Chapitre 2
En jetant son sac Eastpak sur son lit, Fabrice se demandait comment la journée aurait pu être pire. Il s’affala sur son lit à son tour en poussant un long soupir de fatigue.
Sa mère, qui était dans la cuisine, l’avait sûrement entendu rentrer, même s’il essayait de se faire le plus discret possible quand il revenait du lycée. Depuis le divorce, elle était devenue ultra protectrice, au-delà même du stade de maman poule. Dès qu’il rentrait elle s’empressait de venir frapper à sa chambre pour demander de ses nouvelles, s’il souhaitait manger un goûter, ce genre de chose… Fabrice voulair pourtant aujourd’hui, plus que les autres jours, ne parler à personne.
Cette vision insupportable, il n’arrivait pas à s’en défaire, ça l’obsédait.
Sarah en train de minauder à l’intention de Thomas, Thomas qui ne se gênait pas pour l’embrasser dès que l’occasion se présentait, la caressant avec un clin d’œil à ses potes, qui eux en profitaient pour se rincer l’œil.
Ma Sarah, c’est bien ma Sarah qui se trouvait dans ses bras ?
Il n’arrivait toujours pas à accepter l’idée, et il savait qu’il ne l’accepterait jamais. Il n’aurait jamais pu penser cette situation possible, et pourtant…
Il se maudissait intérieurement de penser que cette fille pouvait être une fille bien, une fille qui sache détecter cette fameuse beauté intérieure.
Finalement, pensait-il, elle est comme toutes les autres : un sourire Colgate, des gros muscles et hop elle fond devant ce mec.
Sa mère le ramena au présent :
- Coucou chéri, tu te sens bien ?
- Ca va Maman, ça va…
- Tout s’est bien passé à l’école ? Pas trop dur ?
- Non, non, ça s’est bien passé.
Ce genre de court dialogue tout à fait inutile était une rengaine quotidienne, un genre de rituel auquel il devait se plier à chaque fois qu’il rentrait des cours. Il se demandait ce qu’elle trouvait de si passionnant dans la vie ordinaire d’un lycéen pour qu’elle lui pose à chaque fois ces deux questions si importantes…
Mais il ne lui en voulait pas de se comporter ainsi, Fabrice se disait qu’elle en avait pas mal bavé avec son père pour lui faire remarquer qu’elle exagérait légèrement sur les bords. Elle était sans doute en cruel manque d’affection, et souhaitait exprimer exclusivement son amour envers le seul autre membre de la famille qui soit resté avec elle. Fabrice trouvait que c’était sa façon à elle de se reconstruire, tout comme lui-même essayait d’oublier l’époque où son père était avec eux.
Son père était définitivement ce qu’on pouvait appeler un homme violent. Frapper sa femme et son fils était son moyen favori de se défouler de sa situation sociale très critique : il était ouvrier à l’usine d’emballage située à peine à deux kilomètres à la sortie de la ville et était plus que sous-payé. Cela ajouté à ses problèmes de santé, le remboursement des différents crédits souscrits pour renflouer ses importantes dettes de jeu, et finalement son caractère sanguin le mettaient de travers pour la moindre bricole. Sa forte consommation d’alcool n’arrangeait bien évidemment pas les choses…
Fabrice avait largement expérimenté les accès de colère de son père : ramener une mauvaise note et c’était une série de coups de ceinture, rentrer en retard lui valait de servir de punching-ball vivant, se permettre de lui répondre lui aurait sans doute valu un aller simple au cimetière, il ne s’y était jamais risqué pour le savoir.
Sa mère, quant à elle, était beaucoup plus à plaindre : tout motif était sujet à la cogner, des choses aussi futiles qu’un repas mal servi, pas assez cuit ou de ne pas lui sourire quand il rentrait du travail. D’après ce que Fabrice avait compris en discutant avec sa mère, elle avait réussi à lui tenir tête au début de leur mariage, mais un séjour à l’hôpital suite à une fracture du crâne lui avait montré à quel point il était inutile et dangereux de se permettre de lui répondre. Elle n’avait plus jamais bronché par la suite.
Après avoir failli y passer récemment, elle eut quand même le courage l’année dernière de porter plainte après plus de quinze ans de mariage houleux, et de voir les flics embarquer son mari en pleine crise de colère. Son gabarit était suffisamment impressionnant pour donner du fil à retordre aux policiers, mais ils finirent par le maîtriser et le menotter sous les yeux ébahis de Fabrice. Il ne l’a plus jamais revu après cette nuit-là, sa mère refusant même de l’autoriser à aller à son procès.
- Bon, je te pose ton goûter sur la table du salon si tu as faim plus tard.
- D’accord. Merci maman.
Cela aidait Fabrice à relativiser sa récente peine de cœur. Il y avait quand même des situations plus graves que de se faire voler la fille qu’il aimait ; mais cela se passait alors qu’il commençait à peine à reprendre goût à la vie : elle faisait suite à une grosse période de dépression.
Fabrice à toujours cru que les jeux en ligne et sur sa Playstation 4 pouvait suffire à son bonheur, du moins son bonheur immédiat. Même si ce n’était pas pour trouver le bonheur, au moins ça le distrayait. Jusqu’à ce qu’il vît Sarah le jour de la rentrée…lui qui n’avait jamais prêté attention aux filles plus que ça, était tombé sous le charme immédiatement. Il sût que la possibilité de devenir véritablement heureux était à portée de main, mettre derrière lui tout ce terrible passé.
Et quand Fabrice s’imaginait être heureux, ça pouvait aller loin ! Il était tout à fait le genre à faire des plans sur la comète : la présenter à sa mère qui serait sûrement folle de joie pour lui, et pourquoi pas plus tard faire sa vie avec elle…
Ma vie entière avec Sarah, qu’est-ce que j’aurais pu demander de plus ?
Hélas, fallait faire une croix sur ça aussi maintenant…
Il se leva enfin de son lit, et remarqua avec stupeur qu’une demi-heure s’était déjà écoulé, comme quoi ressasser tout ça prenait pas mal de temps…Et il n’avait encore que seize ans, qu’est-ce que ça serait à quarante !
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