1 Savannah

11 minutes de lecture

Ma punition est tombée depuis plusieurs jours et, pourtant, je ne me suis toujours pas faite à l’idée de ce qui m’attend. Non, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi ma mère a décidé de m’envoyer dans un ranch ? D’accord, vu mes conneries, je mérite certainement qu’elle me recadre, mais de là à m’envoyer passer deux mois au milieu des chevaux, il y a une marge quand même. À ce que je sache, il n’y a pas mort d’hommes. Par contre, si elle ne change pas d’avis dans les minutes qui suivent, elle risque bien d’avoir la mienne sur la conscience. Je hais ces animaux. Non pire que ça, j’en ai une véritable phobie. Dès que mes yeux se posent sur l’une de ces créatures, même en photo, je ne peux m’empêcher de paniquer. D’où me vient cette phobie ? Aucune idée, la seule chose que je sais, c’est qu’ils me terrorisent au point où, même là, alors qu’on n'est pas encore parties, j'en ai des sueurs froides dans le dos.

— Savy, ma chérie, t’es prête ?

En me voyant encore vêtue de mon pyjashort, ma mère tire une grimace. Ce qu’elle voit ne lui plait pas, mais alors pas du tout. Elle m’a informée que nous devions rejoindre ma tante sur les coups de onze heures à deux heures de route d’ici et il est déjà neuf heures. Je devrais donc être prête, sauf que j’ai décidé de lui montrer que je n’ai aucune envie de m’y rendre.

— Tu exagères, Savannah Adrianna Cortes !

Son ton exige de me taire, néanmoins, ce serait mal me connaître que de croire que je vais le faire alors qu’elle m’envoie au bagne.

— Moi, j’exagère ? Et toi, maman, tu penses que tu fais quoi en m’envoyant là-bas ? Tu aurais pu sévir autrement, mais…

— Au grand maux, les grands remèdes ! me coupe-t-elle sèchement en plantant son fameux regard qui se veut autoritaire dans le mien. Si tu n’avais pas autant déconné, je ne serais sûrement pas là à t’imposer cette décision ! 

— Tu aurais pu m’enfermer dans ma chambre pour les deux prochains mois, ça aurait toujours été mieux que ça !

Exaspérée, elle lève les yeux et pousse un long soupir, avant de retourner dans le couloir de notre petit appartement. 

— Je te laisse dix minutes pour t’habiller sinon tu pars dans cette tenue et ce ne sera pas mon problème !

Si elle croit vraiment me faire peur avec ses menaces, elle peut toujours rêver. 

Au lieu de me ruer vers mon armoire, comme elle doit l’espérer, je me rallonge sur mon lit et attrape mon téléphone. Je suis sur le point de composer le numéro de mon sexfriend quand il se met à sonner. Surprise qu’on m’appelle de si bon matin, je reste quelques secondes à fixer le nom qui s’affiche sur mon écran, sans vraiment réaliser que c’est celui de Callie, ma meilleure amie. Quand je finis par décrocher, c’est pour l’entendre me houspiller. À croire qu’elle est de mèche avec ma mère ! D’ailleurs, je me demande encore comment cette dernière a appris que je dérivais grave. Ce n’est certainement pas le peu d’attention qu’elle m’accorde depuis le décès de papa qui lui a mis la puce à l’oreille. Quelqu’un lui en a parlé, mais qui ? Il y a de très fortes chances que ce soit Callie. D’autant plus qu’elle était la seule à savoir que je fréquentais Liam et vu sa réputation, elle n’a pas mis deux plombes à faire le rapprochement entre lui et mon attitude de plus en plus désinvolte. Moi, la fille parfaite réputée pour être l’intello du bahut, je me suis très vite retrouvée avec une nouvelle étiquette sur le dos, celle de la rebelle qui se foutait de tout et n’importe quoi. 

— Tu m’écoutes, au moins, Sav ? grogne Callie a l’autre bout du fil.

— Tu veux la vérité ?

— Non, pas la peine. Je sais déjà que t’as pas écouté un seul mot de ce que je t’ai dit. Alors, je vais reprendre, je te disais que t’allais t’habiller et plus vite que ça !

Sérieusement ? J’hallucine, ça veut dire quoi, ça ? Que ma mère l’a appelé pour lui dire que je traînais ? Elle croit vraiment que là où elle échoue, Callie y parviendra ? 

— Ta mère a raison, tu ne peux plus continuer à dériver comme ça. Est-ce que tu te rends compte au moins dans quelle merde il t’entraîne ? Tu veux finir en taule, c'est ça ? Liam n’est pas un mec pour toi ! 

— On est pas ensemble, on couche juste ensemble, nuance, la coupé-je.

— Pour moi, ça ne fait aucune différence. Depuis que tu le connais, tu as totalement changé. Je m’inquiète pour toi, Sav ! Alors sois sympa et écoute ta mère ! Je suis certaine que tu ne le regretteras pas. Puis qui dit…

Bordel, qu’est-ce qu’elle m’exaspère !

— Stop ! C’est bon, j’ai compris ! Je vais le faire, mais personne ne pourra m’empêcher de le revoir en revenant.

— T’es amoureuse de lui ou quoi ?

— Liam n’est qu’un ami. On s’accorde quelques plaisirs de temps en temps, mais on en reste là. Par contre, il est le seul à m'avoir tendu la main quand j'ai tout perdu.

Un lourd silence se fait entendre et je réalise que mes mots ont dépassé ma pensée. Elle aussi était là à me tendre la main quand j’ai tout perdu, sauf que j'ai refusé de la saisir. Avec elle, je me confortais dans mon malheur. Liam a su me secouer, certes pas dans le bon sens, mais sans lui, il y a de très fortes chances que je ne sois plus de ce monde. En me relevant, je chasse mes sombres pensées qui tentent de faire ressurgir mes sales souvenirs. Je ne veux plus y penser. Jamais. C´est bien trop douloureux.

— Je suis désolée, Callie, je ne voulais pas dire ça. Je sais que tu étais là toi aussi, tenté-je de m’excuser. 

— Je ne t’en veux pas. Je sais que tu as beaucoup perdu en l’espace de peu de temps.

Ouais, c’est peu de le dire.

Sa compassion me touche néanmoins, bien plus qu'elle ne pourrait le croire.

— Je vais te laisser, je vais aller me préparer sinon ma mère va faire une syncope. Tu sais à quel point elle aime être ponctuelle.

C’est drôle cette discussion, car j’ai l’impression de retrouver la part de moi que j’ai perdu depuis… Mon cœur se serre à leur souvenir, j’en souffre toujours autant. C’est si douloureux que je ne parviens même plus à penser à leur prénom. Tous les deux m’ont brisée. Ils n’ont fait de moi qu’une simple bouchée et dire que je croyais en eux. 

— Sav ? Si jamais, tu penses trop à eux quand tu seras là-bas, n’hésite pas à m’appeler. Je serais toujours là pour toi, OK ? Puis, dis-toi que deux mois c’est vite passé, que c’est toujours mieux qu’une année entière dans un camp militaire.

Un sourire un peu tordu se dessine sur mes lèvres alors que je repense à la première idée de punition de ma mère. Je ne crois pas que j’aurais pu survivre à une année entière loin de L.A.. Trop de choses m’auraient manqué. Puis, je déteste qu’on me donne des ordres. Bien que, là où je vais, je suis certaine d’en recevoir également, puisqu’il est prévu que j’y travaille. 

Juste deux mois, c’est toujours mieux qu’un an.

Dès que Callie raccroche, je farfouille dans mon armoire à la recherche de la tenue idéale pour me rendre au ranch. Le bon sens voudrait que j’enfile un short, un t-shirt et des baskets. Cependant, même si j’ai décidé de jeter l’éponge, je n’ai franchement aucune envie de faire plaisir à ma mère. Si elle avait été présente quand j’ai tout perdu, si j’avais pu me blottir dans ses bras, je n’en serais sûrement pas là. J’avais besoin d’elle et elle ne trouvait jamais assez de temps pour moi. Ne voyait-elle pas que sa fille perdait de plus en plus pied ? Ne voyait-elle pas les appels au secours que je lui lançais lorsqu’elle rentrait tard le soir ? Alors, juste pour lui montrer que je lui en veux à mort de ne pas avoir su s’occuper de moi, j’attrape ma mini-jupe rose, un débardeur de la même couleur, que j’enfile à la hâte avant de chausser mes sandales aux talons vertigineux. 

Quelques minutes plus tard, je suis devant ma mère, valise à la main. Valise dans laquelle j’ai mis des fringues adéquates. Il ne faudrait pas croire que je suis complètement stupide. J’endosse juste le rôle de la parfaite insolente devant cette femme qui a oublié de conjuguer le verbe aimer depuis le décès de papa.

— On y va, maman

Je vomis ce doux nom plus que je ne le prononce. Scandalisée par ma tenue, elle ne peut s’empêcher d’émettre un petit cri de protestation, avant de plaquer ses mains sur sa bouche.

— Tu n’es pas sérieuse, Savannah ?

— Si, très, pourquoi ? Ce n’est pas le genre de tenue qu’il faut mettre pour aller dans ce genre d’endroit ?

Face à mon arrogance, elle fulmine, toutefois, elle parvient à se contenir pour ne pas exploser. Elle  glisse ses mains sur son visage, geste qu’elle fait souvent lorsqu’elle tente de se calmer. 

— C’est toi qui vois, finit-elle par lâcher en passant à côté de moi pour me contourner.

Je sors à sa suite en silence. Silence qui dure jusqu’à notre arrivée, deux heures plus tard, dans une...dans une quoi ? Impossible de qualifier cet endroit de ville. C’est complètement paumé. Je me rends compte quand ma mère se gare dans le centre qu’il n’y a même pas de cinéma, ni même une seule boutique de fringues. Comment font-ils pour s'habiller ici, ces péquenauds ? J’imagine un court instant les habitants de cet endroit, tous fringués avec des vêtements d’une tout autre époque. Mon Dieu, je sens que ça va être encore plus horrible que dans mes pires cauchemars.

— Ta tante m’a fixé un rendez-vous dans ce bar, me fait savoir ma mère en le désignant d’un simple signe de tête.

Je tourne la mienne pour regarder ce qu’elle me montre. Ça ressemble bien à un bar avec sa devanture, ses tables et ses chaises que je peux apercevoir de ma place dans la voiture. 

— Allez, sors, on va aller voir si elle est arrivée. 

Je suis tellement dégoûtée par cette bourgade que je n’ai même plus la force de me montrer arrogante. J’ouvre la portière et suis ma mère jusqu’à l’intérieur de l’établissement. Des chevaux. Partout. Mes yeux ne distinguent que ça lorsque je franchis la porte. Ma frayeur me fait reculer d’un pas et je suis obligée de me ressaisir pour ne pas m’enfuir en hurlant. La tête courbée, j’avance en regardant le sol. Seules des voix féminines qui semblent jaser sur mon dos me font la relever. Trois filles se tiennent sur ma droite et me détaillent du regard en chuchotant entre elles. Une grande blonde lance les hostilités la première : 

— T’aurais pas oublié un morceau de tissu ?

— Clairement, on dirait qu’elle va tapiner, renchérit son amie qui se trouve à sa droite.

Plutôt que de rentrer dans leur jeu, je leur lance mon plus beau sourire sarcastique en levant mes deux majeurs. Si elles croyaient m’atteindre, elles se sont juste trompées de cible. La différence entre elle et moi, c’est que je ne suis pas une bouseuse et elle risque vite de l’apprendre à leur dépens si je les recroise un jour.

— Savannah ! s'offusque ma mère.

Oups. Placée dans mon dos, je ne pensais pas qu'elle remarquerait mon geste. Grossière erreur. En signe de dédouanement, je hausse simplement les épaules, avant de la rejoindre à une table un peu plus loin.

Les minutes s’égrènent sans qu’on aperçoive la moindre ombre de ma tante. Et dire que ma mère m’a fait tout un cirque pour qu’on soit à l’heure ! Sa sœur ne doit pas aussi bien connaître le concept de ponctualité qu’elle.

— Arrête de faire la tête, Savy ! Je suis sûre que tu vas passer un excellent été. 

— Laisse-moi en douter ! Regarde autour de toi, il n’y a absolument rien hormis ces pétasses qui pensent pouvoir se la péter alors qu’elles vivent dans le trou du cul du monde !

Le pire, c’est qu’elles n’ont rien. Je veux dire par là que, niveau physique, elles sont des plus banales et ça se sent à des kilomètres à la ronde qu’elles vivent au milieu de la cambrousse. Aucun effort vestimentaire qui pourraient mettre en valeur leurs atouts. Si elles se pointaient dans mon ancien bahut, je suis certaine que personne ne les remarquerait. 

— Savannah, ton langage !

Je hausse les épaules. Je dis la vérité, si ça ne lui plait pas, tant pis.

— Écoute, je sais que tu m’en veux, mais…

C’est peu de le dire. 

Elle se gratte le front comme si elle cherchait les mots adéquats pour me faire entendre raison. Malheureusement pour elle, la colère qui grogne dans mes veines ne lui permettra jamais de pouvoir toucher une de mes cordes sensibles.

— Carla ! Savannah !

Ma tante, Amanda. Son arrivée va me permettre d’éviter le discours de ma mère. Soulagée, je me lève pour aller la serrer dans mes bras. Grande, blonde, peau mat, des yeux aussi bleus qu’un ciel d’été, la parfaite Californienne, comme ma mère et ma cousine. Tout le contraire de moi en sommes. Je n’ai malheureusement pas eu la chance d’hériter de ce côté de ma famille. J’ai tout pris du côté de mon père, mais pas n’importe lequel, non juste celui de ma grand-mère paternelle, une descendante d’une famille écossaise. Je me retrouve donc à être de taille moyenne, une crinière de feu, les yeux verts et une peau de porcelaine. Vous me direz, je dois sûrement être jolie dans mon style, mais vous oublierez sûrement que je passe les trois quart de l’année sous le soleil californien et que ma peau déteste ça. Franchement, à choisir, j’aurais largement préféré prendre les gênes de mon grand-père, un latino. D’où mon nom de famille, d’ailleurs.

Alors que je finis d’avaler mon café, Amanda me fait le topo de tout ce qui m’attend. Plus d’une fois devant ses paroles, je lève les yeux et me tortille sur ma chaise. Tout ce qui m’attend, ce n’est pas moi. 

— Je te promets que tu vas adorer. Stacey adore cet endroit, elle y passe tout son temps libre. Le gérant est le père de sa meilleure amie et il a l’habitude de s’occuper des enfants à problèmes.

Enfants à problèmes ? C’est ce que je suis à leurs yeux, un gosse à problèmes ? 

— Stacey et moi sommes aussi différentes que le jour et la nuit !

Et c’est la vérité. Il n’y a pas que sur notre physique que nous ne nous ressemblons pas. Notre caractère est totalement à l’opposé. À part peut-être notre côté studieux, mais ça c’était avant.

Face à mon ton cinglant, Amanda lance un coup d’œil inquiet à ma mère, qui lui répond par un simple regard attristé. La voir ainsi me donne envie de la secouer. Si elle avait été là quand j’ai tout perdu, alors elle n’aurait pas à être triste. C’est de sa faute tout ça, qu’elle se le dise ! J’avais besoin d’une mère, d’une véritable mère, mais elle s’est montrée absente. Elle a peut-être perdu papa, mais moi j’ai tout perdu en moins de six mois.

Sous le coup de la colère, je me relève d’un bond. 

— Qu’on en finisse avec tout ça ! lancé-je avec rage en me dirigeant vers la porte.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Tytia75 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0