son ventre en espérant que ça taira les grondements… Mais ça ne fait que les empirer !
_ Tu as faim…
_ Non, panique-t-elle. Vraiment ça va, je peux tenir !
_ Je ne suis pas stupide.
_ J’ai pas dit que t’étais stupide… mais t’as pas faim toi ?
_ J’ai déjà mangé. Je pense savoir où tu peux trouver à manger.
Moïra s’arrête net et se tourne vers lui.
_ Sérieusement ? Demande-t-elle.
Faust laisse alors entrevoir un petit sourire fier avant de hocher la tête. Il prend la tête pour la guider encore entre les maisons, avant d’en trouver une et d’ouvrir le portillon, l’invitant à le suivre. Moïra le suit sans rien dire, déjà gênée qu’il ait compris qu’elle avait faim. Heureusement qu’il avait déjà détourné la tête quand elle s’est mise à rougir de honte.
C’est sans la moindre hésitation qu’ils passent la porte d’entrée pour aller directement à la dernière pièce. Là, dans un coin, Faust s’agenouille pour montrer quelque chose au sol. Parmi les planches de bois qui sont bien collées les unes aux autres, il y en a deux qui ne tiennent plus vraiment. Ensemble, Faust et Moïra retirent ces lattes de bois et découvrent de nombreux vivres déposés dans ce qu’il reste d’un emballage en carton. Entre les énormes boites de conserve, les bouteilles d’eau, les barres céréales et les soupes en sachets, il y a là de quoi tenir au moins deux semaines s’ils ne sont que deux à en profiter sans exagérer.
Alors que Moïra reste hébétée devant cette vision, Faust prend l’un de ses sacs en lin et commence à y mettre les boites de conserve. Ça a le don de ramener Moïra à la réalité, et en voyant qu’il est littéralement en train de bourrer le sac, elle lui attrape gentiment le bras. Le geste semble le prendre au dépourvu car il se recule vivement.
_ Quoi ? Demande-t-il.
Le regard de Faust est des plus blasés et des moins empathiques. Il est clair qu’il vit loin des autres depuis trop longtemps pour se souvenir de la bienséance et du respect. Alors Moïra choisit ses mots pour lui parler sans le froisser.
_ Ces gens qui ont entreposé ces boites ici, ils n’ont pas choisi d’être là. Ils sont comme nous. Ce serait pas sympa de tout leur voler, ils ont peut-être mis beaucoup d’effort à les rassembler.
_ Mais tu as faim.
_ Tu l’as dit toi-même, il y a d’autres endroits où on peut trouver à manger. Pas vrai ?
Faust hoche la tête silencieusement.
_ Alors ne prenons que ce dont on a besoin, et laissons le reste pour ceux qui seront dans la même situation que nous.
Devant le silence de l’homme, Moïra cherche à nouveau ses mots :
_ Mettons-nous à leur place : Si on avait pu rassembler autant de nourriture, et que quelqu’un nous vole tout sans la moindre vergogne, ça ne nous plairait pas.
_ Non.
_ Pour eux, c’est pareil. Ne les privons pas de nourriture sous prétexte qu’on a la dalle. On sait pas qui ils sont, combien d’épreuves ils ont traversé pour rassembler tout ça.
_ Peut-être qu’ils sont déjà morts, répond Faust.
_ Peut-être qu’ils ne le sont pas, et peut-être même qu’ils sont plus nombreux que nous.
Faust semble troublé, mais il reste quelques secondes sans rien dire, avant de la regarder arracher un petit bout de papier de son carnet. Elle griffonne un joli « Merci » suivi d’un petit cœur avec son feutre avant de déposer la feuille par-dessus les ressources restantes. Ensemble, ils remettent les planches à leur place et quittent la maison pour reprendre leur route.
_ Tu crois que ça faisait partie de notre monde, avant ? Demande Moïra en observant les toits uniformément gris, les murs uniformément blancs et les volets uniformément verts.
_ Je l’ignore. Beaucoup de choses y ressemblent, mais beaucoup de choses sont différentes.
_ On dirait que le monde s’est arrêté de tourner d’un coup et a été plongé dans le vide. Tout est presque comme chez nous, mais il manque l’essentiel : les gens, les bruits, la vie.
_ C’est peut-être que le monde a été transformé et il ne reste que nous.
Le cœur de Moïra se serre tandis qu’elle regarde Faust. Il arbore une mine grave te sombre. En sait-il plus que ce qu’il veut bien dire ? Si c’est leur monde, ils ne peuvent pas s’enfuir. Si c’est leur monde, ils ne peuvent pas retrouver leur vie d’avance.
_ J’espère que tu as tort, répond-elle.
_ Moi aussi.
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