Le roi des Airs
Je marchais dans la forêt. La nuit était tombée depuis longtemps et je ne voyais rien. Je sentais la boue s’accrocher à mes bottes et mes pieds sortir des ornières dans un bruit de succion dégoûtant. Je sentais la pluie dégouliner dans mon dos, dans mon cou, tremper jusqu’à mes sous-vêtements. J’entendis les branches craquer sous mon pas lourd, quelques cavalcades au loin, indiquant que j’avais dérangé quelques habitants nocturnes. Les mains tendues en avant, j’essayai, sans toujours beaucoup de succès, d’éviter les arbres. Impossible de trouver mon chemin dans ce noir complet. Je ressortis ma lampe, tapai dessus avec énergie. Enfin, la lumière faiblarde éclaira mes pieds. Normal que je peine à avancer : le chemin était à deux mètres de moi. J’y retournai à la hâte, savourant de poser mes pieds sur de la terre tassée par le passage des animaux.
Trois jours que j’avançais dans cette étendue boisée. J’étais bien loin du faste et des paillettes auxquels j’étais habitué. La photographie mondaine m’avait lassé, cependant, et je me retrouvais à chasser de dahu. Enfin, quand je dis le dahu, ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, j’étais devenu chasseur de créatures mythiques. Bien sûr, ce n’était pas toujours aisé. Les gens me prenaient pour un fou, un illuminé à la recherche de mirage.
Et pourtant, face à moi, ce n’était pas un mirage. Comme venue d’un autre monde, d’un blanc immaculé, elle était là. Au lieu d’avancer, je reculai. J’éteignis ma lampe, qui ne devait être qu’un vague point lumineux pour elle. J’ajustai mes lunettes et essuyai rapidement les carreaux du bout des doigts avec fébrilité. Était-elle vraiment devant moi ?
Sortant de derrière elle, son petit, le front encore lisse, s’approcha de sa mère, dans sa robe encore argentée. Mon appareil à la main, je mitraillai. Elles étaient bel et bien devant moi, ces deux belles licornes. Je savais que ce bois était habité par autre chose que par quelques chasseurs et bûcherons. Je croyais à peine à cette vision enchanteresse. Tellement que derrière les verres sales de mes binocles, mes yeux pétillaient de plaisir.
Dans mon excitation, je marchai sur une brindille. Et les voilà qui s’enfuyaient, ne laissant derrière eux que l’aura de leur présence. Je soupirai. Maintenant que j’avais eu ce que je voulais, je devais dormir.
À la hâte, je sortis de mon sac une tente 2 secondes. Quelle galère à ranger, mais si pratique pour ces soirs où je n’avais qu’une hâte, me glisser dans mon sac de couchage.
Le lendemain, je me réveillai tard. La pluie avait enfin laissé place au soleil et un rayon chaud me régala durant mon petit déjeuner frugal. Impossible d’apporter des provisions dignes de ce nom avec les animaux que je poursuivais. Ils avaient l’odorat aussi affûté que leur ouïe. C’est-à-dire très, très affûtée.
Je décidai de ne pas bouger. Le spot était parfait, à la lisière d’une clairière perdue en plein milieu de cette forêt sans fin. Toute la journée, j’attendis, tapi dans les fourrés humides. Mais je ne vis que des animaux banals, que je photographiais tout de même. C’est vrai que c’est mignon, un écureuil, quand même. Moi ce que j’attendais, c’était la nuit. C’était toujours comme ça, à croire que ces créatures ne vivaient que sous la lune. Qu’aurais-je la chance de voir, quand le soleil aurait disparu ?
J’avalais quelques barres sans goût ni odeur, urinant dans des pots, afin de ne pas propager mon odeur et leur faire croire que j’avais marqué ce territoire. Qu’elle était longue cette journée ! Enfin, la lumière dorée déclina, laissant place au silence du crépuscule. Et ce soir, le ciel était dégagé. Avec un peu de chance, je pourrais voir, volant dans le ciel étoilé, un dragon ou une fée.
Je sortis une couverture de survie, me calai dessous avec excitation. Le spectacle commençait enfin.
Mais l’attente fut longue. Si longue que je voyais au-dessus de moi la voûte céleste tourner. Au moment où je crus me lever, las d’attendre, une traînée lumineuse illumina le ciel. Le firmament me régala, pendant une bonne demi-heure, d’une pluie d’étoiles filantes. Les Orionides. Si seulement c’était un signe !
Mais, alors que je baissais les yeux, un battement d’ailes puissant me fit sursauter. Dans un fracas du tonnerre, le Pégase, énorme et majestueux, se posait devant moi. Il poussa un puissant hennissement et un, au timbre plus mélodieux, lui répondit. La licorne, suivie de son petit, arrivait en trottant. Les museaux se frottèrent et j’aurais tout donné pour poser ma main sur ces nez, qui au zoom de mon appareil semblaient doux comme de la soie.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. Surgissant du ciel où la lune pointait, une autre créature se posa. Mi-oiseau, mi-cheval, l’hippogriffe attendit que toutes les autres créatures s’inclinent devant lui. Ce n’était pas la première fois que je le croisais, avec ses plumes tachetées, sa croupe d’argent et son regard d’or, Buck était le roi des créatures mythiques. Mais cette fois, son image était enregistrée dans la carte mémoire de mon appareil. Tous seraient obligés de me croire !
Dans l’excitation, mon coude bougea, faisant bruisser les feuilles. Aussitôt, l’hippogriffe se tourna vers moi. Le Pégase réagit aussitôt. D’un battement d’ailes, il était près de moi. Et avec une colère visible sur ses naseaux dilatés, il brisa mon appareil, mes lunettes, mon matériel, réduisant tout en miette. Et pour finir, un sabot bien ajusté atteignit mon front.
Lorsque je repris connaissance, j’étais couché sur le bord de la route, non loin de ma voiture, mes affaires jetées pêlemêle près de moi. Aucune trace de mon appareil photo ni de mon téléphone. Je montais en voiture. J’avais sûrement rêvé. Qui me croirait, de toute manière ! Dans le rétroviseur, je remarquai sur mon front une nette boursoufflure en forme de U. L’éclair doré de l’œil du roi des airs m’observant sur la banquette me fit tourner la tête. Elle était vide. J’étais seul et je passerai pour un fou.
Annotations
Versions