Jour 18 : Poire

“Alors, docteur, pouvez-vous faire quelque chose pour moi ?”

Le médecin resta silencieux, mal à l’aise. C’est que… On ne lui avait jamais vraiment parlé de cette maladie avant et il ignorait comment “soigner” ça, si l’on pouvait seulement soigner ce problème. Son patient était très atypique et il commençait à remettre en cause les principes les plus simples de son métier pour fuir en courant et en agitant les bras.

Sylvain Perry, car tel était son nom, s’était réveillé un matin avec le visage aplati. Enfin… Son visage avait pris la forme d’une poire coupée en deux. Son nez et son oeil droit avaient déjà disparus en quelques mois, pour laisser place à la chair du fruit. Le pauvre homme craignait que sa bouche, ses oreilles et son deuxième oeil en fasse bientôt de même. Il avait déjà consulté plusieurs dizaines de spécialistes pour s’occuper de son problème, et le docteur Henry Miller était l’un d’entre eux. Sa dernière chance, si on pouvait dire.

“Je… balbutia le médecin. Je ne sais que vous répondre. Je suis spécialiste en robotique, pas en fruitologie.

- Mais vous animez aussi un cirque de bêtes de foire. N’avez-vous jamais vu quelqu’un comme moi ?

- J’ai déjà vu un homme au cou aussi long que celui d’une girafe, j’ai vue des robots hantés par des fantômes, j’ai même vu un homme de la couleur d’une aubergine. Mais non, je n’avais encore jamais rencontré un homme avec une tête en forme de poire.”

Il sembla réfléchir un instant.

“... Avez-vous essayé de… vous manger ?”

Le patient cligna de son unique oeil, perturbé. Avec un mouvement lent, il arracha un petit bout de sa peau et la mit à la bouche.

“C’est doux. C’est sucré, dit-il.”

Le docteur se frotta la barbe.

“Et si vous mangiez toute la poire ? Peut-être que votre visage se trouve en dessous.”

L’homme considéra le conseil et rentra chez lui. Il se planta un couteau dans la tête, pour arracher un morceau et mourut. Le docteur Henry Miller fut poursuivi quelques semaines, avant d’être relâché : il n’y avait rien qui empêchait le meurtre de légumes dans le Code Pénal.