30. Ashton
Dix putains de jours que le soleil ne semble plus se lever pour moi. Pourtant l’été n’a jamais été aussi beau que celui de cette année, pas un seul jour de pluie. Même pas une seule journée de grisaille. À l’intérieur de moi, c’est tout le contraire, ce sont des trombes d’eau qui se déversent. Son absence me pèse douloureusement. Je pensais que le mot que j’ai remis à sa mère lui aurait fait capter que j’avais commis la plus grosse erreur de ma vie et qu’elle me reviendrait. Tu parles ! Comment ai-je pu me foutre à nu dans chacune de ces lignes en lui dévoilant ce qui m’a fait disjoncter ? Elle a dû bien se marrer avec mon connard de frangin en le lisant. Mes tripes se retournent chaque fois que j’y pense. Je la déteste autant que lui. Enfin ça, c’est ce que j’aimerais croire. En vrai, je suis toujours aussi dingue d’elle et je ne parviens pas à la zapper. Je suis tellement mal que pour réussir à survivre, je me saoule du soir au matin. Mon travail au ranch s’en ressent. Tous mes gestes sont en mode automatique, même plus une seule attention aux canassons. Je rage toute la journée et tout le monde en paie les frais. Harper encore plus que les autres, évidemment. Après tout, c’est bien de sa faute si je vis désormais avec un organe en moins. Ouais, franchement, j’ai l’impression d’avoir été amputé d’un membre. Pas n’importe lequel, celui qui continue à battre sous ma poitrine. Si seulement, il pouvait cesser son rôle primaire, ça m’arrangerait bien. Chaque jour qui passe me flingue un peu plus.
— Ash, mon père voudrait que tu m’accompagnes récupérer plusieurs colis en ville.
Que son père le lui ait demandé ou non, je n’en ai rien à foutre ! Je veux juste que cette connasse reste hors de ma vue et surtout de ma vie !
— Je t’ai dit de ne pas t'approcher de moi ! Qu’est-ce que t’as pas compris dans je ne veux plus jamais respirer le même air que toi ?
Devant mon air de tueur à gage, la blonde noue ses doigts.
Tu croyais quoi ? Que j’allais finir par changer d’état d’esprit ? J’ai quand même perdu la seule fille dont je suis tombé amoureux. Ma moitié. Mon tout.
— Mon père y tient vraiment, tente-elle de m’amadouer avec une toute petite voix.
Je m’approche de Harper, sans me départir de mon regard meurtrier. À quelques centimètres de cette salope, je la force à me regarder droit dans les yeux. Elle déglutit difficilement.
— Je n’en ai rien à foutre de ce que veut ton père ! Maintenant dégage et va demander à quelqu’un d’autre !
Elle hoche la tête, vaincue.
— Tout va bien ici ? s’enquiert Nills qui sort de nulle part.
Manquait plus que lui !
— Il refuse de m’accompagner en ville.
Nills se tourne vers moi. À son expression, je sais qu’il ne laissera pas passer mon refus. Qu’est-ce que j’en ai à branler ? Ce n’est pas ce qui va me ramener ma rouquine.
— Depuis dix jours, tu n’obéis plus à rien, Ashton ! me réprimande le quadragénaire.
— Ouais et alors ?
Mon arrogance le fait tiquer. D’un claquement de langue, il me laisse capter que je dépasse largement les bornes.
— Ça ne vous plait pas, Nills ? Sachez que je me carre de votre avis !
— Je peux comprendre que tu sois malheureux, mais évite de t’aventurer sur ce chemin. Tu ne voudrais tout de même pas que j’envoie un mauvais rapport sur toi ? Ce serait dommage alors qu’il ne te reste que quelques mois à effectuer ici.
Quelques mois ? C’est bien trop long. J’aimerais déjà être libre pour pouvoir aller la voir et savoir si, comme je le suppose, elle s’est bien foutue de ma gueule. Quatre mois me parait intenable. Faut que je le sache maintenant. J’en ai besoin. C’est viscéral. Saisi d’une putain de pulsion, sorti de je ne sais où, je laisse tomber la fourche que je tenais en main. Un bruit mat résonne dans toute l'écurie faisant hennir et s’agiter les chevaux.
— Vous pouvez bien faire ce que vous voulez ! J’me casse !
Le moment de flottement, lié à l’affolement des canassons et à la surprise de ma décision subite, m’aide à m’échapper de l’écurie. Ce n’est qu’au moment où j'enfonce mon casque sur mon crâne que j’entends Nills m’appeler. Sans même me retourner, j’enfourche ma bécane, la démarre dans un vrombissement digne d’un roulement de tonnerre et file sur les chapeaux de roues.
Alors que je parcours les vingt bornes autorisées, ma raison tente de me rappeler à l’ordre. Toutefois, cette souffrance que je ne peux plus endurer me pousse à aller au-delà. J’ai besoin de réponses. Viscéralement besoin. Sans, il me sera impossible de tourner la page. Pourquoi n’est-elle pas revenue ? Chanceux comme je suis, je me ferai sûrement choper avant d’atteindre la Cité des Angespar les flics. À vrai dire, je m’en tape. Je préfère purger le restant de ma peine en taule que de rester au ranch en me rappelant tous ces moments ensemble qui me foutent en l’air. Là-bas, je ne respire plus depuis son départ. Peut-être que derrière les barreaux, je parviendrais à retrouver un peu d’oxygène.
Sur une magnifique ligne droite qui s’ouvre devant moi, j’accélère d’un coup. Je roule sur la roue arrière sur quelques mètres, propulsé par la vitesse que je donne à ma bécane. Le goût de la liberté et l’adrénaline me galvanisent. À cette allure, j’en oublie toutes mes fêlures. Même Elle disparaît de mes souvenirs. Je suis enfin vivant.
subitement la réalité s’impose à moi lorsque des sirènes retentissent dans mon dos. D’un coup d’œil dans le rétro, j’avise la voiture de police qui me poursuit. Malgré tout, je continue à filer comme une flèche jusqu’à ce qu’elle me dépasse et se gare en travers de la route. J’ai à peine le temps de freiner qu’un homme en uniforme en descend, son arme pointée sur moi.
— Veuillez couper le contact et descendre de votre moto ! Enlevez votre casque et mains derrière la tête !
Sans choix possible, j'obtempère. La partie est finie. Cette fois, je suis certain de ne plus la revoir. Avant de nouer mes doigts derrière mon crâne, je balance mon casque avec rage sur la route.
— Pourquoi t’es pas revenue, Sav ?
Je hurle ma douleur alors que le flic s’approche de moi.
— À genoux !
Toutes les forteresses que j’ai érigées explosent en même temps alors que je tombe sur le sol, un genou après l’autre. Mes larmes dévalent mes joues pendant qu’on force sur mes bras pour me passer les bracelets. Dix jours que j’ai tout fait pour ne pas chialer et me voilà pire qu’un gosse à pleurer de tout mon saoul sur mon amour perdu.
Quand il me relève, je me laisse faire, totalement lobotomisé.
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