La Montagne (concours du Dauphiné - Merci Laps)
De cette montagne, on ne voit que les pieds, car son sommet est toujours dans les nuages. Il faut dire que, des nuages, il n’y a que ça, d’un horizon à l’autre.
Cette montagne, on l’appelle La Montagne, car il n’y a qu’elle à des centaines de lieues à la ronde. Une montagne solitaire. Un pic au milieu d’une plaine…
Un jour, un groupe d’aventuriers – car ça voyage toujours en groupe, les aventuriers – s’est lancé à l’assaut du mastodonte de pierres, terre et végétation.
On raconte qu’ils ont mis des jours et des jours et des jours à atteindre la limite des nuages. Et on n’a plus eu aucune nouvelle d’eux.
Alors un deuxième groupe d’aventuriers s’est lancé à l’assaut du mastodonte de pierres, terre, etc.
On raconte qu’ils ont mis des jours et des jours et des jours à atteindre la limite des nuages. Et on n’a plus eu aucune nouvelle d’eux, mais ça, vous vous en doutiez.
Alors, oui, vous avez deviné, un troisième groupe d’aventuriers, bla bla bla, à l’assaut, bla bla bla, pierres, etc.
Mais ceux-là furent un peu plus malins. Une fois arrivés à la limite des nuages, ils plantèrent un piquet, y attachèrent une cloche au battant de laquelle ils nouèrent une mince ficelle de soie, qu’ils dévidèrent derrière eux, un peu comme une araignée dévide son fil quand elle descend. Mais eux montaient, hein, c’est bien compris, ils ne descendaient pas.
Et régulièrement, on entendait deux coups de cloche. Tout allait bien. C’était le signal convenu.
Et puis, un jour, on entendit une volée de cloches. Alors on s’est réjoui ! Ils avaient atteint le sommet ! Et on s’est préparés à fêter leur retour. On a calculé le temps qu’ils mettraient à redescendre, on a envoyé des guetteurs… On a attendu.
Et personne n’est jamais redescendu.
Puis quelqu’un a levé les yeux vers le sommet, ce que plus personne ne faisait plus depuis longtemps, marre de voir ce plafond grisâtre et cotonneux. Et donc, cette personne a levé les yeux vers le sommet et est restée bouche bée, pique plante au milieu du chemin, insensible à tous ceux qui la bousculaient pour passer.
Puis quelqu’un l’a enfin regardée, cette personne plantée en plein milieu et a suivi son regard et… est resté planté au milieu du chemin à ses côtés.
Au bout d’un moment, tous avaient les yeux sur le sommet. Oui, je dis sur le sommet, car on le voyait enfin. Un pic pointu, griffant le ciel, d’une blancheur immaculée et éblouissante car le soleil se reflétait dessus et sa lumière se diffractait en de nombreux arcs-en-ciel.
On dut inventer des mots pour ça, d’ailleurs. Ces phénomènes de soleil, de reflets, d’arc-en-ciel, c’était tout nouveau.
Mais avant, le festin préparé pour le retour des aventuriers fut dédié à leur sacrifice. Plusieurs explications virent le jour pour expliquer la disparition des nuages, toutes plus farfelues les unes que les autres.
Une fois son sommet dégagé, certains ont voulu l’exploiter. Et le sommet s’est caché de nouveau, privant la contrée de soleil, de reflets et d’arcs-en-ciel.
Il fallut du temps pour comprendre qu’un autre groupe d’aventuriers devait se rendre sur le sommet et faire ce qu’il fallait pour le dégager de nouveau.
Que fallait-il faire ? Mystère. Mais les groupes d’aventuriers se suivaient et le sommet se montrait à tous. Ou pas. Parfois, cela ne fonctionnait pas. Alors un autre groupe tentait l’ascension.
En étudiant la composition des groupes d’aventuriers, et leurs motivations, on découvrit vite que les cœurs purs, les amoureux de la Montagne, nous amenaient du soleil, des reflets et des arcs-en-ciel. Et que les intéressés, les égoïstes, à la recherche de l’exploit ou de la gloire, ne nous amenaient que ce plafond grisâtre et cotonneux.
Ce que cet événement nous a appris, à tous, c’est que la montagne doit être traitée avec respect. Qu’on ne se lance pas à sa conquête, mais à sa séduction.
* *
- Mais, grand-mère, personne n’est jamais redescendu de la Montagne ? Vraiment personne ?
- Eh bien, si. Une seule personne est descendue de cette Montagne.
- C’est qui, grand-mère, c’est qui ? On la connaît ?
- Oui, vous la connaissez.
Et la vieille conteuse eut un sourire très doux, les yeux perdus dans ses souvenirs, dans lesquels tourbillonnaient des éclats de glace reflétant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qu’elle avait contribué, dans sa jeunesse, à rendre au monde.
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