Chapitre 13

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T’oublier, ce ne doit pas être si difficile. Je me répète cela plusieurs fois. La colère que j’éprouve à ton égard ne s’est pas atténuée : elle continue à se renforcer, elle s’enracine en mon cœur. Et la colère est mauvaise conseillère : quitte à tenter de t’oublier, autant par la même occasion te rendre jaloux. Voilà, je vais trouver quelqu’un d’autre, une fille, un garçon, peu importe, n’importe qui et je serais heureux avec cette personne.

Conforté dans mon projet, j’accepte toutes les demandes d’amis autrefois rejetées à aller à des soirées. Je découche un soir sur deux, et je flirte, toujours plus, toujours de façon plus sensuelle. Pas de coup d’un soir ou même de relation, juste de la drague à deux balles, mais quelque part, je ressens le besoin de plus. Alors mes sous-entendus se font plus lascifs, je donne à foison des mensonges sur mon avenir avec un/une partenaire. Puis je sombre.

D’abord il y a Thimothé. Je suis toujours sorti avec des filles, alors avec un mec, c’est encore nouveau pour moi. On se rencontre lors du soirée chez un ami commun. La conversion de groupe fait que nous nous retrouvons tous les deux un peu isolés, exclus du groupe. Nous échangeons quelques mots, je lui explique mes difficultés de communication et il se montre prévenant, doux. On blague sur l’idée de coucher ensemble, je me sens sur la faille. On se quitte avec le sourire et le numéro de l’autre. Nous nous envoyons des SMS toute la nuit. Du flirte, encore, et puis finalement le moment où la vérité est amenée sur le tapis. Je le taquine un peu, puis lui parle d’une ancienne relation qui a été compliqué pour moi et de mon état instable. Je fais ma victime en clair. Il me dit que c’est pareil pour lui, qu’il est actuellement sous antidépresseurs, qu’il a déjà failli se suicider, qu’il se scarifie parfois, qu’il connaît ce que je vis. Non, tu n'en sais rien.

Puis, il me demande de sortir avec lui. J’accepte sans trop réfléchir. Le but, c’est bien de t’oublier, non ? Je pars sur un concept simple : une relation sans prise de tête, une relation pour combler le vide qu’on vit tous les deux. Et soudain, ses messages se font étranges : il affirme me connaître depuis plusieurs mois, que je lui ai tapé dans l’œil, qu’il me trouvait beau, mais qu’il me considérait comme un mec inaccessible. Il me dit à quel point il est heureux de sortir avec moi.

Une sensation aigre-douce me prend les tripes. Il avoue m’aimer. Et je connais son prénom depuis moins de 24 heures… Ce soir-là, je coupe court à la conversation. Le lendemain, je le larguerai sans même l’avoir embrassé une fois. On ne se reparlera plus.

L’été continue à se profiler. Je vis le jour, la nuit, l’aube et le crépuscule. Je me bourre un peu la gueule, pas trop. Je me réconcilie avec Corinne et Jack. Ils sont contents de me voir créer d’autres liens sociaux, de me « couper de Nathan ». Ouais, c’est exactement ce que je fais, je me coupe de Nathan.

Putain, non. Les jours passent et pas un seul ne contient pas son image. Je le vois partout. Son portable reste à mes côtés en permanence, et j’attends toujours un nouveau message. S’il seulement il pouvait appeler… Je n’aurais alors pas besoin de son mot de passe pour lui répondre. Mais il se contente de SMS. Et je ne peux pas m’empêcher de les lire. Seuls les premiers mots me sont accessibles. Jamais plus d’une phrase. Souvent, c’est pour m’expliquer ta journée, ou me dire que je te manque, et je regrette toujours un peu plus de ne pas pouvoir en lire davantage. Je regrette ton absence.

Puis il y a Carla. C’est une amie avec qui j’ai mangé à quelques reprises et dont j’ai partagé certains cours. Tout part d’une blague où je lui envoie « JE T’AIME ». Dès les premiers messages que nous échangeons, je ressens la faille. J’appuie un peu dessus, draguer n’a jamais tué personne. Pour moi, elle a toujours été une bonne amie, rien de plus. Je l’entrevois soudainement sous un autre angle.

Cette fois, c’est moi qui lui demande qu’on sorte ensemble après un long flirt. Elle met aussitôt toutes ses amies au courant, elle se vante et me tient la main en public. Je me sens mal à l’aise sans jamais osé rien dire.

Le lycée reprend. Septembre est arrivé. Et tu n’es pas revenu. Je sors avec Clara moins d’un moins. Nous nous embrassons quelques fois. Je vais jusqu’à lui toucher la poitrine, mais rien de plus. Les couloirs du lycée me rappelle trop ton absence. Et je la largue.

Alors que Mathieu m’avait fichu la paix à notre séparation, ce n’est pas le cas de Clara. Elle se met à me harceler de messages. Jour et nuit. Elle m’appelle 25 fois. Je reçois une cinquantaine de messages d’elle. Elle m’accuse de l’avoir manipulée, d’être cruel, de ne pas lui avoir dit plus tôt que je ne souhaitais pas du relation et que j’étais mal à l’aise avec elle. Elle dit que c’est horrible d’avoir menti et fait semblant comme je l’ai fait. Qu’elle m’a présenté à ses parents en vain. Que je suis horrible.

Et au fond, je suis bien d’accord avec elle. Mais ses mots ne cessent d’affluer. Je lis tous ces messages contrairement à ce qu’elle croit. Et je souffre à chacun d’entre eux. Ce jour-là, j’éteins mon téléphone, et pars me coucher, le cœur en lambeaux. Le sommeil me fuit tant et si bien que je finis par me relever. Mes yeux pleurent tout seuls. J’attrape une feuille et un crayon et je hurle toute la rage comprimée au fond de ma poitrine.

Carla,

Juste… Tais-toi. Ta gueule putain ! Tu crois que ça m’amuse, tu crois que t’es la seule à souffrir ? Je me suis excusé, je t’ai expliqué que moi aussi j’y avais cru, qu’est-ce que tu veux de plus ? Que je rampe à tes pieds ? Maintenant, stop ! Arrête de m’envoyer des messages pour me dire que je t’ai détruire, que tu crois plus en rien, que t’as pleuré tout l’après-midi à cause de moi, que tu n’as pas mangé, que je suis injuste, que tu ne veux pas m’appeler parce que tu diras des choses que tu ne penses pas. Alors quoi ? Moi je n’ai pas le droit d’être en colère, je n’ai pas le droit d’être triste ?

Et si c’est moi le connard, si c’est moi le salaud, je dois faire quoi après ?! Tout ça pour quoi à la fin ? Je te l’ai dit pourtant, je te l’ai dit… Je t’ai dit que j’étais instable, inconstant, je t’ai dit que la personne que j’aime me manque, je t’ai dit que je me sentais mal dans ma peau. C’est facile de tout me reprocher maintenant qu’on a rompu, parce que tu es la victime. Mais je refuse ! Je refuse de porter tous les tords ! Je les refuse ! Pourquoi c’est toujours de ma faute ? Arrête de me balancer ta haine en pleine gueule, j’ai déjà suffisamment à faire avec la mienne.

Après tout, on ne se connaissait qu’à peine ! Des mois que je t’intéressais, mais tu ne savais même pas que je me sentais mal, alors que désormais, la souffrance est la seule chose à retenir de moi. Alors je ne vois pas comment tu peux m’aimer. C’est ridicule de dire que tu veux sortir avec moi, de parler de nous à toutes amies et de me les présenter sans m’en faire part. Moi aussi, je suis en colère, et je suis peut-être davantage triste que toi. En tout cas, c’est ce que je veux croire… Je ne veux pas que quelqu’un souffre davantage que moi…

Tu dis m’aimer, mais je ne te crois pas. Personne ne peut aimer quelqu’un comme moi, c’est ce que je me dis constamment. Parfois, des gens que je connais pas disent qu’ils m’ont remarqué, que je suis un peu spécial, mais ils se trompent, ils ne voient en moi qu’une singularité qui les attirent et qui finira par les repousser, les dégoûter pour toujours.

C’est ce que tu me dis : que tu ne veux plus que je fasse partie de ta vie. D’accord, va-t’en. Mais sache que si tu as encore mal de notre relation dans 10 ans, j’en souffrirai encore plus longtemps ! Que moi aussi j’avais vraiment envie de croire que ça allait bien se passer, que j’allais tomber amoureux et oublier Nathan ! Je m’étais dit que ça pouvait être n’importe qui et j’ai eu tort. J’ai eu tort, c’est vrai, maintenant, tais-toi, arrête de m’injurier, de remuer le couteau dans la plaie.

Tu dis que j’aurais dû t’appeler, que c’était injuste et lâche de rompre par messages. Et comment je devais faire ? Avec ma voix défaillante, mes yeux incapables de pleurer, comment j’aurais fait pour sortir le moindre mot ? Les IA sont meilleures en communication que moi, je ne suis rien de plus qu’un pantin démembré et muet. Tu dis que j’aurais dû annuler ma visite chez toi, que je n’aurais pas dû t’embrasser, que je n’avais pas l’air si mal à l’aise lorsque je te touchais, et j’ai envie de te cracher à la gueule toute la douleur qui gronde au fond de moi. J’ai envie de m’arracher le cœur pour te montrer ce qu’il en reste, toutes les brûlures qui le parcourent. Et tu es tellement… tellement naïve ! N’importe qui peut faire croire qu’il est heureux ! Il suffit de sourire au bon moment, d’être un peu gêné devant les parents, de tenir la main lorsque la situation l’exige. C’est facile, bordel, alors arrête de dire que j’ai joué avec toi !

Pourquoi tu ne comprends pas ? Ce n’est pas avec toi que j’ai joué : c’est avec moi-même. Parce que je voulais croire que les choses s’arrangeraient, parce que je voulais avoir une vie normale, une vie de lycéen avec une petite copine, une vie avec des malaises d’adolescent et des ricanements bêtes. Et je n’y arrive pas… Je suis bien trop nul pour atteindre cette vie…

Je ne sais même plus quoi te dire… Je suis furieux que tu puisses croire que mon absence de larmes révèle mon indifférence ou qu’un baiser révèle mon amour. Oui, oui, c’est de MA faute ! Je me suis excusé, je t’ai dit la vérité, qu’est-ce que je peux faire de plus ?! Tu dis que je n’aurais pas dû sortir avec toi en premier lieu, surtout que je savais que nous finirions par rompre, mais tu ne comprends pas… Tu ne comprends pas cette espèce d’engouement lorsque j’ai remarqué que je t’intéressais, ce petit brin de fierté narcissique, mais surtout ce sarcasme qui s’est emparé de moi. Je me suis mis à rire de toi, de moi-même, parce que tu ne peux pas m’aimer pour ce que je suis, personne ne le peut. Pas même moi.

C’est bon, tu peux dire à tout le lycée ce que j’ai fait. Que je suis un connard, que je sors avec n’importe qui, tu peux même dire que c’est juste pour du sexe si tu veux ! C’est vrai, c’est juste du sexe au final, l’impression de ne pas être seul, sentir que j’intéresse tout de même quelqu’un, et c’est d’accord pour moi si ce sont juste des coups d’un soir. Ça ne me dérange pas d’être violé, abusé, ou bafoué, parce que je n’ai pas assez de respect envers moi-même pour en ressentir la moindre honte. Parce que mon corps n’a plus aucune valeur si ce ne sont pas les mains de Nathan qui les effleurent.

Je t’ai déjà dit que j’étais désolé, mais de toute façon c’est trop tard. Maintenant, oublie-moi.

Raphaël

Je me promets de ne plus avoir aucune autre relation avant au moins 4 ans. Mais il semblerait que j’ai un attrait particulier pour la violence envers ma propre personne… Il ne me faut pas moins d’une semaine avant de replonger dans un cercle infernal.

C’est Mathieu qui représente ma prochaine victime. Ancien camarade de classe au collège, il a, comme moi, déménagé en Auvergne. La surprise est telle que nous ne tardons pas à nous rapprocher. Aussitôt, un lien se crée entre nous. Je crois qu’il m’aime bien. Non, je le sais à sa façon de rire. Tous deux plaisantons beaucoup. Il respecte chacun de mes silences et toutes mes douleurs. Je le trouve beau. Il a des yeux d’un bleu si clair et des cheveux bouclés dont il se plaint en permanence. On se retrouve dans le bus, j’ai conscience qu’il prend le même que moi en fonction de mon emploi du temps, je laisse faire. Chaque regard qu’il me jette est révélateur. Je me sens désirable et c’est là toute ma faille.

Nous passons des heures au téléphone. Pas besoin de parler ou quoi : juste, être là, l’un avec l’autre. On joue à des jeux en lignes, il se fout de ma gueule parce que je suis nul. Je réussis malgré tout à lui mettre la pâté sur quelques jeux en particulier.

Et c’est si facile, si simple. Il me parle de son dernier mec qui l’a largué comme une chaussette, j’insulte ce dernier en disant qu’il ne le méritait pas. Je lui dis que je suis instable émotionnellement, que je suis une putain de bombe émotionnelle. Et il accepte tout de moi. Il dit que j’ai mauvais goût car je le trouve beau. Je réponds que c’est lui qui a tort d’aimer l’apparence d’un mec comme moi. Il affirme être gros et dégueulasse. Et ça m’énerve tellement de le voir se dévaloriser ainsi. Je ne nie pas son surpoids, mais il n’est en rien dégueulasse ! Je menace de ne plus lui répondre s’il continuer à dire cela.

Une nuit, à 3 heures du matin, il se confesse. Je sens mes muscles se tendres sous le drap. Mais je souris. Toujours ce putain de bonheur au début qui fait tant espérer… Et je lui dis ! Je lui partage toute mes peurs. Celle de le blesser, celle de ne pas être certain d’aimer les garçons, celle d’être instable et de le larguer demain, celle de ne pas l’aimer vraiment, ou de l’aimer mal. Il me rassure, il m’expose chacun de ses arguments posément, et je le crois. Pourquoi faut-il que le moindre mot doux me fasse cet effet ?

Je cède et accepte de sortir avec lui. Dès le lendemain matin, il m’embrasse dans le bus. Il a un chewing-gum dans la bouche quand il le fait. Fraise citron apparemment. Je l’embrasse à nouveau pour vérifier. Le goût reste longtemps sur mes lèvres. C’est bizarre d’échanger un premier baiser avec quelqu’un avec quelque chose dans la bouche. Il m’explique qu’il avait peur d’avoir mauvaise haleine. Je trouve ça mignon. Plus tard, par message, il s’excusera de mal embrasser. Je l’engueule en disant que je n’embrasse pas mieux que lui, qu’il n’y a pas de « bonne » façon d’embrasser et que j’ai aimé son baiser. C’est la vérité. J’ai aimé. C’était agréable disons. Sauf peut-être le fraise citron. Je déteste les produits dérivés de la fraise.

Les doutes ne cessent de m’assaillir. Je lui en parle à chaque fois. « Une relation est basée sur l’échange » qu’il ne cesse de me répéter. Alors je lui fais confiance et il passe son temps à me rassurer. Et je me surprends à espérer avec lui, à croire à notre relation. Je me dis que c’est peut-être en train de marcher, que ce n’est pas que du vent. Je bégaye un peu moins en sa présence, j’aime lorsqu’il me prend dans ses bras, lorsqu’il m’embrasse ou qu’il me taquine. Mais finalement, le doute continue de me ronger.

Ce qui devait arriver arriva. Je finis par craquer un soir. Je lui explique que ce n’est pas de sa faute, qu’on a essayé, que je ne suis même pas certain de l’aimer, que je suis encore trop instable pour avoir une relation, mais rien n’y fait. Il dit qu’on ne peut pas embrasser et câliner une personne qu’on n’aime pas comme je l’ai fait. Que personne ne peut aussi bien faire semblant. Et pourtant… Pourtant si.

Je me confonds en excuse, mais ce n’est jamais assez. Il me supplie de ne pas le quitter. Je le supplie de me laisser partir. Des larmes viennent bercer ma nuit. La culpabilité me ronge tellement… J’attrape le cutter. Une marque sur la cuisse droite. Le sang se met aussitôt à perler. Mais ce n’est pas assez. Je mérite de souffrir davantage, toujours un peu plus. Pour toutes les personnes que j’ai manipulées, que j’ai faites souffrir. Je me rends compte que c’est sûrement de ma faute si Nathan est parti. Si nous ne nous étions pas autant disputer, si je n’étais pas moi… Il ne serait jamais parti. Tout est de ma faute. Et je me hais pour ça.

Je marque ma peau de striures écarlates. Lorsque je lâche la lame, l’entièreté de mes deux cuisses sont éclatées par mes mutilations. Le souffle me manque et je panique. Je veux hurler à l’aide. Je n’ose bouger d’un pouce. Une goutte de sang s’écoule jusqu’au drap et aggrave ma terreur.

Stop. Tout va bien. C’est rien. Tout va bien. Tout va bien, bordel ! Mes ongles s’enfoncent dans mes bras. Il faut que je me calme. Putain, arrête de pleurer. Arrête, ça sert à rien.

Et j’attrape mon portable et je compose le numéro que tu utilises pour m’envoyer des messages par le biais de ton ancien téléphone. Mes mains tremblent.

Et j’appuie sur le bouton vert.

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