Chapitre 4
Je dus m’assoupir pendant le trajet, car ce fut sur la crasse des voiries parisiennes que s’ouvrirent mes paupières. Après un épouvantable créneau, Marianne m’aida à m’extirper de son véhicule. L’humidité de l’atmosphère fit immédiatement souffrir mes genoux. J’étais devenu un baromètre de chair et trouvai ce nouveau pouvoir particulièrement désagréable. Marianne me prit le bras. La localisation du bar importait peu, je reconnus rapidement l’angle d’une rue que couronnait la terrasse d’un café. « Par là ! » criais-je d’un ton enthousiaste à ma compagne. Nous émergeâmes bientôt sur la place, dominés par l’imposante colonne de Juillet.
— Tu sais, le génie de la Liberté qui orne le sommet de la colonne possède une copie au musée du Louvre, exposais-je doctement à Marianne, sans comprendre d’où me venait cette information. C’est formidable pour le voir de près. Il faudra que je t’y emmène !
J’étais lancé, impossible de me taire. Je me mis à partager tout ce qui nageait à la surface de mon esprit, déversant à débit ininterrompu un flot de petites anecdotes inutiles. Marianne ne répondait pas, mais couvait tout ce que je lui indiquais d’un regard enfantin, un froissement malicieux au coin des lèvres. Je ne m’en rendis pas compte immédiatement, mais c’était elle qui me conduisait à présent. Lorsque nous atteignîmes les bords de Seine, je fis subitement halte.
— Là, soufflais-je, je l’ai embrassé là.
Nous continuâmes notre cheminement à pas plus lent. Une brise glacée chantonnait à nos oreilles des mélopées d’un autre âge. Je revivais des émotions confuses, la brume de ma mémoire toujours omniprésente mais révélant par à-coup des pans entiers d’instants aux contours plus nets.
— Elle était vraiment magnifique cette fille, tu sais. Divaguai-je, plus pour moi-même que pour Marianne. C’était un crépuscule à forme humaine, l’incarnation des derniers feux des astres. Les feux les plus intenses, les plus chaleureux. Tristes, tragiques même, mais si vifs ! Je l’aimais bien cette fille, tu sais. Je l’ai trouvé échouée dans la nuit, mais j’ai tout de suite perçu sa lumière. Elle portait la plus belle couleur de cheveux jamais vue, véritable rivière fauve ondoyant le long de son dos. Je l’aimais tout court cette fille. Elle avait un rire qui faisait trembler le ciel, tu sais, et des yeux vert agités comme l’océan. Elle avait des vagues dans les yeux, cette fille.
Marianne pleurait, mais je n’y prêtais pas attention, entièrement absorbé par mes souvenirs.
— Regarde Marianne, c’est ici qu’elle m’a dit…
— Heureux les ivres-vivants, termina la vieille femme accrochée mon bras.
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