La gaufre pétillante de Marie-Clarence

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 La maison de grand-mère paraissait bien vide depuis qu’elle avait pris ses quartiers aux Peupliers d’argent, maison de retraite pour seniors grognons. Prise d’une soudaine nostalgie, j’ouvris le placard de sa petite pièce de couture et vis avec surprise un carnet ou plutôt un vieux cahier aux pages froissées. Je n’avais pas souvenir de l’avoir déjà vu. Je le pris et lus ce qu’il y avait de noter sur l’étiquette : Cahier de Marie-Clarence. Je ne connaissais personne de ce nom, peut-être une lointaine aïeule dont on aurait perdu le souvenir. Je feuilletais l’ouvrage fascinée par les boucles à l’encre indigo aussi fines que des pattes de mouches tracées sur le papier légèrement jauni par les années. Je tournais les pages sans vraiment tout lire, m’arrêtant parfois sur un croquis maladroit ou un mot souligné. Je contemplai plus longuement une drôle de recette. La page contenait les reliefs d’anciennes préparations, on devinait encore le blanc d’œuf qui avait raidi la page, de la farine s’était glissée dans la reliure. Une tâche rubis dont je ne devinais l’origine masquait la fin d’une phrase. La recette était celle d’une gaufre pétillante. L’auteure avait converti les quantités pour pouvoir en faire quatre. Je fus surprise par les ingrédients. On y trouvait certes ceux auxquels on s’attend pour une telle recette, mais également d’autres beaucoup plus improbables. Je compris d’où venait la tâche grenat : il fallait du sang de poussin ! Franchement qui saignerait un poussin pour faire une gaufre ? Sauf si elle en valait vraiment le coup... Cette recette m’intriguait. L’état de la page lassait deviner qu’elle avait été réalisée à maintes reprises. Je me demandais quel goût pourrait bien avoir cette gaufre.

 Il n’y avait pas cinquante façons de le savoir. Je devais simplement me mettre aux fourneaux. J’hésitais à la faire ici. J’allai dans la cuisine et ouvrit les placards, à tout hasard. Je trouvais sans peine les ingrédients, seuls les œufs frais manquaient à l’appel. En regardant par la fenêtre je repérai la volière du voisin où s’ébattaient trois poules. Dix minutes plus tard, six œufs frais dans leur boite rejoignirent les autres ingrédients. Je commençai par torréfier les grains de sel de l’Himalaya. La flamme de la gazinière prit une drôle de couleur. Dans un saladier, je mis la farine, la cendre de sauge, le bicarbonate et mélangeai avant d’y ajouter le sel encore chaud. Les œufs fouettés, l’huile de banane et le sang poussin (ma grand-mère en avait un flacon dans son garde-manger, vraiment étrange, juste à côté des crottes de lapereaux) s’ajoutèrent aux ingrédients secs. Je laissai la pâte reposée à la couleur peu courante. Je mis le gaufrier à chauffer doucement.

 La pâte s’écoula lentement de la louche et grésilla contre la plaque en métal chaude. Je refermai le moule et attendis. La vapeur qui s’échappait de l’appareil devint opaque et changea de couleur. Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel y passèrent. Lorsque la vapeur cessa soudain. J’entrepris d’ouvrir délicatement le gaufrier. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais une simple gaufre apparut, légèrement brunie par la cuisson. Je la déposai sur une assiette et attendit qu’elle refroidisse. Quand je pus poser la main dessus sans me brûler, j'en déchirai un morceau. La texture était idéale : croustillante à l'extérieure et fondante à l'intérieur. L'arôme était un peu différent de ce à quoi j'avais l'habitude. J'hésitai une seconde avant de déposer la pâtisserie sur la langue. Je ne savais pas quel goût cela allait avoir et si c'était simplement comestible. J'inspirai rapidement et me convainquis que si la recette avait été effectuée tant de fois, c'était bien que je ne risquai rien.

 La saveur ne ressemblait en rien à ce que je connaissais. Il y avait une sorte de goût entre la fleur séchée et l'embrun. Je fermai les yeux pour mieux me concentrer sur l'analyse de mes papilles, mais en vain, je ne trouvais pas mieux. Ce n'était pas mauvais. Je pris une seconde bouchée. Même constat. Je terminais alors cette collation improvisée et entrepris de ranger le bazar laissé par l'expérience culinaire du jour. La lumière de l'astre diurne commençait à décliner et alors que je ressentis le besoin d'allumer l'ampoule du plafonnier, ma vue se mit soudainement à s'éclaircir, comme si mes yeux s'étaient adaptés à l'obscurité. Je passai devant un miroir et fut surprise de voir mes globes oculaires briller. Pas façon lampe torche, non. Mais plutôt comme si mes rétines étaient occupées par des feux d'artifice. Ils pétillaient comme du sucre au CO2 fondant dans la bouche. Des trainées dorées et lumineuses traversaient l'iris, comme les étoiles filantes dans le ciel estival. Amusée, je fermais et ouvrais les yeux à loisir admirant le spectacle que m'offraient mes prunelles. Je me fis la remarque que lors d'une soirée ce serait du plus bel effet.

 Je finis de nettoyer et rangeai précieusement le cahier dans mon sac, certaine que j'allai réitérer cette recette si amusante.

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