Une fin de journée sur la Promenade des Anglais.
A l’horizon, le soleil est si flamboyant qu’il donne l’impression d’être un projecteur éclairant la surface de l’eau. Le jet de lumière domine ce tableau apaisant. Le gris perle de la mer, les ombres chinoises des montagnes se découpent sur le ciel rouge. Je pénètre dans ce tableau comme Mary Poppins saute dans les dessins à la craie. Je suis happée par ce délicieux moment.
Je m’assois sur une des chaises bleues, symbole de la Prom, comme l’appelle les Niçois. Comme dirait Charles Baudelaire « Tout n’est que luxe, calme et volupté ». Je pourrais me fondre dans ce paysage et y rester des heures. Je sors un livre de mon sac, encore comme Mary Poppins, et je commence ma lecture, deux secondes tout au plus, et mon regard dévie déjà sur la plage.
Des enfants jouent au ballon, je ne sais pas comment ils arrivent à rester debout sur les galets. Quand je marche pieds nus pour arriver jusqu’aux premières vagues, je suis totalement ridicule, ballotant d’un pied sur l’autre, retenant ou pas, des cris de douleur, je suis pathétique. Les enfants doivent avoir des cornes sous la plante des pieds. Certains courent, prennent de l’élan et plongent dans les vagues avec agilité.
J’essaie de comprendre ce qui ne va pas chez moi. Pourquoi dois-je ressembler à un canard boiteux qui aurait peur de l’eau si je m’élance (enfin j’exagère) pour fendre l’eau la tête la première ? J’ai trouvé une solution, je fais comme les touristes, je mets des chaussons en caoutchouc qui me donnent des ailes. Je cours, je saute, je plonge et je prends des attitudes gracieuses. Ensuite, je démarre dans un crawl stylé, en tenant compte du fait que les chaussons restent à la surface, ils flottent ! Pour battre l’eau régulièrement, sans faire de vagues, c’est très pratique, il vaut mieux faire la planche, on avance plus vite. Sans compter, que pour bronzer, je mets mon plus joli deux pièces, et lorsque je plonge, comme une athlète, le slip tombe sur mes genoux, quant au haut, je ne sais plus où le chercher, il coule. C’est évident, que lorsque je vais à la piscine avec mon maillot de compèt’, j’ai l’air un peu moins débile.
Pourquoi les magazines de mode ne nous avertissent pas du danger des maillots deux pièces ? Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère m’en avait fait un au crochet, avec amour. Là, c’est carrément apocalyptique, il a terminé sa vie en tant que serpillère. J’ai l’impression que cela revient à la mode, d’ailleurs. Sur l’étiquette, on devrait rajouter la mention « ne pas bouger et l’enlever pour nager ».
Bref, je n’ai pas encore commencé mon livre. Je balaie la plage du regard. Une fine silhouette se découpe sur un rocher. La tête penchée vers le soleil couchant, les yeux fermés, quelques mèches de cheveux bruns s’échappent de son chapeau de paille. Cette femme est classe, comme sortie du magazine « Vogue », sa position est naturelle, le profil parfait. Elle rêve certainement. Mais là, c’est moi qui rêve, Apollon sort de l’eau, sans boiter et sans pantoufles, il s’ébroue et quelques gouttes tombent de ses cheveux blonds. Il est bronzé, comme un surfeur, se penche vers sa naïade et l’embrasse sur le front. Alors, là, trop c’est trop. Ils jouent à quoi ? Je cherche le photographe qui doit se cacher pour les immortaliser et les jeter, en vrac, sur le papier glacé. Non, personne. Il doit bien y avoir une faille quelque part, on n’est pas dans un film américain où l’actrice plonge et quand elle sort de l’eau, son brushing n’a pas bougé. C’est peut-être une sirène ? Elle est toujours assise sur son rocher dans la même position, je ne vois pas ses jambes, elles sont peut-être palmées ? En tout cas, Ariel ne semble pas perturbée par le baiser sur le front. Elle ne doit plus être en extase devant Apollon. C’est peut-être un footballeur, sois beau et surtout tais toi !!
Bon, je n’ai pas été longtemps sous le charme. Le lisse me lasse.
Mon livre. Où en étais-je ? Qui est le meurtrier ? Ah non, ce n’est pas la bonne histoire, j’ai emporté un livre de poche, moins lourd dans mon sac, c’est la biographie de la Reine Elisabeth II. Il ne manquait plus que ça, très bon choix pour la concentration, quand le monde s’agite autour de soi, avec une élégance si particulière.
Je referme le livre, en gardant mon signet à la page où le prince Philip court dans tous les coins. Ne pensez pas qu’il cherche Sa Majesté, son épouse, non, il court partout sauf dans le palais royal. Bon, il était jeune, je n’en suis qu’au début du bouquin. A la fin, je pense qu’il ne bouge plus autant.
Je lève les yeux sur un drapeau planté au milieu des galets. Le drapeau niçois marque le terrain. C’est le coin des vieux Nissarts. Ils se posent le matin à l’aube et restent sous le parasol jusqu’au crépuscule. Ils ne se mélangent pas avec les touristes, le drapeau le montre. Ils sont tout un groupe à papoter, se dorer au soleil (ce n’est plus se dorer, c’est se noircir), « Sian d’acqui ! » je suis d’ici !! Ils n’ont pas besoin de le dire, l’accent, les rires, ils jouent aux cartes, se reposent (il le faut bien, la journée a été dure), mangent des pans bagnats. Ça, ils sont obligés de les manger sur la plage, car bagnat veut dire "baigne dans l’huile d’olive". Je les admire. Quand je mange un pan bagnat, je cours tout d’abord après les olives qui sautent du pain, les radis qui se font la malle, les tomates qui glissent, la feuille de salade qui n’a pas été coupée donc que j’essaie de croquer en une seule bouchée, mais l’huile coule et là, je conçois que mettre mon petit « deux pièces » est pratique. Lorsque j’ai la panse bien pleine, mais que je sens la vinaigrette, je mets mes petites ballerines en caoutchouc et hop, je plonge dans la Méditerranée. Je ressors revigorée, propre et je n’ai plus faim. Ceci étant une petite parenthèse, je les contemple ces vieux niçois, ils savent vivre et n’ont pas peur de prendre du bide.
Ah, mon livre! Est-ce bien nécessaire de l’ouvrir ? J’adore lire, mais je pense que le spectacle de la Promenade des Anglais est bien plus réjouissant que Elisabeth qui cherche Philip (voir le passage plus haut).
Je n’ai pas vu le temps passer, le soleil s’est couché. Je vais longer la Promenade des Anglais, traverser le Cours Saleya, je prendrai le tram et je pourrais encore vous en raconter des histoires et des plus originales encore, mais ce sera pour la prochaine fois. Je dois rentrer, il est tard.
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