Maman, je viens de tuer un homme

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-Maman, je viens de tuer un homme.

Emilie est toute tremblante devant cette révélation. Elle n’y croit pas elle-même. Pourtant, les faits ont réellement eu lieu. Tout s’était passé si vite. Elle avait oublié de réfléchir. Elle ne s’était pas contrôlée. Juste une fois. Une fois de trop. Le coup était parti. Elle n’avait rien pu faire pour l’en empêcher.

Au fond d’elle, elle savait qu’il l’avait bien mérité. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle était encore plus fautive que lui.

-Quoi ? répond sa mère plus préoccupée à touiller la soupe qu’à écouter les racontars de son aînée.

-Je … J’ai tué un homme, répète alors Emilie.

Sa génitrice laisse tomber sa grande cuillère en bois sur le sol, laissant une grosse tâche orange sur le carrelage blanc.

-Comment ça ?

Emilie se met à pleurer, vraiment. Cela faisait des semaines, des mois même qu’elle lançait des appels au secours. Elle avait émis l’hypothèse que, maintenant, ses parents connaissaient ce qu’elle subissait chaque jour depuis le mois de septembre. Mais, apparemment, tout le monde était resté sourd à ses appels.

Elle s’effondre sous son poids et vomit ce qui lui reste dans l’estomac.

Après un gros déménagement, Emilie est inscrite en 2nd au lycée Jean Moulin. Elle n’y connait personne. Au fond, elle n’a pas abandonné grand-chose de sa commune natale, Boulogne. Elle juge qu’elle n’a jamais eu de meilleurs amis, ni même de véritables amis. Ca lui manquait parfois un peu. Mais elle était trop préoccupée par son envie de peindre qu’elle se passait bien d’amis qui viendraient la déranger plutôt que l’aider dans son travail.

Peindre était un talent naturel chez elle. Elle ne vivait que pour ça. Au fil des années, elle s’était comme perfectionnée. Non loin de là où elle vivait, elle pouvait voir la mer et imaginer les côtes anglaises de l’autre côté. Sa passion pour la peinture était accompagnée par une admiration hors du commun pour la nature et surtout l’océan. Elle en peignait de toutes les couleurs, noirs, bleus et même verts ! Il y en avait sous un soleil de plomb et d’autres sous des orages destructeurs. Des océans calmes et d’autres en colère. Des plages bondées et d’autres complètement désertes. Elle rêvait de prendre un jour la mer. Au lieu de cela, elle s’en éloignait.

Sa maison s’était transformée en un petit appartement situé dans la banlieue parisienne. On y respirait à plein poumon le bon air pollué. Elle avait dit adieu à ces grandes prairies et ses grandes montées et descentes en voiture qu’elle prenait souvent pour un terrain plat et une ville grise et ennuyeuse. Dès qu’elle en aurait l’occasion, elle en avait la certitude, elle regagnerait très rapidement ces côtes chéries.

Sa rentrée scolaire s’était déroulée aussi bien qu’elle l’avait imaginé : elle s’était mortellement ennuyée et personne n’avait daigné lui adresser la parole. Elle s’était amusée à griffonner dans son nouvel agenda des nouveaux personnages qu’elle avait en tête et dont les histoires torturées ne s’étaient pas encore dévoilées dans son esprit pendant que le professeur énonçait des règles que tout le monde finirait par enfreindre à un moment donné.

Il est vrai qu’elle n’était pas très sociable. Ca ne la dérangeait pas. Elle aimait sa solitude chérie, c’était sa force. Elle n’avait pas besoin de se cacher derrière quiconque pour affronter le monde. C’était sa manière à elle d’accepter pleinement la personne qu’elle était, sans aucune honte.

Son paradis finit par s’effondrer en moins d’une semaine. Elle devint la risée de tous.

-Regardez comment elle est sapée ! C’est une K-sos ! ria Jane, une grande blonde à l’appareil dentaire à moitié par du chewing gum.

-A ce qui parait, elle sort avec Ethan, murmurait-on à son passage.

L’Ethan en question était le plus laid de tous les garçons qu’elle avait déjà pu voir. Être son ami était humiliant, même à ses yeux.

-A ce qui parait, elle a des poux.

-Et sa mère, elle suce des queues pour pouvoir lui payer la cantine.

Tout ceci n’était qu’un bref florilège de ce qu’elle entendait quotidiennement à son passage. Elle serrait les dents et affronter ces remarques en enfilant ses écouteurs et écoutait ses musiques préférées. Elle savait bien qu’elle ne ressemblait en rien à toutes ces pimbêches dont le seul et unique but quotidien était de choisir son nouveau vernis à ongles pour le lendemain. Elle se sentait ringarde mais n’avait pour autant aucune envie de se déguiser en la personne qu’elle n’était pas.

Ses notes, habituellement correctes, s’effondrèrent en moins de temps qu’il n’en faut pour souffler. Elle pensait constamment à toutes ces méchantes personnes, elle en faisait même des cauchemars la nuit.

-Je n’arrive pas à rester concentrée, se plaignait-elle auprès de son père qui la punissait pour la troisième semaine consécutive d’ordinateur.

Elle se réfugiait, mécontente, dans sa chambre. Elle tartinait ses toiles de coups de pinceaux violents et rouges. C’était toute sa haine qui ressortait. Mais ça ne suffisait pas. Elle avait envie de se faire du mal. Elle pleurait abondamment chaque jour et personne n’était capable de la soulager. Personne ne pouvait arrêter le calvaire dans lequel elle s’engouffrait. En fait, elle avait beau faire comprendre à sa famille que quelque chose clochait, ils ne s’arrêtaient pas à cela. Emilie était une jeune fille forte. Elle finirait par s’en sortir.

Mais ça continuait.

Dans les vestiaires des filles, elle se changeait.

-Elle a même pas de seins, riait-on derrière son dos.

-Puis t’as vu sa culotte ? Mmh hyper sexy pour Ethan.

Elle se dépêcha. Mais avant de sortir, Malicia se plaça devant la porte. Elle était bien plus grande qu’Emilie.

-Reste là. Tu vas nous obéir maintenant.

L’ambiance était au beau fixe dans les vestiaires. Tous le monde se riait d’elle. Elle retenait ses larmes mais elle n’y arriverait pas très longtemps.

-J’ai une idée ! annonça Mélody qui baissa sa culotte et s’assit sur la poubelle.

Tous le monde entendit qu’elle urinait. Certaines trouvaient que ça allait trop loin. Mais elles ne dirent rien pour autant. Elles laissèrent faire et demeuraient complices du drame.

-Tiens, bois ! ordonna-t-elle toute fière en apportant sa mixture à la principale intéressée.

-NON ! répondit Emilie avec une voix qui se voulait ferme.

-T’as pas le choix, dit Malicia. Bois et tu auras le droit de sortir. On a toutes notre temps pour t’admirer.

Emilie se mit à les supplier de ne pas aller jusqu’au bout de ce qu’elles désiraient. Mais elles ne lâchaient rien. Malgré elle, elle avala une gorgée avant de vomir devant tout le monde. Le reste finit sur sa tête, comme si elle venait de prendre une douche dans de l’eau malodorante. Elles sortirent enfin. Elle resta seule.

Elle pouvait encaisser beaucoup de choses. Mais commencer à la toucher de la sorte lui était inconcevable.

Les jours suivants, pendant le cours de français, Mina s’amusa à lui couper ses cheveux. La professeure la gronda car elle était agitée sur sa chaise et ne suivait pas le cours. Mina, quant à elle, n’eut aucune réprimande. Elle était bonne élève après tout.

Mélanie et Justine lui mettaient du blanco sur ses vêtements chaque jour.

Une fois, elle s’était promenée dans les couloirs avec une étiquette collée au dos. On la nommait « Gros Tonzor ». Elle ne s’en rendit compte que le soir, une fois qu’elle se dévêtit chez elle.

On continuait de lui jeter de l’urine sur ses vêtements dans les vestiaires.

Près du canal, on l’avait attendu. On avait jeté ses cahiers qu’elle avait dans le sac.

Les grands la poussaient dans les couloirs lorsqu’il y avait du monde.

En récréation, pendant les temps de pause, on venait l’insulter. On lui crachait dessus.

On n’était même pas la fin de l’année et déjà, elle n’en pouvait plus. Une fois, elle pria sa mère de ne pas aller en cours. Elle en était incapable. Mais cette dernière l’obligea à s’y rendre. Elle aimait sa mère de tout son cœur. Mais elle ne se doutait sans doute pas de l’enfer qu’on lui faisait vivre là-bas.

Elle arrivait à bout ce jour de décembre. Il faisait sombre, un jour gris comme elle les détestait. Après la classe, elle rentrait chez elle à pieds. Malicia et son groupe l’attendait près du canal. Elle prit son courage à deux mains et les affronta. De toute manière, elle savait qu’elle n’avait pas grand-chose d’autre à faire, ils ne la laisseraient pas partir bredouille. Mais ils allèrent trop loin.

Le grand frère de Malicia était là. Ils l’obligèrent à se mettre à plat ventre contre le rocher décoratif. Tandis qu’Emilie imaginait ce qui allait se passer malgré elle, elle ne put se résoudre à se laisser faire. Ils la traitaient comme une moins que rien et maintenant, après lui avoir volé sa dignité, ils voulaient lui voler sa virginité ? Elle agit avant qu’il n’ait eu le temps de faire quoique ce soit.

Elle attrapa la plus grosse pierre qu’elle pouvait toucher et la balança contre la tête de son agresseur. Un coup ne suffit pas. Comme une furie, elle s’acharna. Il ne fallait pas qu’on l’arrête. Si c’était le cas, ils seraient encore plus violents avec elle. Elle donna tout ce qu’elle avait en elle. Et même après qu’il soit inconscient contre le sol, la tête sanguinolente, elle continuait, comme si toute sa haine sortait enfin. Enfin. Ca faisait du bien.

-Maman, je viens de tuer un homme.

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