Arrivés à l’étage supérieur, nous pûmes de nouveau respirer correctement. Traversant un nouveau couloir désert, nous arrivâmes dans une salle lambrissée, éclairée par un majestueux chandelier en argent. Il y avait toute sorte de commodes et d’étagères ouvertes dans lesquelles j’aperçus les célèbres tenues d’apprentie aux couleurs des devises de la ville. Le rouge du buste pour la force, le bleu des manches et de la capuche pour la tempérance et le vert des chausses pour la loyauté envers les douze membres de l’assemblée de la citadelle. Il y avait également les foulards et bonnets que revêtaient les apprentis de l’académie, pour respecter le vœu de silence auquel ils étaient contraints. Cela était valable durant leurs dix premiers jours dans l’enceinte de la citadelle. J’eus un pincement au cœur en songeant que je ne serais probablement jamais mêlée aux jeunes apprentis de mon âge.

— Change-toi, lança Dalin en me tendant une des tuniques. Au moins avec ça, tu passeras inaperçue et personne ne te posera de question.

Je jubilai intérieurement en prenant le vêtement avec un remerciement maladroit. Je fus en revanche très gênée à l’idée de me déshabiller en sa présence. Bien heureusement, le magicien se posta à l’entrée de la salle et surveilla les allées et venues des apprentis et de leurs maîtres. Personne n’entra dans le vestiaire.

Une fois prête, il m’invita à le suivre dans le grand couloir circulaire qui devait mener au hall. Il y avait de plus en plus de passage à mesure que nous progressions. Je baissai l’échine et tirait nerveusement sur ma capuche, de peur que l’on me reconnaisse. Deux paires de pieds s’immobilisèrent devant nous.

— Bien le bonjour, illustre intendant. Je constate qu’un jeune homme suit dorénavant vos enseignements.

— Il me vient d’Eijrate. Son précepteur souhaite que je lui apprenne les rudiments de la magie. Vous connaissez nos relations avec les hommes de cette ville, je n’ai pas pu refuser.

Je n’écoutais plus la suite de ce qu’ils se disaient, me concentrant sur les gémissement et tremblements étouffés de l’apprenti qui me faisait face. Pleurait-il la mort de Tyrgal ou avait-il subit de la part de son maître une première correction corporelle ? Je ne le sus jamais.

Bientôt, le maître et son apprenti nous quittèrent avec une révérence, et Dalin reparti aussitôt d’un pas assuré vers notre destination. Je peinais à suivre ses grandes enjambés, la journée m’avait épuisée. Nous traversâmes bon nombre d’escaliers et de couloirs interminables avant d’arriver face à un grand mur blanc et lisse, entre deux majestueuses colonnes de marbre. Cette paroi si particulière me faisait indéniablement penser à celle qui se trouvait dans les profondeurs de la bibliothèque abandonnée.

— Derrière ce mur se trouve les quartiers du troisième cercle, annonça Dalin. Nous allons le traverser.

Je le dévisageai avec des yeux ronds, tandis qu’il me jaugeait de nouveau avec un sourire. Mes membres souffraient et mes genoux tremblèrent. Aucun apprenti n’était sensé pénétrer cette section de la citadelle. Une excitation tintée d’appréhension me gagna, car je savais l’endroit uniquement destinée aux maître-magicien comme le mentor qui m’avait élevé. Que se passerait-il si je tombais nez-à-nez avec maître Rygon derrière ce mur ? Ou qui que ce soit d’autre ?

— Je suis trop faible, balbutiai-je. Je n’y arriverai pas.

— Je t’ai retrouvée à l’autre bout de la ville ce matin, répondit-il avec froideur. Ludyl, tu es tout sauf faible.

Inflexible, son indexe me désigna le mur. Je poussai un gémissement étouffé et m’avançais, résignée. Les mains sur la paroi, je fus cependant rassurée de constater qu’elle n’était pas aussi froide et vide que celle de la grotte. Au contraire, elle vibrait littéralement d’énergie. Je percevais un enchevêtrement complexe de sceau et de protections invisibles.