Chapitre 11 - 2/2

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— Pardon ?

Une énième fois, elle me tire après elle et me pousse dans un placard, sous des chemises.

— Pas un bruit, je reviens te chercher après.

Elle ferme la porte sur moi et coure ouvrir la porte. Je me demande ce qu’elle aurait fait si j’avais été claustrophobe ou nyctophobe. Puisqu’elle a gentiment accueilli chez elle un ivrogne mineur en larmes, je consens à rester tranquille le temps que les choses se tassent (sans savoir de quoi retourne les choses en question). J’entends Iris converser avec une autre personne, un homme au vue du timbre de voix. Son petit-ami sans doute. Elle m’a caché pour éviter un malentendu entre eux, peut-être ? Mais s’il me découvre, ce sera davantage trompeur que si elle m’avait directement présenté.

Finalement, cette pensée se dissipe bien vite : les minutes continuent de filer sans aucun signe de délivrance. Pas le moindre moyen de se laisser aller contre un mur pour dormir : l’armoire tout entière craque et révèlerait immédiatement ma présence. J’en viendrais presque à espérer qu’un bruit me trahisse pour pouvoir sortir d’ici !

Au moment où cette pensée me traverse, un éclat de voix retentit. Je me concentre pour comprendre l’échange.

— …ça ?!

— De quoi tu parles ? répond Iris.

— Tu as recommencé hein ? Putain !

— Je n’ai rien fait, pourquoi tu m’accuses encore ?!

— Et le portable, là, c’est quoi ? Tu l’as trouvé par terre ? Avec le sac et les vêtements ?

Merde… Ce sont mes affaires, son petit ami a dû les trouver. Je réfléchis rapidement à un moyen de calmer le jeu entre ces deux-là, tandis que le ton continue de monter. La dispute semble sur le point d’exploser. Je me rue hors de l’armoire, à l’air libre, et le boucan de ma chute attire aussitôt leur attention.

Iris soupire et se prend la tête, son copain me regarde avec incompréhension et moi je me demande ce que je dois faire alors que l’alcool continue à me donner le tournis. J’essaye de me lever pour aller à leur rencontre, mais je chancelle et tombe de plus belle. Super Raphaël. Bravo, là c’est sûr, on va te prendre au sérieux.

Tous les deux viennent m’aider à m’asseoir sur le canapé, sans un mot. Ma présence a au moins eu le mérite de calmer les cris. Je sens que je dois dire quelque chose, vite, mais pas un mot ne réussit à sortir. Je me maudis de tout mon être. Par chance, je remarque une enveloppe déchirée sur le coin de la table. Je m’en saisis, ainsi qu’un stylo et commence à gratter le papier. La surprise se peint sur le couple qui lit par-dessus mon épaule.

« S’il vous plaît, ne vous disputez pas. Je sais que ça peut porter à confusion, mais je viens juste de rencontrer à Iris, il n’y a rien entre nous, je le jure ! Je suis désolé de débarquer comme ça dans une maison qui n’est pas la mienne. »

Étonnamment, leur seule réaction est un profond soupir. L’homme pose sa main sur mon épaule.

— Y’a pas de problème mon p’tit gars, je sais très bien que tu n’as rien fait. Je sais comment est Iris : toujours à ramasser des chiens errants et à les nourrir à la maison.

Je ne peux pas dire que je sois flatté de me faire traiter de chien errant, mais je suis heureux d’apprendre que la dispute n’était pas à propos d’une tromperie dont je serais l’origine.

— Je suis Thimoté, et toi ?

J’écris mon prénom dans un coin de l’enveloppe. Et juste comme ça, la tension s’apaise. Iris et Thimoté ne me posent aucune question. Ils lavent mes vêtements qui puent l’alcool et me préparent à manger. Je me sens si gêné d’imposer ma présence que je propose de les payer, mais ils rigolent tous les deux de ma proposition. J’ignorais qu’il existait des gens aussi gentils et prévenants pour partager leur table avec un total inconnu.

Leur relation est magnifique. En les regardant, j’ai l’impression qu’ils vivent ensemble depuis une centaine d’années mais qu’ils s’aiment comme à leur premier jour. Un brin de jalousie vient m’envahir. Si Nathan était resté, aurait-on pu être aussi proche ? Je secoue la tête. N’importe quoi Raphaël, tais-toi.

On se met tous les trois à table et le couple commence à se disputer sur la dose de pâte que chacun aura dans son assiette. Ils sont toutefois d’accord sur une chose : c’est moi à qui il revient la plus grosse part. J’essaie de protester, mais sans voix, c’est compliqué. Finalement, après une partie de pierre-feuille-ciseaux, Iris remporte la seconde plus grosse part. Je rigole tout bas. Ils auraient tout simplement pu partager équitablement, ou faire davantage de pâtes.

Finalement, je commence à me détendre suffisamment pour prononcer quelques mots à la surprise de mes bienfaiteurs. Ils sourient, sans poser de question. Je les remercie silencieusement. L’alcool perd de son effet lentement, la douche, la nourriture et un doliprane l’ont dissipé.

Sans trop savoir comme j’ai atterri là, je m’assoupis dans le canapé. Cette fois-ci, je dors sans rêve, juste apaisé. Lorsque je me réveille, le jour a déjà bien décliné et le soir entamée éclaire les murs d’éclats orangés. Je frotte mes yeux endormis, repousse la couverture qu’on a déposé sur mon flanc et me lève. Iris remarque que je suis réveillé et me sourit.

— Avec tout ce que tu as dormi, tu as sûrement fini de décuver ! Thimoté est parti faire quelques courses. Tu veux quelque chose à boire ?

Je secoue la tête.

— Pendant que tu dormais, ton téléphone n’a pas arrêté de sonner.

Jack et Corinne ! Je ne les ai pas prévenus, ils doivent être morts de peur ! Je m’empresse de récupérer mon portable qui vibre avant même que je ne l’allume. Les notifications défilent à toute vitesse et je culpabilise de plus belle. Vingt-cinq appels manqués, trente-sept messages non-lus. Je m’empresse d’écrire à ma tante.

Raphaël, où es-tu ?

Reçu le 8 août à 9 h 12

Tu es parti en balade ?

Reçu le 8 août à 9 h 15

Réponds-moi dès que tu vois ces messages.

Reçu le 8 août à 9 h 17

Pourquoi tu ne réponds pas ? Tu es où ?

Reçu le 8 août à 11 h 34

Je m’inquiète.

Reçu le 8 août à 12 h 02

Raphaël, je t’en supplie, dis-moi que tu vas bien. Si tu as besoin de prendre l’air, nous comprendrons, je t’assure, on te laissera faire une pause, mais s’il te plaît réponds. On se fait un sang d’encre.

Reçu le 8 août à 14 h 20

Rentre, je t’en prie.

Reçu le 8 août à 15 h 08

Si tu ne réponds pas avant ce soir, on va appeler la police Raphaël.

Reçu le 8 août à 17 h 43

C’est le dernier message que j’ai reçu d’elle. Les autres proviennent de Jack et de… ô surprise, Swan. Encore et toujours lui. Pas besoin que je disparaisse pour qu’il m’inonde de SMS inutiles. J’écoute rapidement ma messagerie vocale, mais Corinne et Jack redisent à nouveau qu’ils s’inquiètent beaucoup pour moi et qu’ils sont prêts à fournir des efforts pour me laisser respirer, mais qu’ils souhaiteraient juste que je leur réponde. Je me sens d’autant plus mal. Je m’empresse de répondre à ma tante pour la réconforter. Quant à Swan… Je lui répondrai plus tard. Peut-être.

Je suis désolé Corinne ! Vraiment, je vous demande pardon à Jack et à toi ! J’ai pris un bus et j’ai fini par m’endormir, alors je n’ai pas vu vos appels. Tout va bien, ne t’en fais pas, je rentre dès que je peux. Je vais très bien, ne vous en faites pas.

Envoyé le 8 août à 18 h 53

Je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je vais justifier ma fugue. Ni comment je vais expliquer que de parfaits étrangers m’ont nourri et logé parce que j’étais trop ivre pour tenir debout. Peut-être que je peux prétendre m’être cogné la tête et être devenu amnésique ? Non ? Ça vaut le coup d’essayer je pense.

— Tout va bien ? s’enquiert Iris à la vue de ma mine déprimée.

Je hoche la tête avec un petit sourire. Je lui demanderais bien de m’aider, mais je lui suis suffisamment redevable comme ça. C’est à moi d’assumer la conséquence de mes actes désormais. Tandis que je réfléchis à un plan pour expliquer à ma famille pourquoi je suis parti toute une journée sans que l’information ne soit choquante et qu’ils ne m’entraînent à l’hôpital psychiatrique, la jeune femme s’éclipse dans sa chambre. Elle en revient avec un portable qu’elle me tend. Je la fixe sans comprendre.

— Il était dans tes affaires, m’explique-t-elle. Totalement déchargé. Je n’avais pas de chargeur du bon type pour le recharger, mais heureusement, Thimoté en avait en stock, lui. Il devrait de nouveau être utilisable.

C’est… celui de Nathan. Avec mille précautions, je m’en saisis. J’ai peur de ce que je vais y découvrir. Tellement ou rien du tout. Et je sais qu’il y a davantage de chances qu’il n’y ait strictement rien à découvrir dans ce téléphone.

Le cœur battant, j’appuie sur le bouton de démarrage. Les écrans de configuration se succèdent de façon interminable. Vite. Dépêche-toi. Finalement, il me demande le code de la carte SIM. Et merde. Quoique… Incertain, j’écris le code le plus stupide et le plus utilisé par les gens pour leur carte SIM : 0000. Et ça fonctionne ! Je retiens un cri d’excitation en voyant apparaître l’écran de verrouillage. Mais je n’ai pas le mot de passe du téléphone… Après tout, je n’en aurais sûrement pas besoin puisqu’il n’y a sans doute rien sur ce portable.

Avec un soupir, je repose ce dernier sur la table basse, lorsqu’une vibration me fait sursauter. Je rallume aussitôt l’écran, la respiration haletante. Je n’ai pas le temps de voir quelle notification s’affiche qu’une seconde vibration se rajoute à la première. Puis une troisième. Et encore une. Finalement, le téléphone se met à vibrer sans discontinuer sous mes yeux ébahis. L’écran de verrouillage me signale des messages, des centaines de messages, et des tas d’appels manqués. Nathan avait peut-être plus d’amis que je ne le pensais ? Oui, c’est sûrement ça. Mais en regardant de plus près, toutes les notifications proviennent d’un numéro inconnu. Du spam ? Du harcèlement ?

— Raphaël ? m’interpelle soudain Iris.

Je sursaute et plaque le portable contre la table pour en cacher les messages. Je ne sais même pas ce que je cherche à cacher.

— Je suis désolée de te dire ça, mais… il n’y a pas beaucoup de bus ou de train par ici, alors si tu habites loin d’ici et que tu veux rentrer ce soir, tu ferais bien de te dépêcher.

Je cligne des yeux sans comprendre, avant de réaliser que je ne suis pas chez moi ! Quel idiot je suis. Je me lève d’un bond, récupère mes affaires rapidement et me prépare à quitter l’appartement.

— Attends ! Je ne voulais pas dire que tu dois partir ou quoi, juste…

Je ne la laisse pas finir. Je prends mon portable pour lui écrire.

« Je sais Iris, mais je comptais rentrer chez moi ce soir, alors ne t’en fais pas, je ne me sens pas obligé de partir ! Mais j’ai déjà suffisamment abusé de ton hospitalité pour aujourd’hui. Je te suis extrêmement reconnaissant pour tout ce que tu as fait pour moi. Merci pour tout, je ne sais pas comment te remercier. Remercie aussi Thimoté de ma part s’il te plaît ».

Elle lit plutôt lentement. Elle hoche la tête avec un petit sourire et me tapote les épaules.

— Ça va aller ? Tu veux que je t’emmène à la gare ? Tu sais comment y aller ?

Je lui montre Google Maps et lui fais signe que tout va bien. Le bus pour me ramener à la maison part dans quinze minutes, il ne me reste quasiment plus de temps. Je dépose un baiser sur la joue de ma bienfaitrice en guise d’adieu. Tout doucement, je lui murmure un remerciement.

J’endosse mon sac et sors de l’appartement sans un regard en arrière. Il faut que je sois rentré ce soir pour ne pas inquiéter davantage Corinne et Jack. Le soleil est encore haut dans le ciel, mais le temps s’est rafraîchi. Je m’élance dans les rues en alternant entre une marche rapide et le pas de course. Je regarde toutes les trente secondes l’heure pour vérifier que mon bus n’est pas encore parti. J’espère vraiment que le chauffeur ne va pas démarrer en avance !

La gare se dessine sous des rayons écarlates et je ralentis un peu l’allure pour souffler. Mon cœur tambourine dans ma cage thoracique, prêt à s’enfuir pour un oui ou un non. Je rejoins la gare routière où cinq car sont réunis. Je m’avance pour regarder le nom de chacun pour en connaître la destination. Plus que deux minutes avant l’heure du départ. Coup de chance incroyable : le bus le plus proche est le mien. Avec un soupir de soulagement, je m’engouffre à l’intérieur, paye rapidement le chauffeur et pars m’asseoir à la quatrième rangée.

Une fois installé, je soupire un grand coup, la respiration encore un peu désordonnée. Je vérifie que je n’ai rien oublié chez Iris, même si de toute façon c’est un peu tard pour vérifier. Je fouille dans ma poche pour attraper mon portable, avant de chercher celui de Nathan. J’attends un peu que mon cœur se calme et que le bus démarre. Les vrombissements du véhicule m’apaisent. Tout va bien.

J’allume l’écran, les doigts tremblants. Un peu timidement, j’essaye le mot de passe qu’il avait à l’époque où l’on s’était rencontré. Mais il l’a changé. Je soupire. Comment je peux réussir à lire ses messages si je ne peux pas en ouvrir le contenu ? J’essaye sa date d’anniversaire (on sait jamais, hein), évidemment fausse.

Le bus s’engage sur une route départementale et accélère. Ma tête se laisse aller contre les vitres tremblantes. Je caresse l’écran du téléphone du bout des doigts. C’était le sien. J’éteins et rallume le téléphone. De nombreuses fois. Puis j’appuie par erreur sur l’une des notifications. Le détail s’affiche et fait monter des larmes à mes yeux dès que les premiers mots me sont lisibles. C’est le dernier message envoyé par l’inconnu, il date d’aujourd’hui.

« Raph, tu me manques. Nath »

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