La synésthesie : une façon différente de voir le monde
Je suis synesthète. Pour moi, la musique, les mots, les sons, les nombres, ont des goûts, ainsi que des couleurs. J’ai cette chose depuis toujours. Je me souviens même qu’en CP, je m’étais demandée pourquoi le mot « Pomme » était aussi acidulé. A l’époque, j’ignorais que la synesthésie existait (après tout, j’avais six ans !). Ce n’est que récemment, il y a un peu plus d’un an, que j’ai découvert que j’avais cette chose, qui s’avère être neurologique. J’ai appris cela à travers des vidéos sur le sujet.
Jadis, je partais du principe que tout le monde pouvait « voir » la musique et « goûter » les mots, les nombres, et les sons. Mais… ce n’est pas le cas. Il faut savoir également que les synesthètes n’ont pas tous les mêmes visions du monde en ce qui concerne la synesthésie. Par exemple, pour moi, le mot « Croire » a un léger goût de purée à la carotte avec de la croûte et est de couleur noire, mais pour quelqu’un d’autre, ce mot pourrait avoir une saveur de cerise, de soda, de steak, ou de je ne sais quoi encore, et il pourrait être rose, par exemple. C’est la même chose pour la musique.
Je peux aussi voir certaines voix en couleurs, ainsi que quelques personnalités. Parfois, ces voix ont un goût. Ces aspects-là sont relativement rares, cela dit. J’ai une professeure, par exemple, Mme Bonzom, qui possède une personnalité rose barbe-à-papa et une voix violet-bordeaux au goût subtil de compote à la texture peu consistante.
Il y a quelque chose de frustrant, cependant, quant à la synesthésie : ne pas reconnaître un goût, surtout si on le trouve agréable, et ne pas parvenir à mettre un mot sur une couleur pour la décrire. Il n’est pas simple non plus de peindre ce que l’on voit devant ses yeux en écoutant une chanson, ou en tous cas, c’est compliqué pour moi, car les couleurs et les formes sont trop précises, trop détaillées, pour être négligées sans que cela ne soit frustrant (surtout pour moi). Il n’y a, je crois, qu’une chanson que je pourrais peindre facilement : And Aubrey was her name, de Bread. Je vais tenter de vous décrire ce que je vois, en l’écoutant. Pour commencer, l’arrière-plan est jaune pâle, un peu comme un Post-il légèrement usé. Sur le côté droit, en haut, il y a un zigzag violet. Vers la gauche, mais proche du centre, en haut, il y a quatre petits traits bruns verticaux. A gauche, à partir du bord, il y a une épaisse ligne bleue foncé/bleu roi.
Je sais, décrire une image purement mentale n’est pas la même chose que la dessiner afin de la concrétiser, mais je ne peux pas faire mieux (croyez-moi, j’ai essayé). Les formes et couleurs se mouvant sans cesses au rythme de la musique, il serait compliqué de savoir quoi peindre avec exactitude. J’envie ceux et celles qui y parviennent. Parfois, je vois de ces tableaux ! Mon Dieu, ce que j’aimerais pouvoir faire la même chose ! Un jour, peut-être. Dans un prochain chapitre, je tenterais, tant bien que mal, de vous montrer ma véritable vision des chansons, même si je sais pertinemment que la plupart des images que je dessinerais ne seront pas parfaitement semblables aux choses que je vois.
Dans ce livre, je vais décrire de nombreuses chansons, ainsi que des nombres, mots, et lettres de l’alphabet. Je tenterais de retranscrire ces visions le plus possible, avec les détails précis, etc.
Selon moi, écouter de la musique classique permet davantage de voir l’image sans qu’elle soit grossièrement obstruée par une sorte de ligne épaisse barrant le centre, ce qui est souvent les cas lorsque l’œuvre est accompagnée de chant. On peut ajouter que, généralement, pour moi, la musique classique surtout, peut s’avérer intense, vivante, vibrante, au point de me secouer et de me faire trembler, notamment lorsqu’il s’agit d’une musique au violon (November, de Max Richter, me vient instantanément à l’esprit).
A l’inverse, il y a des chansons qui provoquent chez moi une indifférence profonde. Elles sont fades, mornes, et je peux passer cinq minutes avec mes écouteurs vissés dans les oreilles, avant de réaliser que la chanson est terminée depuis longtemps. Elles sont… du « vent ».
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