Un nouveau départ

4 minutes de lecture

En retournant à sa voiture, elle se surprit à retrousser ses narines pour mieux humer les arbres, les passants, le bitume chaud. À mesure qu’elle avançait, ces arômes emplissaient son corps et lui procuraient une sensation de lévitation.

Tout à coup, une odeur enivrante, goûteuse et chaleureuse lui fit remarquer une petite boulangerie sur le côté. Comme un chien de chasse flairant le gibier, elle suivit ce parfum de pains chauds jusqu’à l’entrée du commerce.

Là, sur le seuil, les yeux écarquillés comme une enfant, elle prit conscience de la volupté du monde qui l’entourait. Elle entrouvrit timidement la porte. Jamais auparavant elle n’avait éprouvé une telle sensation en entrant dans une boulangerie.

Une clochette manifestant son entrée, fit arriver un jeune homme au regard souriant qui lui adressa un « qu’est que je vous sers ? » dynamique.

Là, face au comptoir présentant une multitude de pains, de meringues, de viennoiseries, de sachets de bonbons et de pâtisseries, ses yeux réalisaient des allers-retours sans trouver de chemin. Les odeurs formaient une farandole qui l’embarqua dans une transe. Tout lui donnait envie, même ce jeune homme derrière le comptoir. Sa peau devait sentir le pain, elle s’imagina lécher son torse, mordiller une oreille à la saveur de pizza, effleurer ses lèvres au goût de meringue.

Un « madame ? » interrompit sa rêverie.

- Un peu de vous, s’il vous plaît !

- Pardon ?

- Heu, un peu de tout, s’il vous plaît…

- De tout ?

- Oui, je vais prendre, euh, une pizza quatre fromages, un pain au maïs, un croissant… aux amandes ! Et une tartelette à la framboise.

Le garçon empaqueta avec soin les trésors olfactifs.

Dans sa voiture, Elsa huma le sachet, puis, en un temps record, engloutit ces plaisirs salés et sucrés.

Avant de repartir, elle déplia le pare-soleil et aperçut dans le miroir une Elsa qu’elle ne connaissait pas. Sur sa veste, gisaient des miettes, sur sa bouche des traces de framboises lui donnaient une allure de guerrière sanguinaire.

- « Alors c’est toi la nouvelle moi ? » lança-t-elle en fixant le miroir. - Une nouvelle moi dans un monde nouveau. Où est-ce que ça va nous conduire tout ça… »

Elle démarra sa voiture et rentra chez elle ragaillardie.

A son arrivée, elle ouvrit grand les fenêtres pour faire entrer le frais, le vent nouveau. Se rappelant la panière de linge béante, elle se résolut à faire tourner une machine. Consciencieusement, elle tria le linge mais cette fois-ci, pour s’approprier ce nouvel environnement, elle huma chaque vêtement.

Lorsqu’elle prit le polo de son mari, elle le repoussa une première fois. Le remit sous son nez pour déterminer l’odeur désagréable qui s’en dégageait. Cette fois, ce n’était pas de la transpiration mais un relent de tabac froid.

Elle s’enquit de vérifier chaque vêtement. Le verdict était sans appel. Pire encore, sur plusieurs chemises, un parfum de femme lui faisait un pied de nez.

« Salaud ! Il m’avait juré avoir arrêter ! Gabrielle avait raison, même sous mon nez, je ne vois rien ! » s’écria-t-elle.

D’ailleurs, pourquoi avait-elle dit cela ? Était-elle au courant ? Peut-être même était-ce elle, l’autre femme ?

Un monde d’illusion s’éclairait à présent. Les odeurs révélaient des spectres qu’elle ne voulait pas voir. Ses sens rassemblés lui dévoilaient le monde dans toutes ses dimensions. Même les plus sombres.

De fureur, Elsa renversa la corbeille, laissant les vêtements, gisant sur le sol tels les cadavres d’une vie passée.

Elle prit sa voiture et démarra en trombe sans savoir où aller. La route la conduisit sur un sentier en bord de falaise qu’elle avait l’habitude d’emprunter pour courir. D’un coup sec, elle serra le frein à main et sortit de la voiture. Elle respira à pleins poumons. Chaque molécule d’air ne faisait qu’enfler sa rage.

*

- Elsa, je t’en prie. On s’est fait un sang d’encre. Tu n’as prévenu personne de ton absence au boulot. Matt aussi est fou d’inquiétude, d’autant qu’il te trouve distante ces derniers temps. Je vais l’appeler pour le rassurer.

Les yeux emplis de rage, Elsa répond :

« Oui, vas-y appelle-le ! Tu dois en avoir l’habitude dès que j’ai le dos tourné. »

- Mais, qu’est-ce que tu racontes ?!

- Je raconte que vous vous êtes bien foutus de ma gueule tous les deux !

Elsa se retourne et poussant Gabrielle par l’épaule en direction de la falaise, poursuit :

- Tu vas être heureuse, ma thérapie a fonctionné ! Mais j’ai découvert votre petit manège. Depuis combien de temps ça dure ?! C’est pour ça que tu m’as dit : « même sous ton nez, tu ne captes rien » ?

- Mais non, ça n’a rien à voir !

- De plus en plus près du bord, Elsa empoigne fermement Gabrielle et lui assène : « Tes cadeaux, c’était pour te donner bonne conscience ? ça a marché ? »

- Mais non ! je te jure ! Si je ne t’ai pas tout dit, c’est vrai. Mais… ce n’est pas au sujet de Mathieu.

- Alors vas-y, crache !

Gabrielle, en manquant de trébucher : « Je voulais juste que tu ailles mieux, je voulais… prendre soin de toi. Être avec toi. »

- C’est pas une nouvelle ça !

- Non Elsa, tu ne comprends pas : je veux être avec toi ! Je t’aime, c’est ça que tu ne captes pas !

Gabrielle prit la tête d’Elsa entre ses mains pour l’embrasser, mais celle-ci se recula.

- Non, Gabrielle, arrête…

- Tu ne m’aimes pas ? Pas de cette manière ? C’est ça ?

- Gab, je suis paumée, là. J’ai besoin de me reconstruire, d’apprendre qui je suis vraiment. C’est le chaos autour de moi. J’ai besoin de temps, seule, pour avancer.

- Je t’attendrais, souffla Gabrielle en lui déposant un baiser sur l’épaule.

S’il est parfois plus simple de voir le monde avec des œillères,

trouver la force en soi, de le regarder en face, nous libère.

Et enfin, un nouveau départ s’opère.

Pour Elsa : le début d’une nouvelle ère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lange ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0