Chapitre 17

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A travers la brume, seuls des contours abrupts et froid se dessinaient à l’horizon. Un véritable mur de calcaire blanchâtre, dont l’érosion semblait l’affaiblir de jour en jour, laissant subsister par ci et là des restes perforant la surface de l’eau tels des lances de pierres. Les flots tumultueux s’apaisèrent légèrement à l’approche de carcasses en bois reposant à la surface de l’eau.

— Des bas-fonds ! hurla Billy braquant de toutes ses forces à bâbord.

Le Rose’s Revenge effectua un changement de cap tandis que la proue du navire se levait. Dans un grincement des plus perturbant, Billy n’avait plus qu’à espérer que le navire ne subisse pas de dégâts irréversibles ou ne reste pas enliser dans les bas-fonds. C’était leur faible allure qui vint leur sauver la mise, permettant au gouvernail de réajuster la direction avant qu’il ne soit trop tard.

— Je ne vois pas bien la couleur de l’eau ! cria-t-il en s’approchant de la rambarde. Sortez les lignes de sondes et carguer les voiles !

Suivant les ordres de leur timonier, les gabiers commencèrent à remonter les voiles tandis que d’autres déroulaient leur lignes de sondes en y attachant soigneusement un plomb au bout, avant de les jeter par-dessus bord. Relâchant doucement leur cordage, le matelot restait concentré, à l’affut du moindre changement de tension. Ce fut lorsqu’il ressentit un léger relâchement qu’il bloqua le cordage avant de la remonter.

— 3ème brasse ! cria-t-il en relevant la ligne.

— Et sur le suif ? demanda Billy s’étant approché de lui.

— Du sable.

— Parfait ! On s’éloigne encore un peu, on va commencer à cartographier les lieux. On recommence à mon signal.

Sondant les fonds marins à intervalle régulier, la manœuvre permettait à Billy de se familiariser avec les particularités de l’île. Sur leur trajet, quelques petits vaisseaux semblaient eux avoir été également surpris par les conditions catastrophiques les faisant échouer lamentablement sur les bas-fonds.

— Capitaine, interpella le timonier. Du peu qu’on en voit, ses navires semblent d’une autre époque non ?

— Tu as raison, répondit Charles. On n’est pas les premiers à arriver sur cette île, ça on le savait déjà. Mais de là à imaginer plusieurs groupes de personnes l’ayant découvert sans que cela se sache. Ils n’ont pas dû pouvoir s’en échapper.

— Vous pensez qu’elle est habitée et qu’ils n’aiment pas qu’on vienne sur leurs terres ? s’inquiéta Billy en examinant les contours de l’île.

— Je ne sais pas. Il peut y avoir pleins de raisons possible. Ils sont peut-être morts affamé, ou n’ont trouvé aucun moyen de s’enfuir de là. Si on considère que cette tempête ne s’estompe jamais en ces lieux, il doit être difficile de trouver du bon bois pour réparer leur navire.

— Capitaine, regardez ! interpella Marcus les ayant rejoints. Un bateau de pêche, là, bloqués sur les rochers en dessous de la falaise, enchaina-t-il en montrant du doigt la base d’un imposant mur brut façonné par la mer dont la brume cachait son sommet.

Interpellé par la remarque de son second, Charles descendit rapidement dans sa cabine, remuant dans tous les sens les papiers sur son bureau. Il ne s’arrêta que lorsqu’il mit la main sur une grande carte maritime enroulée sur le bord.

— Est-ce que c’est possible ? demanda-t-il impatiemment en la dépliant d’un geste.

— C’est bien le bateau dont le vieillard vous a parlé sur Massali ? interrogea Marcus l’ayant suivi. Celui de l’explorateur Crawford ?

Charles était trop absorbé à glisser son doigt sur plusieurs points de la carte pour répondre. Il supposait au mieux leur position actuelle grâce aux repères tracés par Billy, dont les environs ne présentaient visiblement aucune autres terres.

— Oui, c’est lui ! s’insurgea Charles en se redressant d’un coup. Ça ne peut être que lui ! Il n’y a pas d’îles dans les environs, aucun pêcheur ne s’aventurerait aussi loin en mer. Ça nous permet donc de confirmer les propos d’Earl ! s’extasia-t-il en ne pouvant s’empêcher de sourire. Marcus, appelle les officiers et Billy.

Dans une entrevue à l’abri des regards, les cinq hommes firent une réunion à huit clos dans la cabine du Capitaine. Billy en sortit en premier, visiblement pressée par la navigation suspendue du Rose’s Revenge. Il fut suivi de John, le visage encore plus fermé qu’à l’aller, même si son regard reflétait une forte animosité.

— Vous êtes sûrs de vous, Capitaine ? demanda Thomas, resté exprès à l’intérieur. Laissez-moi m’en charger, il n’est pas prêt.

— Il le faut. Je dois m’en assurer avant que l’on reparte d’ici. Son cœur a besoin de réponses pour avancer, et parfois ce n’est qu’en le faisant soi-même qu’on y parvient.

Le prochain objectif de l’équipage du Rose’s Revenge était de trouver un endroit pour accoster sur l’île, à l’abri des potentiels regards. Ce n’était qu’au détour d’une falaise que Billy trouva son bonheur. Un semblant de plage de sable se dessinait en contrebas, s’étendant à perte de vue réduite par le brouillard. Du peu qu’il pouvait en voir, la forêt la bordant ne semblait pas très dense ni imposante. Cela leur permettrait de garder un œil sur le rivage afin d’éviter d’être surpris par une mauvaise rencontre à leur arrivée.

Ne pouvant s’approcher plus des bas-fonds, la perte de la barque à Massali les contraignait à rejoindre le rivage à la nage. Seul une poignée d’hommes restèrent sur le pont pour consolider les réparations et manœuvrer le navire.

— Il faut qu’on se trouve un abri pour réparer au sec, interpella le charpentier. Si on veut que le boulot soit bien fait, on n’a pas le choix. J’ai cru apercevoir un renfoncement dans la falaise tout à l’heure.

— Très bien, répondit Billy. Mais on ne s’éloigne pas trop ! enchaina-t-il en agitant la tête.

La traversée pour les marins fut plus compliquée que prévu. Les courants maritimes étaient plus forts qu’ils ne pouvaient laisser le transparaitre sur le navire. Les piètres nageurs se retrouvaient facilement en difficultés, emportés peu à peu par les va-et-vient de la mer agitée avant d’être ramenés par les vagues finissant par s’échouer sur la plage. Les plus expérimentés atteignirent le rivage, tandis que les plus altruistes aidèrent leur compagnons d’armes en difficulté. N’ayant jamais quitté son cocon agricole familial, Hector peinait à atteindre le rivage. Jack bloqua son bras par-dessous son aisselle et commença à le tracter. Pris d’une bouffée d’air chaud, le teint rougissant, le jeune mousse fit opposition en repoussant Jack d’un mouvement de bras.

— Je n’ai pas besoin d’aide, pesta-t-il en reprenant sa brasse coulée dont sa gestuelle permettait à peine de garder la tête au-dessus de l’eau.

— Tu vas finir par te fatiguer et te noyer si tu continues, répondit calmement Jack.

— M’en fous, un bon pirate sait…

— Pas besoin de savoir nager pour être un bon pirate, matelot, interrompit-il. Un pirate redoutable est celui qui n’a pas besoin de se mettre dans des situations périlleuses. Un pirate se bat sur un bateau, pas dans l’eau. Celui qui tombe à la mer lors d’un combat ou d’une manœuvre est mort. Savoir nager ou non n’y changera rien.

Hector n’avait pas pu tout entendre, brassant rapidement l’eau, il ne parvenait pas à garder sa tête émergée. La taille des vagues dépassait tous ce qu’il n’avait jamais connu, se faisant embarquée à leur gré. Lorsque sa tête dépassait de l’eau, les gouttes de pluie froides apportées par les rafales de vent lui contractaient les muscles, perdant en tonicité à mesure que le temps s’écoulait. Des frissons lui parcouraient tout le corps, rendant ses mouvements de plus en plus lourd. Cette fois-ci, il pensa que c’était la fin, il se débattit de toutes ses forces, constatant impuissamment son inefficacité à rejoindre la surface. L’eau était sombre, les nuages orageux n’aidaient pas à éclairer son chemin vers la surface, il y perdit peu à peu ses repères, se laissant aller à leur bon vouloir. Jusqu’à ce qu’une perception chaude vînt lui happer la main, avant de lui envelopper le corps. « De la chaleur » se dit-il. Rouvrant timidement les yeux, une faible lumière apparut au loin. Il ne put s’empêcher de penser voir les premières lueurs de ce qui lui semblait s’apparenter au porte du paradis. L’éclat gagna en intensité malgré le manque d’air manifeste dans ses poumons, jusqu’à complétement l’aveuglé.

— Oh ! Ressaisis-toi ! interpella une voix.

A l’écoute de ses mots, Hector repris ses esprits, ressortant toute l’eau salée de son corps à s’en étouffer, lui brulant toute la gorge.

— Laisse toi faire maintenant.

La seule chose qu’il se remémorait fut de rouvrir les yeux, tous les os de son corps grelottaient sous ses habits trempées. Il se redressa en enfonçant les coudes dans le sable par réflexe, dans une inspiration d’angoisse avant de voir tous les autres matelots occupés à essorer leurs tuniques. Devant lui, Jack tournait les talons. Même s’il eut l’envie, il n’eut pas le temps de s’exprimer.

— Rassemblement tout le monde ! cria le capitaine, rameutant ainsi tous les matelots autour de lui.

— Ecoutez-moi bien. On est en terres inconnues, voire hostiles. La végétation de l’île est plutôt dense. Faites attention aux moindres détails vous paraissant pas naturel, regardez bien où vous mettez les pieds, il peut y avoir des pièges. Restez sur le qui-vive tout le temps. C’est un ordre. On va se répartir en plusieurs groupes. John et Simon, vous prenez les six matelots là, enchaina-t-il en montrant du doigt un petit groupe déjà formé. Vous longerez la plage, vous serez à découvert à flanc de falaises, prenez gardes.

— Bien, Capitaine, répondit Simon en tapant amicalement l’épaule de John. On est ensemble, tu ne risques rien, ironisa-t-il en se tournant vers ce dernier.

John n’objecta pas, alors que Charles continuait à répartir les matelots. Il fit partir un groupe en direction de ces mêmes falaises pour remonter dans les terres. Lui et Thomas décidèrent de remonter les terres par l’Est tandis que le groupe du second avait pour missions de fouiller les épaves aux alentours en recherche d’indices.

— Charles, je vais plutôt prendre les deux nouveaux à la place d’Hector. Il me faut des gars costauds, affirma-t-il.

— D’accord, accepta le capitaine en faisant signe à Hector de le rejoindre.

Ce dernier fut soulagé d’éviter l’équipe de Marcus. Il ne se voyait pas retourner dans cette mer agitée qui avait manqué de peu de l’emporter. Il lança un rictus en coin en guise de remerciements au second.

— Bon les gars, j’espère que vous êtes chauds, car on va bien se les cailler là-dedans, ricana-t-il à gorge déployé en s’enfonçant dans la brume.

Son équipe retournait longer le rivage, à l’opposé de John. En naviguant, ils avaient aperçu plusieurs épaves dépassant de l’eau, donc certaines plus imposant que d’autres. Cela fit jaillir bons nombres d’interrogations de la part de Charles.

— On va vraiment retourner là-dedans ? demanda timidement l’un des matelots.

— Bien sûr ! C’est quoi vos noms déjà ? Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous parler.

— Samuel, répondit le premier.

— Et moi Francis.

— Très bien Samuel et Francis. C’est retenu. J’ai la mémoire des visages, à partir du moment que je vous vois, je ne vous oublie plus.

Le plus frêle des deux, Samuel, dont la pâleur de ses traits contrastait avec ses tâches de rousseurs sur le visage, et aux multiples ondulations cramoisis de ses cheveux, se différenciait facilement de son acolyte Francis, à la gueule d’ange malgré sa barbe mal rasée. Marcus n’avait pas manqué de faire remarquer que ces deux derniers trainaient souvent ensemble, et ce, depuis leur début sur le Rose’s Revenge.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ? interrogea Marcus.

— N…

— Oui ! interrompit subitement Samuel en tapant subtilement les côtes de Francis avec son coude. On naviguait sur un navire marchand avant.

— Avant quoi ?

— Avant que notre capitaine ne cesse de commercer. Il était très vieux et souhaitait donner un héritage à ses enfants. Il a donc revendu le navire pour leur permettre d’acheter des terres agricoles.

— Et vous êtes donc devenus pirates du jour au lendemain ? Sans raisons apparentes ?

— Naviguer sur les mers devient dangereux… répondit Samuel dont la tonalité de la voix devenait plus fluette. Mais on ne sait faire que ça. On est des marins dans l’âme et rien ne nous ferait changer. Alors on a décidé de reprendre la mer. Mais avec des vrais armes cette fois-ci. Entre l’imperator et les vaisseaux pirates, ça devient dur de commercer sans se faire aborder. On a donc attendu sur Skullwater un équipage qui semblait nous correspondre, avec nos valeurs. C’est là qu’on a croisé John.

— Je vois. Des valeurs vous dites ? Nous tuons des hommes pour arriver à nos fins. Vous partagez cela ?

— On l’a déjà fait et nous sommes résolus à le faire encore, affirma le second matelot. Protéger un navire commerçant n’est pas de tout repos et ne nous permettra certainement pas le pardon divin dans tous les cas. Devenir pirates, c’est juste une question de perspective. Je suppose ? dit-il rhétoriquement en levant les yeux au ciel.

Samuel acquiesça de la tête, résigné.

Ils finirent par approcher le bout du littoral. Non loin d’eux, ils aperçurent la proue d’un navire orienté vers le ciel, tandis que plus loin, la coque retournée d’une autre épave ondulait légèrement au gré des vagues.

— Regardez là-bas, interpella un autre matelot du groupe. Un bateau de pêche échoué au pied des falaises.

— Oui, le capitaine m’en a parlé. On doit le visiter en priorité. Vous trois allez-y, et faites attention. Les rochers doivent être très glissants. Ramenez-moi tout ce que vous y voyez.

— Bien ! dirent-ils collectivement.

Ces derniers suivirent les ordres de leur second, le laissant seul avec les deux mousses.

— Messieurs ! Vous voulez commencez par lequel ? demanda-t-il en arborant un large sourire tout en se frottant les mains.

— On doit explorer les deux ? soupira Samuel.

— Bien sûr ! Imaginez que le deuxième navire nous donne de précieux indices sur son époque et ses passagers ? Dans le pire des cas, ce navire appartient à la marine anglaise et s’est échoué la semaine dernière. Vous voyez où je veux en venir ?

Les deux compères ouvrirent grands leurs yeux, écarquillées par les propos de leur second. Ils prirent brutalement conscience du danger qu’apportait l’exploration d’une île complétement inconnue. Tout et n’importe quoi pouvaient les y attendre.

Sur ces mots, ils se dévêtirent de leur dessus, puis se mirent les mains sur les hanches, à contempler stoïques les éléments se déchainés face à eux.

— Une journée normale, tu ne crois pas ? plaisanta Samuel en s’attachant les cheveux muni d’une ficelle.

— Tu l’as dit, mon ami, répondit Francis. On n’aurait pas fait tout ça à rester comme des cons devant cette porte hein ? Il est temps de vivre la vie à pleines dents ! jubila-t-il.

— C’est bien, vous le prenez de la bonne manière, enchérit Marcus les ayant rejoints, dont le physique impressionnait les recrues malgré son âge. Faites bien attention à vous, la vie ne tient qu’à un fil. Surtout ici j’ai l’impression, enchaina-t-il en tournant la tête face à l’île.

Ils s’enfoncèrent peu à peu dans les profondeurs du rivage avant d’entreprendre le périple de remonter à contrecourant les eaux agitées, bravant ainsi les déferlements de la tempête qui s’éternisaient depuis leur arrivée. Les rochers étaient nombreux dus aux bas-fonds s’étalant sur une grande distance. Entre les vagues, le courant et ces énormes amas de pierres, ils n’avaient pas le droit au moindre faux pas. Une seule erreur de concentration et ils se retrouveraient projeté contre l’un de ces rochers, ou coincés au fond l’eau.

Marcus prit la tête du convoi, suivit de près par les deux autres matelots. Ils devaient s’accrocher et envoyer toutes leurs forces dans chaque mouvements de bras, au risque de se voir distancer. Le chemin qui semblait sécurisé par l’officier pouvait se retrouver être piégeur pour les personnes l’empruntant quelques secondes après. Samuel, craignant de finir aplati contre un rocher, ressortait très souvent la tête de l’eau à l’affut du rythme de la marée. S’arrêtant subitement, il plongea son corps totalement sous l’eau, tête la première, avant de refaire surface et constater l’écume dévaler la paroi rocheuse dans un fracas différé. Les battements de son cœur s’accélérèrent à l’idée de finir pilonner entre le marteau et l’enclume. Ce fut ainsi en guettant chaque opportunité qu’il put les rattraper et arriver à hauteur du premier bateau.

— Vous voyez quand vous voulez, ricana Marcus en crachotant un mélange de salive et d’eau salée. Bon, reprit-il en s’accrochant à la coque de l’épave. Vu de près, il n’y a plus de doute, c’est une caravelle portugaise !

**

De l’autre côté du rivage, le groupe de John et Simon remontaient la longue plage de sable humide, dont chaque pas s’enfonçait à hauteur de cheville, faisant ressortir une petite poche d’eau. Ils longeaient ainsi une falaise depuis la séparation avec les autres membres du Rose’s Revenge, observant régulièrement des filets d’eau ruisselés le long de la paroi.

— Sacré temps de merde, dit John en regardant inlassablement ses pieds s’enfoncer dans le sable froid. Il pleut tellement que le sol en est saturé, même là-haut l’eau suinte de partout. Je ne serais même pas étonné d’apprendre que le rivage allait bien plus loin dans la mer, et que dans les prochaines années l’île commence à être inondé.

— Une île inondée ? grogna John. Tu entends les conneries que tu sors ?

— Ah ? Tu as retrouvé ta langue ? esquissa-t-il un sourire en retour. Tu penses vraiment qu’il y a des personnes qui habiteraient ici ?

— Je n’espère pas pour eux. D’après Billy, c’est une zone maritime où la tempête ne s’arrête quasiment jamais. Ils n’auraient donc jamais ressenti la chaleur du soleil. Ils ne sauraient même pas ce que c’est. T’imagines, toi ?

— La poisse. Il y a tellement d’endroits où ils auraient pu naitre, ça serait vraiment malchanceux de vivre ici. Mais bon, s’ils existent, restons sur nos gardes, je ne suis pas sûr qu’ils soient contents de nous voir débarquer chez eux.

— Tu as raison. Longeons la falaise.

— Et tu comptes me dire ce qui t’arrives depuis quelques temps ?

John grogna encore plus fortement.

— La mort d’Adam est regrettable, mais ils connaissent tous les risques de naviguer sur ces mers.

— De mourir dans la froideur d’une geôle ?

— Non, ce n’est pas ce…

— De mourir dans un combat auquel il n’a même pas pu participer ? interrompit-il en lui faisant face, tout en élevant le ton. Il est mort comme un chien dans la solitude alors que tout le reste de l’équipage, ses compagnons, ses amis pour la plupart, se réjouissent de sa mort pour nous avoir trahis ?!

— Pardon, je ne voulais…

— Et tout ça pour quoi ?! Pour deux cailloux à la con alors que le vrai espion se promène toujours librement sur notre navire ?!

— Calme toi, t’énerver ne servira à rien. Réoriente ta colère sur notre vrai ennemi, ceux qui ont tué Adam. Ceux qui nous pourchassent sur toutes les mers jusqu’à notre extinction total. C’est eux qui méritent ta haine.

— On croirait entendre le capitaine, pesta-il. Je vais orienter ma colère au bon endroit, enchaina-t-il en faisant marche arrière en direction du fond du groupe.

John atteignit le dernier matelot légèrement détaché du groupe, le souleva de ses deux mains par le col et le plaqua fermement contre la végétation tapissant la falaise.

— James ? C’est bien ça ? pesta-t-il en renfermant son emprise. C’est depuis que je t’ai recruté cet été sur Skullwater qu’on a des problèmes. Tu ne trouves pas ça étrange ?!

— Lâ-Lâchez moi, bafouilla James en tentant vainement de tirer sur les poignets de John pour se libérer. Qu’est-ce qu’il vous prend ?

— Je veux t’entendre le dire bordel !

— Di-dire quoi ? peina-t-il à répondre.

— Qu’Adam est mort de ta main. Que tu es à la solde des Anglais, que tu les renseignes de nos moindres faits et gestes !

— Bien sûr que non, répondit-il en gesticulant son cou à la recherche d’oxygène. Je n’ai rien fait, je passe tout mon temps à briquer le pont.

— Alors pourquoi ils savent tout depuis Skullwater ? Hein ?! s’enragea-t-il de plus belle.

— Je ne sais pas… Demandez aux autres mousses. Vous allez tuer un innocent de plus pour satisfaire votre besoin de vengeance ?

Un long silence s’installa entre les deux hommes. John fit régner une tension irrespirable au sein du groupe, contraignant Simon à agir.

— Lâche-le, dit-il impassiblement en posant sa main sur l’épaule.

John tourna la tête vers son ami, les yeux fulminants de toute la douleur circulant à l’intérieur de son être. Il croisa le regard des autres matelots, créant un électrochoc au plus profond de lui. Il lut dans leurs yeux qu’il les effrayait. Tous. Inconsciemment, il venait de relâcher l’emprise sur le jeune mousse qui peinait à retrouver sa respiration, le visage rougeoyant.

— Le spectacle est fini, on y retourne les gars, fit signe Simon. Toi aussi, enchaina-t-il en relevant brutalement James d’une main.

— Je-je su-suis désolé, barbota John. J’ai complétement vrillé, je suis perdu. Je fais n’importe quoi.

— Ça arrive à tout le monde. Tu n’as pas encore fait ton deuil. Ça viendra, réconforta-t-il. Evite juste de t’en prendre à un autre matelot pour le moment. Je vais le surveiller de près.

— Pourquoi ? Il n’a rien fait, Simon. C’est juste moi qui perds la tête.

— Non. Il avait un couteau dans sa manche. Il s’apprêtait à s’en servir.

John releva la tête stupéfié par ce qu’il venait d’entendre. Le visage fermé de Simon confirma ses doutes. Mais il n’eut pas le temps de prolonger ses pensées, un matelot cria au loin « On a trouvé quelque chose, venez voir ! ».

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